INSUFFISANCE DU DANGER POUR JUSTIFIER DE LA COMPÉTENCE DU JUGE DES ENFANTS.
Droit civil / Droit de la famille / Compétence / Autorité parentale
Auteur : CAMILLE JAUBERT
Etudiante en M2 Droit civil et Droit international privé à Aix-Marseille Université
camillejaubert16@gmail.com
Autorité parentale / Droit de visite et d’hébergement des parents divorcés / Décision antérieure du juge aux affaires familiales / Compétence du juge des enfants en l’absence de placement de l’enfant (non) / Revirement jurisprudentiel / Notion d’urgence / Protection de l’enfant
Cass. 1ère civ., 20 octobre 2021, n° 19-26.152, JurisData n° 2021-016675 Sur pourvoi : CA Aix, chambre 2-5 spéciale des mineurs, 30 octobre 2019, n° 19/00248
Président : M. Chauvin
Avocats : SCP Waquet, Farde et Hazan, SCP Richard
Résumé : Si la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation reconnaissait la compétence du juge des enfants pour statuer sur les droits de visite et d’hébergement des parents antérieurement fixés par le juge aux affaires familiales, dès lors qu’un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour l’enfant était survenu après la première décision rendue, elle exige désormais un placement de l’enfant pour fonder sa compétence.
Observations : 1- Alors qu’il était autrefois possible d’avoir aisément recours au juge des enfants pour modifier les modalités d’exercice de l’autorité parentale préalablement fixées par un juge aux affaires familiales, l’accès à ce juge est désormais limité à des conditions nouvelles, susceptibles de remettre en cause la protection effective de l’enfant.
2- En l’espèce, en prononçant le divorce d’un couple, le juge aux affaires familiales avait fixé la résidence de l’enfant au domicile du père et accordé un droit de visite et d’hébergement à la mère. Le juge des enfants a par la suite ordonné une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert au bénéfice de l’enfant, en plaçant ce dernier chez son père et en accordant un droit de visite médiatisé à la mère jusqu’à la prochaine décision du juge aux affaires familiales.
La Chambre spéciale des mineurs de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 30 octobre 2019, a annulé le jugement rendu par le juge des enfants qui avait ainsi statué sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale des parents, antérieurement fixées par le juge aux affaires familiales. Les juges du fond estimaient alors que confier l’enfant au parent chez lequel la résidence de l’enfant était déjà fixée ne constituait pas un placement. Puisque l’enfant n’avait pas été placé au titre d’une mesure d’assistance éducative dans les conditions légales posées par l’article 375-3 du Code civil, seul le juge aux affaires familiales pouvait selon eux statuer sur le droit de visite et d’hébergement de la mère. Sur le fondement de l’article 375-3 du Code civil, le père forma un pourvoi en cassation en soutenant la compétence du juge des enfants dès lors qu’un danger nouveau est survenu postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales. Il argua également du fait que, conformément aux articles 375-2 et 375-3 du Code civil, le juge des enfants peut modifier ces modalités, même s’il décide de confier l’enfant au parent qui a déjà la résidence habituelle.
3- Il revenait ainsi à la Cour de cassation de déterminer si le juge des enfants constatant un danger nouveau pouvait, en plaçant l’enfant chez le parent déjà hébergeant, modifier les droits de visite et d’hébergement fixés en amont par le juge aux affaires familiales. A cette question, la première Chambre civile de la Cour de cassation répond par la négative au soutien d’une motivation dite « enrichie ». Par un arrêt du 20 octobre 2021, la Cour rejette le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, au visa des articles 375-3 et 375-7, al. 4 du Code civil. La Haute juridiction fait ainsi une stricte application de l’article 375-3 du Code civil[1] en précisant que la décision du juge des enfants de confier l’enfant au parent déjà bénéficiaire d’une décision du juge aux affaires familiales fixant la résidence de l’enfant à son domicile, ne correspondait pas à « l’autre parent » tel qu’exigé par la lettre du texte. Elle retient à ce titre, qu’en l’absence de mesure de placement conforme aux dispositions légales ordonnée par le juge des enfants, ce dernier n’avait pas compétence pour statuer exclusivement sur le droit de visite et d’hébergement du parent chez lequel l’enfant ne résidait pas de manière habituelle.
4- Par cet arrêt, le détournement procédural autrefois offert par la jurisprudence même de la Cour a été écarté au profit d’une compétence renforcée du juge aux affaires familiales[2]. L’ « instrumentalisation »[3] du juge des enfants avait été rendue possible par l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation[4] qui reconnaissait la compétence du juge des enfants pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, fondée sur la seule survenance d’un danger nouveau par rapport à la décision antérieurement rendue par le juge aux affaires familiales. Sur ce fondement, les justiciables insatisfaits de la décision rendue par le juge aux affaires familiales pouvaient saisir le juge des enfants afin de modifier les mesures antérieurement prises et obtenir une solution pouvant leur être plus favorable. Ainsi, un père pouvait obtenir du juge des enfants une décision lui permettant d’exercer son droit de visite et d’hébergement hors la présence de la mère, alors que le juge aux affaires familiales avait conditionné l’exercice de ce droit à la présence effective de cette dernière. Pour saisir le juge des enfants, il lui suffisait d’invoquer que l’équilibre de l’enfant était menacé par le caractère excessif des liens qui l’unissent à sa mère[5]. La notion de danger se révélant « suffisamment large »[6], et en ne faisant pas du placement de l’enfant une condition nécessaire à la compétence du juge des enfants, la jurisprudence avait offert aux justiciables la possibilité de contourner aisément la procédure. C’est parce que les juges du fond avaient fait front contre cette jurisprudence et en constatant elle-même les dérives procédurales engendrées par celle-ci, que la Cour de cassation y a mis fin. Pour intervenir en matière de droit de visite des parents, le juge des enfants devra donc constater un danger survenu après la décision du juge aux affaires familiales et modifier le lieu de vie de l’enfant, en ordonnant son placement au titre de l’article 375-3 du Code civil. La solution exige de surcroit une modification réelle de l’hébergement de l’enfant[7], puisque le juge des enfants ne devra pas le confier au parent disposant déjà d’une décision du juge aux affaires familiales fixant la résidence à son domicile.
5- Le juge des enfants a désormais en matière civile une compétence limitée aux mesures d’assistance éducative. Dès lors, il n’est plus possible de le saisir aux fins d’une modification prompte de la décision rendue par le juge aux affaires familiales en invoquant un danger qui n’implique pas un placement de l’enfant. Cette décision conduit alors à s’interroger sur les fondements mêmes de la compétence du juge des enfants. Le Code civil fonde en effet cette dernière sur le seul danger (C. civ., art 375), mais ne permet au juge des enfants de statuer sur l’autorité parentale exercée à l’égard de l’enfant en danger, qu’en cas de placement de celui-ci (C. civ., art. 375-7 al. 4). Ce faisant, il conviendrait que les juges et le législateur distinguent la compétence du juge des enfants, fondée sur le danger, et les conséquences de celle-ci. Le placement de l’enfant n’est autre que la conséquence de la compétence du juge des enfants en matière d’assistance éducative, et non son fondement. Il s’agit seulement d’un moyen pour le juge de répondre au danger de l’enfant.
6- La Cour de cassation affirme qu’à défaut de placement de l’enfant ordonné par le juge des enfants, le juge aux affaires familiales a une compétence exclusive pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale des parents séparés et ce, y compris en cas d’urgence et de danger. Il ne fait nul doute que l’urgence n’est pas un critère de compétence du juge des enfants puisque le juge aux affaires familiales est compétent pour rendre une décision dans l’urgence, qu’elle tranche le fond de l’affaire ou qu’elle ne fasse que prescrire des mesures provisoires. En effet, ce juge « peut être saisi en qualité de juge des référés »[8] sur le fondement de l’article 1073 alinéa deuxième du Code de procédure civile, ou encore par le biais de la procédure à bref délai[9]. Cependant, si l’urgence implique une célérité procédurale, le danger nouveau devrait impliquer la compétence du juge des enfants, même s’il n’y a pas nécessité de placer l’enfant au regard de ce danger imminent. Cette solution semble opter pour une vision pragmatique de la compétence des juges en matière familiale, puisqu’elle reconnaît celle du juge aux affaires familiales pour modifier les droits de visite en présence ou non de danger, au mépris de celle du juge des enfants.
7- Or, il conviendrait de s’interroger sur le juge le plus à même de statuer lorsque le conflit implique en premier lieu uniquement le couple, mais finit par générer du danger à l’égard de l’enfant. Au demeurant, l’enfant n’a la qualité de partie à la procédure qu’en cas de mesure d’assistance éducative. De surcroit, lorsqu’une situation de danger se produit au domicile du parent qui exerce son droit de visite et d’hébergement, le juge aux affaires familiales ne pouvant se saisir d’office, ne peut statuer qu’après avoir été saisi par l’un des parents ou le ministère public d’une requête en suspension ou en aménagement du droit de visite de ce parent. Il semblerait ainsi davantage adapté aux exigences de protection de l’enfant de maintenir, en cas de seul danger, l’intervention du juge des enfants en matière d’autorité parentale qui lui, peut se saisir d’office[10], ou même être saisi par l’enfant. Il faut également noter que devant le juge des enfants, l’audition de l’enfant est une obligation qui s’impose au juge, alors même qu’elle est subordonnée à une demande devant le juge aux affaires familiales.
Sous couvert du respect de la compétence du juge aux affaires familiales pour statuer sur l’autorité parentale exercée par les parents séparés, les fondements de la compétence du juge des enfants sont désormais confus. Dès lors, au regard de la décision rendue, on peut se demander si la protection de l’enfant ne sera pas mise à mal, la situation de danger de ce dernier ne fondant plus nécessairement la compétence du juge des enfants, qui se trouve pourtant le plus apte à le protéger.
[1] A. Gouttenoire, « La compétence du juge des enfants limitée par la Cour de cassation », Lexbase Hebdo édition privée n° 884, nov. 2021
[2] V. Égéa, « Revirement de jurisprudence – clap de fin pour les stratégies procédurale de contournement du JAF ! », Rev. dr. de la famille, janv. 2022
[3] Cass. 1ère civ., 20 oct. 2021, n° 19-26.152, Bull. civ. I, n° 10
[4] Cass 1ère civ., 26 janv. 1994, n° 91.05-083, Bull. civ., I, n° 32 ; Cass. 1ère civ., 10 juill. 1996, n° 95-05.027, Bull. civ., I, n° 313
[5] Cass 1ère civ., 26 janv. 1994, n° 91.05-083, Bull. civ., I, n° 32
[6] V. Égéa, « Revirement de jurisprudence – clap de fin pour les stratégies procédurale de contournement du JAF ! », art. cit.
[7] A. Gouttenoire, « La compétence du juge des enfants limitée par la Cour de cassation », Ibid.
[8] Cass. 1ère civ., 20 oct. 2021, n° 19-26.152, Bull. civ. I, n° 10
[9] C. proc. civ., art. 1137 al. 2
[10] J-M. Permingeat, « Les compétences concurrentes du juge des enfants et du juge aux affaires familiales », Ibid.
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