ENTRE APPLICATION OBJECTIVE ET SUBJECTIVE DU DROIT DE LA CONSOMMATION AU CONTRAT HORS ÉTABLISSEMENT CONCLU ENTRE PROFESSIONNELS, UNE CONFUSION PERSISTANTE
Droit économique/ Droit de la consommation/ Contrats/ Nullité
Auteur : Anne-Cécile KNECHT
Etudiante en M2 Droit civil et Droit international privé à Aix-Marseille Université
Laboratoire de Droit privé et de sciences criminelles
Contrat hors établissement / Article 221-3 du Code de la consommation/ Obligation d’information /Droit de rétractation / Compétences et connaissances du petit professionnel / Abandon du critère du rapport direct / Délimitation du critère du champ de l’activité principale
CA Aix, 3e ch., 9 décembre 2021, n°19/00178
Président : C. Cesaro-Pautrot
Avocats : Me M. Lombardi et Me N. Mattei
Résumé : Dans le cadre d’un contrat hors établissement, l’installation d’un système d’alarme en tant qu’objet du contrat n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel de restauration qui peut ainsi bénéficier de l’application du droit de la consommation.
Observations : 1- Traditionnellement la qualification du contrat hors établissement et l’application du régime consumériste dont il découle dépend du fait que cet acte est le fruit du démarchage d’un professionnel qui conclut un contrat hors de son siège social avec un consommateur. Pourtant, depuis la loi dite « Hamon »[1], la qualification du contrat hors établissement est étendue aux conventions conclues entre deux professionnels dès lors notamment que « l’objet du contrat ne rentre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel »[2] démarché. L’appréciation de ce dernier critère prête encore à confusion comme le démontre cet arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 9 décembre 2021.
En l’espèce, en août 2016, un restaurant-pizzeria a conclu un contrat avec une société d’installation de système d’alarme. La société de surveillance n’a accompli aucune formalité particulière au moment de l’installation et n’a envoyé qu’une facture au restaurant. L’exploitant de l’établissement de restauration assigne la société de surveillance en nullité du contrat de prestation de services pour non-respect de l’obligation d’information précontractuelle portant sur le droit de rétractation[3].
La société de surveillance conteste l’opposabilité de cette disposition, faisant valoir que la conclusion du contrat entrait dans le cadre de l’activité professionnelle du restaurant puisque le système d’alarme servait directement à cette activité, et qu’en sa qualité de professionnel ce dernier ne pouvait revendiquer à son profit l’application des dispositions du droit de la consommation.
Le restaurant soutenait quant à lui remplir les conditions cumulatives d’application du droit consumériste. Il employait en effet moins de cinq salariés et faisait valoir que l’objet du contrat litigieux n’entrait pas dans le champ de son activité principale[4]. Le contrat avait en outre été conclu hors du siège de la société de surveillance
Le raisonnement ainsi tenu par l’exploitant de l’établissement de restauration a été approuvé par le juge de première instance. La société de surveillance a donc interjeté appel de la décision, en arguant que le système de surveillance et d’alarme entrant dans le champ d’activité du professionnel, de sorte que les dispositions consuméristes devaient être écartées.
La Cour d’appel rejette également les prétentions de l’appelante en relevant que le matériel de surveillance et d’alarme, objet du contrat, ne peut être considéré comme entrant dans le champ de l’activité principale d’une pizzeria dont l’activité est la restauration, dès lors que l’intimé n’avait aucune connaissance ni compétence en matière de système d’alarme. Par conséquent, le restaurant aurait dû être informé du délai et des modalités de son droit à rétractation. Le non-respect de cette obligation précontractuelle amène donc à prononcer la nullité du contrat.
2- Malgré la juste appréciation des nouvelles conditions d’applicabilité du droit de la consommation au professionnel dans un contrat hors établissement, l’opportunisme de l’analyse des compétences de l’intimé par la Cour d’appel apparait contestable et appelle quelques observations. En effet, bien qu’elles soient prises en compte dans l’élaboration législative[5], l’appréhension par le juge de l’expertise du « petit professionnel » quant à l’objet du contrat conclu est non seulement absente des textes mais volontairement écartée par le législateur.
3- Pour rappel, dès 1972[6], l’application du droit de la consommation a été étendue aux contrats de démarchage téléphonique (les ancêtres des contrats hors établissement) conclus entre deux professionnels dès lors que la convention n’avait pas un « rapport direct » avec l’activité professionnelle de la personne démarchée.
La jurisprudence après hésitation avait d’abord estimé que ce critère du rapport direct était à appréhender de manière subjective. Autrement dit, il fallait que le juge vérifie si l’objet du contrat rentrait dans le champ des compétences du professionnel sollicité. Toutefois, elle abandonne cette considération pour une approche finaliste qui n’étudie que l’utilité de l’objet du contrat à l’activité professionnelle[7]. Ainsi, en principe, le critère du rapport direct permettait d’établir si l’objet du contrat était utilisé à des fins professionnelles par le professionnel sollicité mettant alors de côté l’appréciation de ses connaissances face à l’objet du contrat. C’est d’ailleurs cette jurisprudence dont la société de surveillance a voulu se prévaloir en soulevant que le droit de la consommation ne pouvait pas s’appliquer en l’espèce dès lors que le « système d’alarme entrait dans le cadre de l’activité commerciale de l’intimée, à savoir l’activité sereine de son restaurant ».
Cependant, l’application du critère du rapport direct par les juges menait à des décisions jurisprudentielles contradictoires.[8] Ainsi, la loi Hamon, substituant à l’ancien article L.121-16-1 III du Code de la consommation le nouvel article L. 221-3, a marqué une rupture avec le droit antérieur. L’objet du contrat n’a plus à être en « rapport direct » avec l’activité professionnelle du démarché mais doit « entrer dans le champ de son activité principale ».
4-Par application de cette disposition, la Cour d’appel détermine que dès lors que le professionnel a pour activité recensée « l’exploitation d’un restaurant-pizzeria », l’installation d’un système d’alarme ne pourrait donc pas rentrer « à l’évidence » dans le champ de son activité principale de restauration. Au regard de la récente jurisprudence, le raisonnement de la Cour d’appel d’Aix ne manque pas de cohérence. En ce sens, la Cour de cassation avait déjà estimé que la création d’un site internet n’entrait pas dans le champ de l’activité principale d’une architecte[9]. Il était alors logique que l’installation de système d’alarme n’entrerait pas non plus dans le champ de l’activité principale d’un restaurant. Bien que les objets de ces contrat avaient vocation à assurer une certaine pérennité de l’affaire et à satisfaire un besoin professionnel, ils demeurent secondaires à l’activité de restauration.
Cette position jurisprudentielle est déjà entérinée dans la jurisprudence de la Cour d’appel d’Aix comme le démontre le foisonnant contentieux local autour des contrats de leasing de photocopieuses conclus hors établissement. Ainsi, bien qu’utile à l’activité, le photocopieur demeure secondaire à l’activité du plombier ou du médecin et n’entre donc pas dans le champ de leur activité principale[10].
Pour autant, l’appréhension de cette notion, qui semble relever du bon sens, peut devenir rapidement épineuse. En effet, comment distinguer ce qui est utile de ce qui est nécessaire à l’activité principale du professionnel ?
L’instauration de ce nouveau critère a en effet été fréquemment critiquée par la doctrine au motif qu’il est à l’origine des mêmes difficultés que celles générées par l’application du critère du rapport direct anciennement retenu, dont l’appréciation était incertaine et imprévisible en l’absence de définition légale.[11] Néanmoins, il paraît peu probable que le législateur clarifie à l’avenir la notion dès lors que la Cour de cassation a refusé de transmettre une Question Prioritaire de Constitutionalité (QPC) portant sur l’intelligibilité du nouveau critère « champ de l’activité principale ».[12]
5- Au final, l’appréciation par la Cour d’appel de ce qui peut relever du champ de l’activité principale du professionnel sollicité n’a rien d’inédit vu ces récentes évolutions légales et jurisprudentielles. Toutefois, c’est son étude des compétences et connaissances du dirigeant du restaurant en matière de système d’alarme qui demeure problématique, dans l’arrêt commenté, comme aux termes d’autres décisions relatives à la même problématique[13]. L’esprit du droit de la consommation se traduit par la mise en œuvre de présomptions relatives aux connaissances des différents acteurs, consommateurs et professionnels. Au même titre que le consommateur est toujours considéré partie faible du contrat, l’objectif du législateur est que le « petit » professionnel soit ainsi «protégé s’il contracte dans un champ de compétence qui n’est pas le sien »[14]. Cette protection souhaitée du consommateur est aussi un objectif du droit européen dont découle le droit français en la matière[15] comme cela est rappelé dans l’arrêt Costea, la CJUE ayant souligné que « le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles‑ci ».[16]
De ce fait, aussi bien le législateur européen que le législateur français ont cherché à exclure une applicabilité subjective du droit de la consommation[17]. Outre les critères objectifs énoncés en l’article L.221-3 du Code de consommation, cette intention peut se constater à la lecture de l’article liminaire du même code qui définit le consommateur et le professionnel. En vertu de ce texte, un consommateur est « juste » une personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle et le professionnel est « juste » une personne physique ou morale qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, artisanale, agricole, etc. Ainsi, le droit de la consommation s’applique en principe dès lors que le contrat lie un professionnel à un consommateur, indépendamment de leurs connaissances.
Cette mise en évidence des connaissances du restaurateur par le juge aixois dans l’arrêt susvisé en date du 9 décembre 2021 peut sembler dépourvue d’incidence, mais elle est en réalité déterminante car elle peut mener à cassation d’arrêt pour violation de la loi en cas de refus d’application des dispositions consuméristes fondé sur un critère étranger à celui imposé par la loi. [18]
[1] L. n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.
[2] Article L.221-3 du Code de la consommation.
[3] Article L.221-5 et suivants du Code de la consommation.
[4] Ibid.
[5] Voir en ce sens examen des amendements sur le texte n°810 (2012-2013) sur le projet de loi n°725 (2012-2013) relatif à la consommation, 11 septembre 2013 : « [L’application du droit de la consommation aux très petites entreprises] ne concerne que les achats qui ne relèvent pas du domaine de compétence de l’entreprise : un boulanger est compétent pour acheter un four, il ne l’est pas pour acheter un logiciel. »
[6] L. n°72-1137 du 22 décembre 1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile, art. 8 d) – ancien art. L. 121-22 du Code de la consommation.
[7] Cass. crim. 27 juin 1989, n°89-80.780, Bull. crim., n°276 p.682, note P. Bouzat RTD Com. 1990, n°03, p.514
[8]Cass. 1ère civ., 3 janvier 1996, n°93-19.322 Bull. civ., n°9 p.6 – Cass. 1ère civ., 30 janvier 1996, 93-18.684, Bull. civ., n°55 p.35, note G. Paisant JCP G, n°51, 18 déc. 1996.
[9] Cass. 1ère civ., 12 sept. 2018, n° 17-17.319, Bull. civ., I, n°9, p.88 note C. Durez « Contrats hors établissement : le droit de la consommation au secours du petit professionnel », D. 2019 p.115 – Cass. Civ. 1ère 27 nov. 2019 n°18-22.525, Bull. civ., I, n°149, p.163 note J-D Pellier, D. actu. 09 déc. 2019.
[10] CA Aix, 10 février 2022 3e ch., n°18/18436 sur le fait qu’un plombier-électricien « n’a pas pour activité la reprographie, la location d’un photocopieur a été souscrite à titre professionnel, elle n’entre pas dans le champ principal de son activité » – CA Aix, 24 nov. 2022, 3e ch., n°19/09377 sur le fait que « l’achat et l’utilisation d’un copieur, même s’il est utile à l’exécution administrative de sa profession, ne rentre pas dans le champ de […] l’activité principale » du médecin.
[11] L. Vogel et J. Vogel, Traité de droit économique, Droit de la consommation Tome 3, Bruylant, 5e éd., 2017 p.946-947
[12] Cass. 1ère civ., 1er juill. 2021, n°21-40.008, Bull. civ., I, N°7, p.122, note C. Hélaine : « Refus de transmission QPC sur la définition de ”l’activité principale” » D. actu., 15 juill. 2021 – note S. Bernheim-Desvaux, « Contrats hors établissement », Contrats Concurrence Consommation, n°10, oct. 2021, comm. 159.
[13] CA Aix, 3e ch., 24 nov. 2022, n°19/00256 – CA Aix-en-Provence, 3e ch.,03 nov. 2022, n°21/03936.
[14] Projet relatif à la consommation, rapport n°282 de MM. M. Bourquin et A. Fouconnier, amendement n°678.
[15] Directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs transposée par la loi du 17 mars 2014
[16] CJUE, 3 sept. 2015, Horațiu Ovidiu Costea c/ SC Volksbank România SA, C-110/14, §18, note A. Portmann « L’avocat est un consommateur comme les autres », D. actu, 7 sept.. 2015.
[17] CJUE, 3 oct. 2019, Jana Petruchova c/ ABO Group Holdings Limited, C-208/18, § 55 : la cour estime qu’est consommateur la personne ayant conclu un contrat-cadre de services financiers même si elle dispose de connaissances accrues en la matière tant que cette expertise n’est pas due à son activité professionnelle,
[18] Voir en ce sens Cass. 1ère civ. 31 aout 2022, n°21-11.455, Bull. civ., I, n°8, 2022 p.16, note S. Bernheim-Desvaux « Précisions et réflexions sur l’application du droit de la consommation aux “petits“ professionnels », Contrats Concurrence Consommation n°11, nov. 2022, comm. 179 : « qu’en appliquant ainsi un critère lié au champ de compétence du professionnel, critère étranger à celui imposé par le texte susvisé et tiré de l’inclusion de l’objet du contrat dans champ de l’activité principale du professionnel, […] la cour d’appel a violé [l’article L.221-3 du Code de la consommation] »
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