L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL ET SES PATRIMOINES : PRÉCISIONS RÈGLEMENTAIRES
Sources :D. n° 2022-709 du 26 avril 2022 :JO, 28 avril 2022, texte n°12 ;
D. n° 2022-799 du 12 mai 2022 :JO, 13 mai 2022, texte n°5 ;
D. n°2022-933 du 27 juin 2022 :JO, 28 juin 2022, texte n°8 ;
Arrêté du 12 mai 2022 :JO, 13 mai 2022, texte n°11.
Auteur : JULIEN COUARD
Maître de conférences HDR à l’Université de Toulon
Membre du CDPC, UMR CNRS 7318 DICE
Responsable du Master 2 Droit des affaires -Contrats et entreprises
Co-directeur du DESU d’éthique économique et des affaires à l’Université d’Aix-Marseille
- On sait les lacunes qui entouraient le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Né avec la loi n°2010-658 du 15 juin 2010, complété quelques mois plus tard par l’ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010, puis réformé à plusieurs reprises par le législateur pour apparaître plus attractif,
ce régime n’a jamais connu le succès escompté en raison de la complexité de la déclaration d’affectation du patrimoine et de la porosité qui continuait d’exister entre les deux parties, privée et professionnelle, du patrimoine de l’entrepreneur. - La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, y a mis un terme en le supprimant purement et simplement. Depuis le 15 mai dernier, il n’est plus possible de se constituer EIRL ni, pour le cessionnaire d’un patrimoine affecté de le maintenir tel s’il exerce déjà une activité professionnelle indépendante en son nom propre. A la place, le législateur a créé, un nouveau régime dont la particularité est de prévoir que «les éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel».
- C’en est donc fini de la théorie classique d’Aubry et Rau, selon laquelle une personne n’a qu’un patrimoine et réciproquement.
Le gouvernement a précisé ce nouveau régime par étapes.
Par un décret du 26 avril 2022, le ministre de l’économie et des finances a d’abord apporté des précisions sur l’articulation entre l’ancien et le nouveau régime. Ainsi, malgré la disparition du régime de 2010, les héritiers ou ayants-droits d’un entrepreneur individuel qui exerçait en EIRL peuvent reprendre, au décès de celui-ci, son activité sous ce régime.
Par un décret du 12 mai, il précise le nouveau régime en lui-même. Il détermine notamment la forme et le contenu de l’acte par lequel l’entrepreneur peut, sur demande écrite d’un créancier, renoncer à la protection de son patrimoine personnel (C. com., art L. 526-25, désormais complété par art. D.526-28 et 29). L’acte de renonciation est précisé par un arrêté du même jour en insérant un modèle type à l’annexe 5-3 du code de commerce (C. com., art.A. 526-6).
Le décret détermine également le régime de publicité et d’opposition au transfert universel du patrimoine professionnel prévu à l’article L. 526-27 du code de commerce (C. com., art. D. 526-30 et s.). Le cédant, le donateur ou l’apporteur en société doit ainsi publier au BODACC le transfert universel de son patrimoine professionnel, au plus tard un mois après sa réalisation. Les créanciers s’opposant à ce transfert ont alors un mois pour agir. L’état descriptif du patrimoine professionnel nécessaire au transfert est précisé par l’arrêté du même jour (C. com., art. A. 526-7). Il comporte :
– 1° La valeur globale de l’actif;
– 2° La liste des sûretés dont bénéficie l’entrepreneur individuel et les montants des créances garanties par elles;
– 3° La valeur globale du passif;
– 4° La liste des biens du patrimoine professionnel grevés d’une sûreté et, pour chacun des biens concernés, la nature de la sûreté et le montant de la créance garantie.
Le texte précise que «les valeurs mentionnées aux 1° et 3° sont celles figurant dans les comptes de l’entrepreneur individuel du dernier exercice clos précédant la date de la cession, de la donation ou de l’apport en société actualisé à la date du transfert, ou, lorsque l’entrepreneur individuel n’est pas soumis à des obligations comptables, à la date qui résulte de l’accord des parties. »
Enfin, le décret étend ce régime à Wallis et Futuna (C. com., art. D. 950-1-1).
Sur le terrain fiscal, le décret du 27 juin 2022 tire les conséquences de la disparition de l’EIRL en faisant en sorte que l’entrepreneur individuel puisse continuer à bénéficier de l’option entre l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) et l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés (IS). A priori, en effet, les entrepreneurs individuels qui exercent leur activité sous forme d’entreprise individuelle sont soumis à l’IRPP de plein droit, sans possibilité d’option pour l’IS. S’ils désirent soumettre les résultats de leur entreprise à l’IS, ils doivent apporter leur activité à une société soumise à cet impôt. Néanmoins, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 14 février 2022, ils pouvaient également choisir le régime juridique de l’EIRL, puis opter pour être assimilé à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) ou à une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL). La loi du 14 février dernier ayant supprimé la faculté de créer de nouvelles EIRL, l’option qui s’y attachait aurait dû disparaître par voie de conséquence. Toutefois, afin de maintenir l’ensemble des possibilités fiscales ouvertes pour les entrepreneurs individuels, l’article 13 de la loi de finances pour 2022 a permis l’assujettissement à l’IS en optant pour l’assimilation fiscale de l’entrepreneur individuel à une EURL ou une EARL, à l’instar des dispositions auparavant applicables aux EIRL, sans avoir à modifier leur statut juridique. Le décret du 27 juin précise ainsi les conditions dans lesquelles les entrepreneurs individuels pourront formuler l’option pour une telle assimilation ou, au contraire, y renoncer (CGI, Annexe III, art. 350 bis). - L’on observe ainsi que, conçu pour succéder à l’EIRL, le nouveau statut s’en inspire pourtant à certains égards. Selon la doctrine, ce statut comporte lui-même des fragilités, notamment au regard du droit patrimonial de la famille sur lequel le législateur a fait le choix de ne pas se positionner, au risque de permettre à l’entrepreneur d’accroître l’assiette de paiement des créanciers à l’ensemble des
biens communs du couple.
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