EXEQUATUR D‘UN JUGEMENT D’ADOPTION D‘UN ENFANT NÉ DE GESTATION POUR AUTRUI À L’ÉTRANGER
Adoption / Compétence indirecte du juge étranger / Ordre public international / Exequatur / demande d’adoption / Intérêt supérieur de l’enfant / Adoption plénière / Gestation pour autru
Auteur : CLOTILDE GARDE
Etudiante en Master 2 Droit civil et Droit international privé, Aix-Marseille Université
Contrat hors établissement / Article 221-3 du Code de la consommation/ Obligation d’information /Droit de rétractation / Compétences et connaissances du petit professionnel / Abandon du critère du rapport direct / Délimitation du critère du champ de l’activité principale
Aix, Chambre 1-1, 6 juillet 2021, n°2021/265
Président : O. Brue
Résumé : N’est pas contraire à l’ordre public international une demande d’exequatur d’un jugement d’adoption d’un enfant né par suite d’une convention de gestation pour autrui.
Observations : 1- Si le débat doctrinal en matière de gestation pour autrui réalisée à l’étranger se matérialise souvent autour de la transcription de l’acte de naissance de l’enfant, l’admission d’une telle filiation dans l’état civil français peut aussi avoir lieu par décision d’exequatur. L’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 6 juillet 2021, relatif à une demande d’exequatur d’un jugement d’adoption d’un enfant né par suite d’une gestation pour autrui à l’étranger, en est l’illustration.
2- En l’espèce, deux hommes ont conclu une convention de gestation pour autrui avec une mère porteuse et une mère génétique aux États-Unis. Le partenaire du père biologique a ensuite adopté l’enfant aux États-Unis en 2016. Un certificat de naissance a été émis, mentionnant les deux hommes comme parents. Ces derniers se sont ensuite mariés en France. Le procureur de Nantes n’a pas répondu à leur demande de transcription de la décision d’adoption. Ils ont donc saisi le Tribunal Judiciaire de Marseille afin de la voir déclarer exécutoire sur le territoire national. Ayant été déboutés de leur demande par les juges de première instance, ils ont interjeté appel.
La décision d’adoption d’un enfant né par suite d’une gestation pour autrui à l’étranger peut-elle recevoir exequatur en France ? En l’espèce, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a considéré que « la décision étrangère ne violant pas l’ordre public international de procédure et de fond et ne procédant pas d’une fraude, les conditions […] de l’exequatur sont réunies ».
3– Les jugements d’adoption étranger sont exécutoires de plein droit en France [1]. Par conséquent, une action en transcription de l’acte de naissance étranger dans les registres d’état civil français sur le fondement de l’article 47 du code civil[2], simple mesure administrative « qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation »[3], devrait suffire afin que la filiation fasse foi en France. Toutefois, lorsque cette naissance fait suite à une gestation pour autrui, se posent les questions de la réalité de l’acte de naissance, condition de la transcription, lorsque ce dernier mentionne un parent d’intention, et non la femme qui a accouché, ainsi que de sa contrariété éventuelle à l’ordre public international. En effet, la gestation pour autrui fait l’objet d’une interdiction d’ordre public en vertu des articles 16-7 et 16-9 du code civil. La transcription intégrale des actes de naissance des enfants nés de mère porteuse est désormais possible[4], dès lors que ces actes sont réguliers, exempts de fraude et établis conformément au droit de l’État de naissance. Toutefois, la pratique a pu diverger en fonction des parquets entre transcription intégrale ou transcription partielle de l’acte de naissance, impliquant parfois pour le parent d’intention de procéder à une demande d’adoption en France.
Or la transcription d’un acte d’état civil ne concerne que l’instrumentum, le titre, et ne représente donc que la preuve de l’état civil, tandis que l’exequatur concerne le negotium, et entraîne comme conséquence la reconnaissance d’un état, en l’espèce la reconnaissance de la filiation, comme valide et réelle[5]. L’exequatur offre donc bien plus de sécurité aux parents[6]. En effet, en matière de transcription, l’article 336 du code civil permet au ministère public de contester le titre transcrit si « des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi »[7]. Or, l’exequatur d’un jugement d’adoption confère autorité de la chose jugée au jugement étranger, et rend donc la filiation adoptive irrévocable en vertu de l’article 359 du code civil. Une telle procédure requière donc un contrôle de régularité et de proportionnalité approfondi de la part des juges du fond.
4- Dans la lignée des fameuses jurisprudences Munzer et Cornelissen[8], trois critères sont aujourd’hui exigés pour évaluer la régularité d’un jugement étranger afin de procéder à l’exequatur : la compétence indirecte de la juridiction étrangère fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, l’absence de fraude à la loi, et la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure. En l’espèce, la cour d’appel évalue ces trois critères successivement. En premier lieu, la compétence indirecte du juge américain est établie ici sans difficulté, puisque la demande concerne un enfant de nationalité américaine, né aux États-Unis, d’une mère domiciliée aux États-Unis. Le juge mentionne également dans le cadre du contrôle de la compétence indirecte du juge étranger le consentement de la mère porteuse à l’adoption, et l’anonymat de la mère génétique.
Ensuite, sur l’absence de fraude à la loi, les juges d’appel considèrent que le fait que l’enfant ait été conçue par suite d’une gestation pour autrui « est impropre à caractériser l’existence dans l’obtention du jugement d’une fraude […] et ce d’autant que l’affaire a par ailleurs des liens caractérisés avec le pays qui a rendu la décision ». En effet, la fraude à la loi est une manipulation de la règle de rattachement de droit international privé pour obtenir une décision favorable[9]. Or, en l’espèce, la gestation pour autrui est autorisée selon la loi locale des parents, américains et résidant habituellement aux États-Unis.
S’agissant de l’ordre public international, les juges d’appel relèvent que l’article 346 du Code civil, en vertu duquel l’adoption conjointe est réservée à des parents unis par les liens du mariage, « ne consacre pas un principe essentiel du droit français », puisque les pères n’étaient pas mariés lors de l’adoption. La décision est ensuite approfondie quant au contrôle de proportionnalité opéré entre l’intérêt supérieur de l’enfant et « l’interdit, d’ordre public, de la gestation pour autrui ».
Ce contrôle est effectué en deux temps. En premier lieu, si la prohibition d’ordre public de la gestation pour autrui pourrait justifier un rejet de l’exequatur, en l’espèce, sur le fondement des articles 3 et 8 de la Convention internationale des droits de l’enfant et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, cela représente une atteinte disproportionnée à l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, cet intérêt « exige que soient préservés sa relation et son rattachement à son père biologique, […] ainsi qu’à son père d’intention », ce au regard des circonstances de l’espèce dont il résulte que l’enfant et son parent d’intention entretiennent des « liens affectifs pérennes et sérieux ». Dans un second temps, se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les juges d’appel envisagent un « renvoi à une procédure d’adoption en France ». En effet, la Cour admet que si le droit au respect de la vie privé de l’enfant « requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention », cette possibilité n’est pas nécessairement la transcription de l’acte de naissance et que « d’autres voies telles que l’adoption [peuvent] convenir » [10]. Or, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence consistant à renvoyer les parents vers une nouvelle procédure d’adoption en France[11]. Certes, exequatur n’est pas transcription, mais en matière d’appréciation de la proportionnalité entre interdit d’ordre public international de la gestation pour autrui et intérêt supérieur de l’enfant de voir son lien de filiation reconnu en France, les enjeux sont similaires. Finalement, la cour d’appel écarte cette éventualité sur le fondement d’une appréciation souveraine : « le renvoi à une procédure d’adoption en France, qui aurait les mêmes résultats et qui exige l’introduction d’une nouvelle instance ou à tout autre mode d’établissement de filiation admis, aurait des conséquences manifestement excessives en ce qui concerne le droit au respect de la vie privée de l’enfant compte tenu du temps écoulé depuis la concrétisation du lien avec le parent d’intention ».
La solution est pertinente : si l’adoption de l’enfant issu d’une gestation pour autrui par le conjoint du parent biologique est possible en France[12], a fortiori, l’exequatur du jugement d’une telle adoption doit l’être également.
5- Dans une affaire similaire, la cour d’appel de Versailles avait plus sobrement affirmé en 2018 que les décisions objets de la demande d’exequatur ne violaient pas l’ordre public international français dès lors que « depuis l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, le mode de conception de l’enfant, plus précisément la gestation pour autrui, est parfaitement indifférent ». La Cour avait en conséquence estimé que « ce mode de conception fût-il prohibé par le droit français, ne peut plus faire obstacle à l’établissement ou à la reconnaissance d’une filiation adoptive »[13].
Telle n’est pas l’approche des juges aixois aux termes de l’arrêt commenté, qui semblent avoir anticipé dans leur abondante motivation la loi du 2 août 2021[14], alors déjà adoptée dans sa version définitive par l’Assemblée nationale[15]. En effet, celle-ci modifie l’article 47 du code civil pour y ajouter que la réalité de l’acte d’état civil étranger est « appréciée au regard de la loi française », ce qui semble signifier un retour à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, imposant au parent d’intention d’adopter l’enfant né par gestation pour autrui[16]. En l’espèce, l’audience a été débattue le 1er juin 2021. À ce moment-là, la version définitive du texte n’était pas encore adoptée, et le dernier projet de loi adopté par le Sénat prévoyait l’ajout au code civil d’un article 47-1 empêchant toute transcription « d’actes d’état civil ou jugement étranger, à l’exception des jugements d’adoption », des enfants nés par suite d’une gestation pour autrui lorsqu’ils mentionnent une mère qui n’a pas accouché ou deux pères[17]. Si, en l’espèce, le jugement constitue bien un jugement d’adoption, de sorte que l’exequatur aurait donc probablement pu être admis sans discussion en vertu de ce projet de loi, ce contexte législatif particulier, affichant une position clairement défavorable du législateur à l’encontre de l’admission en France de filiation faisant suite à des gestations pour autrui effectuées à l’étranger, ne pouvait qu’être pris en compte par les juges. Mais conformément aux positions jurisprudentielles internes et européennes favorables à la reconnaissance des situations personnelles et familiales constituées à l’étranger, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence fait finalement prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant.
[1] Cass. soc. 19 avril 1989, n° 87-11.330, Bull. civ., V, n° 294 ; V. Larribau-Terneyre, M. Azavant, « Adoption – Déroulement de l’instance en adoption » in Répertoire de procédure civile, §335.
[2] C. Bidaud, « La transcription des actes de l’état civil étrangers sur les registres français », Rev. Crit. DIP 2020, p. 247
[3] Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-11.815 P: D. 2020. 426, note Paricard; AJ fam. 2020. 9, obs. Dionisi-Peyrusse.
[4]; Cass., Ass. plén, 4 octobre 2019, n° 10-19.053, D. 2019, p. 2228 ; Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-11.815 ; Civ. 1re, 18 nov. 2020, n° 19-50.043, D. 2020. 2289 ; ibid. 2021. 657, obs. P. Hilt. Pour une vue d’ensemble de l’évolution jurisprudentielle : F. Chaltiel, « La gestation pour autrui de nouveau devant la Cour de cassation ou l’équilibre précaire entre prohibition et protection », LPA, 10 avril 2020, n°73, p.10.
[5] M. Farge, « Quid de l’exequatur de la filiation établie à l’étranger des enfants issus de GPA ? », AJ fam. 2018, p. 582
[6] J. Foyer, « Adoption – Adoption unique », in Répertoire de droit international, §309 ; M. Farge, « Chapitre 53 – Efficacité des jugements étrangers », in Dalloz Action droit de la famille, 2023 – 2024, §513.271.
[7] A. Karila-Danziger, F. Guillaume-Joly, « Transcription à l’état civil français des actes de naissance étrangers dressés dans le cadre d’une GPA, “Fin de partie” », AJ fam., 2021, p. 582.
[8] Cass. 1ère civ., 7 janvier 1964, Bull. civ., n°15, Rev. crit. DIP 1964, p. 302, note H. Batiffol ; JDI 1964 p. 302, note B. Goldman – Cass. 1ère civ., 20 février 2007, n° 05-14.082 ; Rev. crit. DIP 2007 p. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt
[9] A. Boiché, « La procédure d’exequatur », AJ fam., 2023, p.369 ; L. Brunet, M. Mesnil, « Étude jurisprudentielle sur l’exequatur après GPA à l’étranger », AJ Fam., 2023, p.374.
[10] Voir en ce sens Cour. EDH, 10 avril 2019, n°P16-2018-001 ; H. Fulchiron, D. 2019 p.1084.
[11] Cass. 1re civ, 13 janv. 2021, n° 19-17929 et 19-50046 : JurisData n° 2021-000447, V. Egéa, « Gestation pour autrui – Transcription de l’acte de naissance dressé à l’étranger, une solution désormais bien établie », Dr. famille 2021, n°4 . 53
[12] Cass. 1ère civ., 4 novembre 2020, n° 19-15.739 et 19-50.042, Publié au bulletin.
[13] CA Versailles, 6 avril 2018, RG n° 17/07183 ; voir aussi CA Metz, 7 mars 2023, RG n° 22/00774.
[14] Loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.
[15] Assemblée nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique (texte définitif), n°640, session du 29 juin 2021, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15t0640_texte-adopte-seance.
[16] C. Bidaud, « La force probante des actes de l’état civil étrangers modifiée par la loi bioéthique : du sens à donner à l’exigence de conformité des faits à la réalité “ appréciée au regard de la loi française” », Rev. crit. DIP 2022, p. 35 ; L. D’Avout, R. Legendre, « Mobilité européenne et filiation : l’état civil à la carte ? » , D., 2022, p. 331.
[17] Sénat, Projet de loi relatif à la bioéthique, n°53, modifié le 3 février 2021, article 4 bis, https://www.senat.fr/leg/tas20-053.html.
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