FAUTE INEXCUSABLE EXCLUSIVE D’INDEMNISATION DU PIÉTON : ILLUSTRATION PRATIQUE
Auteur : IOLANDE VINGIANO-VIRICEL
Responsabilité civile / Responsabilité en cas d’accident de la circulation/ Cause exonératoire de responsabilité en cas d’accident de la circulation/ Faute inexcusable de la victime de l’accident/ Faute volontaire de la victime / Faute d’une exceptionnelle gravité/ Victime sous l’emprise de divers produits stupéfiants/ Victime ayant traversé à pied de nuit de manière intempestive sans raison valable une voie de grande circulation munie de glissières de sécurité ininterrompues destinées à empêcher les piétons de traverser / Absence d’éclairage public / Victime sans vêtement lumineux ou réfléchissant / Danger bravé évident / Automobiliste ayant mis en garde la victime / Pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis / Rejet.
Cass. 1ère civ., 20 avril 2023, n°21-22.374, JurisData n°2018-022046 Sur pourvoi : CA Aix-en-Provence, 1ère et 6ème ch. réunies, 27 mai 2021, n°19/04189, JurisData n° 2021-008380
Résumé : Commet une faute inexcusable cause exclusive de l’accident de la circulation dont il est victime, le piéton décédé après avoir été percuté alors qu’il traversait une voie de grande circulation à pied, de nuit, et sans vêtement lumineux ou réfléchissant et après avoir consommé des stupéfiants. Ce comportement volontaire, malgré les avertissements reçus préalablement au choc, caractérisait une faute inexcusable en lien de causalité avec l’accident survenu et justifiait l’exclusion d’indemnisation.
Observations : 1 – Droit à indemnisation versus limites d’indemnisation. En France, les victimes d’accident de la circulation bénéficient d’un régime juridique d’indemnisation unique permettant de mettre en cause l’assureur des véhicules impliqués. Ces dispositions favorables, associées aux exigences d’assurance automobile[1], distinguent néanmoins droit à indemnisation et quantum de l’indemnisation, ce dernier étant apprécié selon la qualité de la victime (conductrice ou non conductrice). Dans cette mesure, si au titre de son droit à indemnisation une victime peut être désintéressée par le solvens (l’assureur du véhicule impliqué) et ce dans des délais encadrés par la loi[2], ce dernier dispose néanmoins de la possibilité de limiter l’étendue de cette indemnisation. En effet, en application des articles 3 et 5 de la loi du 5 juillet 1985, dite loi Badinter, une faute simple a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages aux biens subis par les victimes non conductrices (art.5) alors que la preuve d’une faute inexcusable ou intentionnelle est exigée pour limiter ou exclure l’indemnisation des dommages corporels (art. 3). La faute inexcusable de la victime est appréciée restrictivement, une jurisprudence constante la définissant comme une « faute volontaire d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience »[3].
En l’espèce, la victime est décédée après avoir été percutée par un véhicule en circulation, alors qu’elle se déplaçait à pied. Le droit à indemnisation de la victime n’était pas discuté : il s’agissait bien entendu d’un accident de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur[4], et à ce titre soumis aux dispositions de la loi Badinter. En revanche, le comportement de la victime soulevait la question de savoir si une faute inexcusable pouvait limiter son droit à indemnisation.
La Cour de cassation, saluant une décision motivée des juges d’appel aixois, valide la caractérisation de faute inexcusable et rejette le pourvoi. Cette décision qui s’inscrit dans la suite logique des précédents judiciaires mérite néanmoins quelques lignes dans la mesure où il existe assez peu d’exemples de faute inexcusable exclusive du droit à l’indemnisation d’une victime non conductrice[5].
2- Appréciation du comportement de la victime non conductrice, cause exclusive de l’accident. Les décisions caractérisant une faute inexcusable de la victime non conductrice ne sont pas légion. Au contraire, ces dernières années, la Cour de cassation avait même écarté l’état mental du périmètre de la faute inexcusable, en admettant que la victime, dans un état de confusion mentale au moment de l’accident ou, à tout le moins, d’absence momentanée de discernement, ne commettait pas de faute inexcusable exclusive d’indemnisation[6]. Le pourvoi faisait d’ailleurs référence à cet arrêt en évoquant le manque de discernement de la victime. Sous l’effet de stupéfiants, celle-ci aurait été « privé du discernement nécessaire lui permettant d’avoir conscience du danger encouru ». Ce faisant le pourvoi critiquait donc la caractérisation du comportement de la victime, la faute commise par celle-ci ne pouvant être assimilée à une faute inexcusable.
En effet, une double exigence, de surcroît cumulative, est exigée quant à la nature de la faute et à la causalité avec l’accident survenu. Ce qui limite les illustrations pratiques de ce qu’est une faute inexcusable exclusive du droit à indemnisation des victimes non conductrices. En l’espèce, la Cour de cassation a relevé la motivation abondante des juges du fond préalablement à la caractérisation du comportement de la victime. Il est vrai que le comportement de la victime était saisissant. La victime « qui était sous l’emprise de divers produits stupéfiants, a traversé à pied, de nuit, de manière intempestive, sans raison valable, une voie de grande circulation munie de glissières de sécurité ininterrompues destinées à empêcher les piétons de traverser, en l’absence d’éclairage public et sans être habillé d’un vêtement lumineux ou réfléchissant ». La nature de la faute, « un comportement volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » pouvait difficilement être discutée tant la victime avait multiplié les comportements fautifs (consommation de stupéfiants, traversée à pied et de nuit et de manière intempestive une voie de grande circulation, absence de vêtement lumineux…). Il en allait de même s’agissant de la preuve du rôle causal de ce comportement puisque l’arrêt d’appel « énonce ensuite que le danger bravé était évident alors même qu’un automobiliste avait, juste avant l’accident, stationné son véhicule et l’avait interpellé en le mettant en garde et en l’exhortant à ne pas rester sur la chaussée ». En conséquence, même si intrinsèquement la victime avait pu ne pas être consciente du danger encouru, celle-ci avait été alertée préalablement à l’accident mais n’avait pas tenu compte de l’avertissement reçu et poursuivi sa traversée inconsidérée. Dès lors, la faute inexcusable pouvait être prononcée, excluant ainsi toute indemnisation de la victime. Sans révolutionner la définition de la faute inexcusable exclusive de l’indemnisation de la victime non conductrice, l’arrêt en apporte une illustration pratique fort utile à l’enseignement des dispositions de la loi Badinter.
[1] V. not. : L. n°58-208 du 27 févr. 1958 instituant d’une obligation d’assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur, JORF du 28 févr. 1958, p. 2148.
[2] L. n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation (1), JORF du 6 juillet 1985.
[3] Cass. 2e civ., 20 juill. 1987, n° 86‑16.236: Bull. civ. 1987, II, n° 160.
[4] Sur les critères d’application de la loi Badinter, V. not. notre ouvrage « Véhicule autonome : qui est responsable ? », LexisNexis, coll. Actualité, 2019, n°44 à 46
[5] Pour une illustration récente d’une faute limitative d’indemnisation du conducteur, V. notre note sous Cass.2eme civ. 11 mai 2023, n°22-22.884, « Faute de conduite exclusive d’indemnisation du conducteur », Jurisprudence automobile, 2023, à paraître.
[6] Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n° 16‑11.986, Publié au Bulletin.
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