L’IRRECEVABILITÉ DU RECOURS FORMÉ CONTRE L’ORDONNANCE DE TAXE NE DISPENSE PAS L’AVOCAT DE LA FAIRE RENDRE EXÉCUTOIRE
Auteur : JEAN CAPIEZ
Procédure civile
CA Aix-en-Provence, 5 avril 2022, n° 21/12944
Président: C. Leroi
Avocats: Me Anne-Laure V.
Le bâtonnier qui se prononce sur les honoraires dus à un avocat rend une ordonnance non-exécutoire. Pour qu’elle le devienne, l’intervention d’un véritable juge est nécessaire. Lequel ?
Deux cas faciles sont envisageables, car un texte y répond (Décret n° 91-1197, art. 178 : « Lorsque la décision prise par le bâtonnier n’a pas été déférée au premier président de la cour d’appel (…), elle peut être rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire à la requête, soit de l’avocat, soit de la partie »). Si personne ne conteste l’ordonnance, il faut saisir le président du TJ, qui la rendra exécutoire. Si l’une des parties la conteste, elle doit saisir premier président de la CA. Ce dernier ne la rend alors pas exécutoire, mais produit une nouvelle décision exécutoire en elle-même.
Mais voilà un cas difficile, auquel le texte ne répond pas : que se passe-t-il lorsque, dans la deuxième hypothèse, le premier président de la CA se limite à déclarer le recours irrecevable ?
Il est délicat d’y voir une décision exécutoire, puisque le juge ne s’est pas prononcé au fond sur le montant des honoraires, pas plus qu’il n’a confirmé la décision du bâtonnier (La CA ne peut dire le recours irrecevable puis confirmer la décision. Il faut en passer par le TJ (Civ. 1re, 13 oct. 1999, n° 96-22.883, Bull. 1999, 271. 177). Les juges aixois retenaient pourtant l’inverse en 2016, au motif que le texte applicable donne force exécutoire sans distinguer entre l’irrecevabilité et la recevabilité (CA Aix-en-Provence, 24 novembre 2016, 4e chambre A, n° 16/02975) (ce qui est inexact, on le verra). Notre arrêt rejette cette analyse, s’alignant ainsi sur une récente décision de la Cour de cassation (Civ. 2e, 27 mai 2021, n° 17-11.220 : JurisData n° 2021-007868 ; JCP G. 2021. 35. 862, note H. Herman – Procédures 2021. 7. 187, obs. Y. Strickler – D. actu. 7 juin 2021, obs. J.-D. Pellier – Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin ; RTD civ. 2021. 704, obs. N. Cayrol).
L’avocat n’est donc muni d’aucun titre exécutoire. Reste qu’il peut toujours, selon ces deux derniers arrêts, saisir le TJ à cette fin. Selon nous, c’est ici que se trouve le vrai problème.
En effet, le texte applicable dispose que le TJ peut intervenir « lorsque la décision prise par le bâtonnier n’a pas été déférée » à la CA. A contrario, il ne le peut donc pas en cas de recours. Et, puisque le texte ne distingue pas entre la recevabilité et l’irrecevabilité du recours, le TJ ne devrait jamais pouvoir être saisi après la CA.
L’erreur de l’arrêt de 2016, qui utilisait cet argument, était de faire comme si le texte tranchait le caractère exécutoire de la décision de la CA, alors qu’il ne traite que des cas dans lesquels le TJ peut être saisi, ce qui est différent.
L’impossibilité de saisir le TJ conduirait toutefois à des conséquences dramatiques pour les avocats, ce qui peut expliquer la contrariété de la décision avec les textes. Le mauvais payeur n’aurait qu’à organiser son irrecevabilité devant la CA, par exemple en formant un recours volontairement tardif (Décret n° 91-1197, art. 176 : « La décision du bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d’appel (…). Le délai de recours est d’un mois »). L’avocat ne disposerait alors d’aucun titre exécutoire, et ne pourrait en obtenir aucun : il ne pourrait jamais se faire payer. Pour refuser que l’irrecevabilité devant la CA confère un titre exécutoire, il fallait permettre d’en obtenir un au TJ.
L’arrêt est introuvable sur les bases de données. En voici donc une partie, reconstruite à partir de sa transcription au sein d’un autre arrêt ici traité, intervenant dans une autre instance du même litige.
MOTIFS
« La décision prise par le bâtonnier d’un ordre d’avocats sur une contestation en matière d’honoraires, fût-elle devenue irrévocable par suite de l’irrecevabilité du recours formé devant le premier président de la cour d’appel, ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d’un jugement.
Elle ne peut dès lors faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée qu’après avoir été rendue exécutoire par une ordonnance du président du tribunal judiciaire, seul habilité à cet effet, que M. [C], qui ne dispose pas d’ores et déjà d’un titre exécutoire se suffisant à lui-même, est fondé à obtenir.
Il y a lieu en conséquence de faire droit à la requête de M. [I] [C] et d’infirmer l’ordonnance l’ayant déclarée irrecevable »
DISPOSITIF
« Vu la requête devant le président du tribunal de grande instance de Nice en date du 30 novembre 2017 aux fins d’apposition de la formule exécutoire en matière de recouvrement d’honoraires d’avocats :
Vu l’arrêt de la Cour de cassation en date du 27 mai 2021 :
Vu les articles L. 111-2 et L. 111-3, 1 ° et 6°, du code des procédures civiles d’exécution, 502 du code de procédure civile et 178 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat :
– Infirme l’ordonnance en date du 19 décembre 2017 déférée,
– Rend exécutoire l’ordonnance de taxe rendue par le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Nice le 1er août 2002 au profit de M. [I] [C], tant à l’encontre des sociétés Azul Résidence (RCS Fréjus n° 412 635 294) et Baticos (RCS Fréjus n° 643 750 037), qu’à l’encontre de [P] [J], aux droits et obligations duquel, étant décédé le 16 avril 2012, viennent aujourd’hui ses trois filles héritières, Mmes [V] [J], [U] [J] et [K] [J], redevables ès qualités de la somme principale de 500’000 € hors taxes, soit 598’000 €,
– Dit que le présent arrêt statuant sur requête sera exécutoire sur présentation de la minute, en application de l’article 495 du code de procédure civile ».
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