PARUTION DU DÉCRET RELATIF AU TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS DE L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL
Auteur : CLARA BOERI-CUCCHI
Étudiante en Master 2 Droit des Affaires, parcours contrat et entreprise
Université de Toulon
Le décret du n° 2022-890 du 14 juin 2022 relatif au traitement des difficultés de l’entrepreneur individuel participe grandement aux changements opérés par la loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante -dont il est le quatrième décret d’application. Cette loi s’inscrit elle-même dans la foulée du plan en faveur des indépendants annoncé par le président de la République le 16 septembre 2021. C’est dire l’attente que le législateur a suscitée vis-à-vis de cette réforme.
Ce décret complète ainsi l’article 5 de la loi du 14 février 2022 en modifiant le Livre VI du Code de commerce. En ce sens, le terme d’ « entrepreneur individuel à responsabilité limitée » est remplacé par celui d’entrepreneur individuel dans les parties consacrées à la consistance des biens de l’EIRL, aux pièces et mentions obligatoires pour l’ouverture d’une procédure collective, à l’action en extension, aux procédures collectives et aux sanctions pouvant en découler. Tel un phénix, l’EIRL disparaît et renaît de ses cendres sous la dénomination d’entrepreneur individuel. Sur ce point, certains ont pu reprocher un changement trop « précipité » du fait de l’interdiction de créer une EIRL après le 15 mai 2022. Cependant, dans sa terminologie, la notion d’entrepreneur englobe l’EIRL de manière assez évidente, ce qui laisse place à une interprétation plus large et contemporaine, sans rejeter les EIRL existantes.
La dualité des patrimoines. Tout part de l’évolution quant à la distinction des deux patrimoines. La notion de patrimoine consacrée par Aubry et Rau, portait préjudice aux entrepreneurs individuels. Qu’ils fussent commerçants, artisans ou professions libérales, ces derniers engageaient leur patrimoine personnel dans le cadre de leur activité professionnelle. Afin de limiter ces risques en cas d’ouverture d’une procédure collective, la loi Dutreil du 6 août 2003 avait mis en place une procédure de déclaration d’insaisissabilité visant à dégager la résidence de l’entrepreneur du gage de ses créanciers. Mais cette protection n’était pas systématique puisqu’elle devait résulter d’une déclaration notariée d’insaisissabilité permettant de préserver sa résidence principale d’éventuelles poursuites de ses créanciers. Le principe « une personne, un patrimoine » a dès lors commencé à s’étioler. Dans ce paysage, pour pallier les difficultés de trésorerie récurrentes des petites entreprises, la loi du 14 février en faveur de l’activité professionnelle indépendante a engendré une scission du patrimoine unique en un patrimoine professionnel et un patrimoine personnel et ce, sous réserve de certaines failles.
Mise à part l’adaptation du nouveau régime des entrepreneurs individuels dans la partie réglementaire du Code de commerce, l’on peut citer quelques modifications textuelles.
Événements relatifs à la mention du jugement d’ouverture de la sauvegarde. Cette mention pouvait être portée sur un registre spécial (V. supra) si une déclaration d’affectation avait été faite. A présent, est rajoutée une autre condition alternative :«si le débiteur est un entrepreneur individuel dont le statut est défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V ». Il est par ailleurs requis que le débiteur soit immatriculé à l’un des trois registres suivants: un registre spécial pour les EIRL n’étant pas tenus de s’immatriculer à un registre de publicité légale – au sens de l’article R. 526-15 -; un registre spécial pour les agents commerciaux – prévu à l’article R. 134-6 -; un registre des actifs agricoles pour tout chef d’exploitation agricole répondant aux conditions de l’article L. 311 du code rural et de la pêche maritime.
Contenu de l’assignation aux fins d’extension de la procédure ou de réunion des patrimoines de l’entrepreneur. A l’alinéa 3 de l’article R. 621-8-1 du Code de commerce, l’identification, la signification et la convocation du destinataire de l’assignation peuvent être complétées par la « dénomination de l’entrepreneur dont le statut est défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V ainsi que l’objet de son ou ses activités professionnelles» en sus de la dénomination de l’EIRL – notons ici que le terme d’EIRL a été conservé : est-ce un oubli du législateur ?
Évolutions substantielles. A l’article R. 622-16 alinéa 1er du Code de commerce, «le solde des comptes bancaires de l’entreprise» est remplacé par «le solde des comptes bancaires du débiteur». D’un point de vue juridique, il s’agit là d’une conception plus large puisque l’entreprise en difficulté est soumise uniquement aux procédures amiables et collectives tandis que le débiteur peut être une entreprise ou un particulier dont la déconfiture est régie par la procédure de surendettement.
Enfin, le bien de l’entrepreneur est à présent « compris» dans son patrimoine et non plus « affecté » à l’article R. 643-5. En effet, l’EIRL présentait comme inconvénient majeur la complexité du formalisme de la déclaration d’affectation. La commutation des deux mots n’est donc que le corollaire logique de la création du nouveau statut de l’EI.
A la lumière de ces rares modifications, surgit la question de l’intérêt réel du décret du 14 juin 2022. Bien que l’on puisse penser que tout ce qui précède n’est finalement qu’une pâle copie des décrets antérieurs appliqués à la partie réglementaire, le décret sous étude constitue l’acmé d’une série de réformes tendant à protéger et rendre attractif le statut d’entrepreneur individuel jusqu’à présent boudé par les agriculteurs, artisans ou professions libérales avec l’EIRL.
Effets du décret d’application. La grande nouveauté réside dans l’insertion d’un titre VIII Bis au Livre VI de la partie réglementaire du Code de commerce. Celui-ci débute par un article R. 681-1 qui détaille le contenu de la demande d’ouverture d’une procédure collective conformément à l’article L.981-1. Cette demande doit, en effet comporter «la situation de trésorerie, l’état chiffré des créances et des dettes, l’état actif et passif des sûretés […] et l’inventaire sommaire des biens». Précisons que le nom du créancier et le montant de l’engagement sont mentionnés dans les actes de renonciation à la protection du patrimoine personnel de l’EI. Dans cette demande d’ouverture, le débiteur peut solliciter le bénéfice des mesures du traitement de sa demande de surendettement -régies par les articles du titre VII du code de la consommation.
L’article R. 681-2, rappelle brièvement que «l’accord du débiteur peut être recueilli lors de l’audience au cours de laquelle le tribunal examine la demande d’ouverture d’une procédure».
En outre, aux termes de l’article R. 681-3, le tribunal doit apprécier « dans un même jugement si les conditions d’ouverture sont alternativement ou cumulativement»réunies. Autrement dit, si le patrimoine professionnel est engagé, une procédure collective pourra être ouverte. Si le patrimoine personnel pose difficulté, une procédure de surendettement pourra être ouverte – mais l’un n’empêche pas l’autre.
L’article R. 681-4 concerne quant à lui la publication du jugement d’homologation de l’accord de conciliation et du jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde en soulignant que «le jugement est notifié par le greffe au débiteur et aux créanciers dont l’existence a été signalée par le débiteur» et éventuellement au mandataire judiciaire, au ministère public et à l’administrateur judiciaire s’il en a été désigné un (alinéa 2).
En cas de recours, les parties disposent d’un délai de dix jours à compter de la notification du jugement tandis que le créancier qui n’est pas partie au jugement a la possibilité de contester «la séparation des patrimoines de l’entrepreneur individuel» par déclaration au greffe dans un délai de dix jours à compter de la notification qui lui a été faite ou de la publication du jugement au Bodacc.
Enfin, le dernier article de ce titre nous fait part de l’échange d’information entre le tribunal et la commission de surendettement, entendu comme les décisions, mesures et pièces versées aux dossiers, susceptibles « d’éclairer la situation financière générale de l’entrepreneur individuel concerné par les deux procédures».
Ébauchant les contours du nouveau régime applicable au traitement des difficultés de l’entrepreneur individuel, ce décret appelle à d’autres réformes. Preuve en est, le décret du 27 juin 2022 relatif aux modalités d’option de l’EI pour l’assimilation au régime de l’EURL ou de l’EARL et de renonciation à l’option pour l’impôt sur les sociétés. A l’évidence, encadrer rigoureusement ce nouveau statut d’EI permettra d’éclairer notamment les juges consulaires qui peuvent rapidement se trouver démunis en l’absence de textes explicites – particulièrement à propos de l’articulation entre la procédure collective et la procédure de surendettement ou l’actionnement du droit de gage des créanciers professionnels face à la dyade des patrimoines.
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