LA SECTION VOLONTAIRE DU FLEXIBLE DE FREIN D’UN VÉHICULE EST INSUFFISANTE POUR CARACTÉRISER UNE INTENTION HOMICIDE
Qualification pénale / Commencement d’exécution / Tentative d’assassinat / Dégradation de bien / Dommage grave
Auteur : JULIE FIGUIÈRE-CROUZET
Doctorante contractuelle en droit pénal et sciences criminelles
Laboratoire de Droit privé et de sciences criminelles (EA4690)
Faculté de droit et de sciences politiques, Aix-Marseille Université
Qualification pénale / Commencement d’exécution / Tentative d’assassinat / Dégradation de bien / Dommage grave
CA Aix., ch. 5-3, 29 avr. 2021, Juris-data n°2022-024383
Président : F. Castoldi
Avocat : Me J. Metenier
Résumé : Le prévenu qui sectionne les câbles de frein du véhicule de sa conjointe n’est coupable que de destruction volontaire d’un bien et non pas de tentative d’assassinat au sens de l’article 121-5 du Code pénal en l’absence d’éléments suffisants pour caractériser l’intention homicide.
Observations : 1- L’opération de qualification pénale des faits correspond à la « détermination de l’infraction par rattachement du fait en cause à l’infraction définie par la loi »[1] ; autrement dit, à la « détermination de la nature exacte d’une infraction »[2]. Il est fréquent que celle-ci fasse l’objet de désaccords, notamment lorsqu’un même fait est susceptible de relever de plusieurs qualifications pénales, puisqu’en vertu du principe de légalité, la qualification doit « revêtir les faits comme un gant ; elle ne doit être ni trop large, ni trop étroite » [3]. En effet, les conséquences pratiques de la qualification démontrent l’importance accrue de cette opération, et la dimension morale de l’infraction, en ce qu’elle est moins préhensible que sa dimension matérielle, peut être délicate à appréhender, en témoigne l’arrêt étudié.
2- L’arrêt rendu par la chambre 5-3 de la cour d’appel d’Aix-en-Provence concerne un individu ayant sectionné le flexible de frein du véhicule de sa conjointe. Initialement, ces agissements ont fait l’objet de poursuites sous la qualification de tentative d’assassinat, le réquisitoire introductif relevant un commencement d’exécution du fait de la dégradation délibérée des câbles de frein du véhicule utilisé par la victime. En outre, la tentative n’aurait été interrompue, tel que le requiert l’article 121-5 du Code pénal, qu’en raison « de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur »[4], la victime étant parvenue à conserver la maîtrise de son véhicule en circulation. Aux termes d’un réquisitoire définitif, le parquet d’Aix-en-Provence a requis une requalification des faits en destruction ou dégradation grave[5], et le requérant a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de ce chef.
3- En vue de retenir une qualification criminelle à l’encontre du conjoint de la victime, il appartenait au juge répressif de caractériser la tentative d’assassinat, laquelle se manifeste par un commencement d’exécution. Si la jurisprudence a longtemps été divisée entre conception objective et subjective de cette notion[6], il semblerait que le commencement d’exécution se caractérise désormais par la présence concomitante d’un élément matériel et psychologique, ce dernier correspondant à la volonté de l’agent[7]. Ainsi, s’il n’existe aucune définition légale du commencement d’exécution, la chambre criminelle en a dessiné les contours, précisant qu’il se caractérise par des actes tendant « directement au délit avec intention de le commettre »[8], l’adverbe « directement » s’entendant comme ayant « pour conséquence directe et immédiate de consommer le crime »[9]. Or, dans les faits de l’espèce, le mis en cause contestait toute intention criminelle, conduisant ainsi le magistrat instructeur à opter pour une qualification délictuelle, faute d’éléments corroborant le dessein homicide.
4- Manifestement, le seul fait de sectionner les câbles de frein d’un véhicule à deux endroits est insuffisant pour caractériser l’animus necandi. Pour autant, le commencement d’exécution a déjà pu être considéré comme étant caractérisé à propos de faits pour le moins équivoques[10]. En outre, s’il apparaît que les magistrats se sont ici montrés particulièrement attentifs à la caractérisation du dol spécial, la motivation succincte utilisée à l’appui de la décision peut laisser perplexe. En effet, le magistrat instructeur a retenu que la volonté du mis en examen « de restaurer sa place auprès de son épouse désireuse de le quitter paraît correspondre à une réalité, certes peu rationnelle mais toutefois très tangible » pour déduire l’absence d’élément moral. Force est de constater qu’une confusion manifeste a ici été opérée avec la notion de mobile, en principe indifférente à la qualification pénale, et ce même dans l’hypothèse d’un mobile louable[11]. En tout état de cause, s’il est audible que le prévenu souhaitait « restaurer sa place auprès de son épouse », le procédé employé l’est moins, et suscite des questionnements quant à l’intention du mis en cause dès lors qu’une dégradation moins hasardeuse pouvait indéniablement lui permettre de parvenir à la même fin.
5- C’est par un raisonnement laconique, proche de la pétition de principe, qui « consiste à postuler ce qu’on devait précisément prouver, à supposer vrai ce qui, en fait, est en question »[12], que les magistrats ont conclu à l’absence d’intention homicide. S’il n’est plus à démontrer qu’en vertu de l’aphorisme in dubio pro reo, le juge fait bénéficier le prévenu du doute à défaut de charges suffisantes[13], il eut été édifiant d’obtenir de plus amples informations sur le contexte conflictuel entourant la relation entre le prévenu et la victime, laquelle fait état de violences « essentiellement verbales », ou encore sur le degré d’endommagement du flexible de frein, pouvant potentiellement fournir davantage d’indications quant à la réelle intention du mis en cause.
6- De surcroît, cette décision semble n’être qu’une illustration de la pratique de la correctionnalisation, qui, occultant les circonstances matérielles de l’espèce[14], applique une qualification délictuelle à des faits potentiellement constitutifs d’un crime. Si ce choix participe à n’en pas douter du désengorgement des rôles de la cour d’assises[15], il est envisageable qu’il ait été conditionné au résultat de la section d’un organe essentiel de sécurité, et qu’une autre qualification aurait été privilégiée dans l’hypothèse d’une issue fatale pour la victime.
7- En définitive, le recours à la correctionnalisation dans le cas d’espèce surprend moins que le choix de qualification. En effet, faute de pouvoir poursuivre et condamner un individu sous une autre qualification[16], un changement de paradigme s’est imposé aux magistrats, les contraignant ainsi à passer d’une atteinte à l’intégrité physique à une atteinte aux biens. Les faits soumis à l’analyse sont à l’évidence révélateurs d’un vide juridique, le fait de faire intentionnellement encourir un risque de blessures ou de mort ne tombant pas, pour l’heure, sous le coup de la loi pénale.
[1] G. Cornu, Association Capitant, Vocabulaire juridique, coll. Quadrige, 11e éd., éd. PUF, 2015, 1101 p., v. Qualification.
[2] B. Bouloc, Procédure pénale, coll. Précis, 28e éd., éd. Dalloz, 2022, 1266 p., n°700, p.640.
[3] E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, préface de P. Bonfils, coll. Laboratoire de droit privé & de sciences criminelles, éd. PUAM, 2013, 542 p., n°131, p.101.
[4] C. pén., art. 121-5.
[5] S’agissant des destructions volontaires, c’est la gravité du dommage qui permet de déterminer la nature de l’infraction. Il s’agira d’un délit en cas de dommage grave, réprimé par l’article 322-1 du Code pénal, d’une contravention en cas de dommage léger, prévue par l’article R.635-1 du Code pénal.
[6] B. Bouloc, Droit pénal général, 27e éd., éd. Dalloz, 2021, 821 p., p.248.
[7] F. Debove, F. Falletti et I. Pons, Précis de droit pénal et de procédure pénale, 9e éd., éd. PUF, 2022, 1247 p., p.228
[8] Cass. crim., 8 nov. 1972, n°72-91.720.
[9] Cass. crim., 25 oct. 1962, n°99-82.512; v. égal. Cass. crim., 18 août 1973, n°73-90.434.
[10] Cass. crim., 13 janv. 2021, n°20-85.791 ; P. Beauvais, « Tentative punissable : l’approche pragmatique et subjective de la Cour de cassation », RSC, 2021, p.607 : l’auteur rappelle que si le mis en cause, qui attendait armé dans son véhicule, a premièrement déclaré être venu pour donner la mort à son associée, il se trouvait dans un état d’ébriété, et a également menacé les policiers de leur jeter une grenade, menace étant totalement imaginaire. En outre, l’attente prolongée dans son véhicule a été interprétée comme une « volonté inébranlable de passer à l’acte », mais l’auteur propose une autre interprétation tout aussi plausible. En effet, le fait que le mis en cause n’ait pas cherché de façon active sa victime peut s’analyser comme « le signe diffus d’une forme d’irrésolution ».
[11] A. Dejean de la Bâtie, « Droit pénal et mobiles militants : de l’indifférence à la déférence », AJP, 2020, p.21 ; B. Bouloc, « Élément intentionnel de l’infraction : indifférence du mobile », RSC, 1993, p.311.
[12] B. Buffon, La parole persuasive : théorie et pratique de l’argumentation rhétorique, coll. L’interrogation philosophique, éd. PUF, 2002, 478 p., p.281.
[13] S. Guinchard, J. Buisson, Procédure pénale, 14e éd., LexisNexis, 2021, 1567 p., p.469 ; J. Pradel, Procédure pénale, 12e éd., Cujas, 2004, 947 p., p.329.
[14] D. Rebut, « Correctionnalisation. – Quelle place pour les cours d’assises ? », JCP G, 6 septembre 2010, n°36, doctr. 887.
[15] S. Detraz, « Correctionnalisation judiciaire légalisée », JCP G, 5 juillet 2010, n°27, act. 758 ; A. Darsonville, « La légalisation de la correctionnalisation judiciaire », Droit pénal, mars 2007, n°3, étude 4.
[16] La tentative de délit doit être spécifiquement prévue par la loi : Crim. 5 juin 1886 : DP 1888. 1. 47, ce qui n’est pas le cas des violences.
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