DU MYSTÉRIEUX CHOIX DE LA LOI DU FOR AU SENS DU RÈGLEMENT ROME III
Conflit de lois / Divorce / Choix de loi / Loi du for / Loi applicable / Loi française / Rome III / Validité / Régime matrimonial / Union européenne
Auteur : PATENEMA SAWADOGO
Étudiante en Master II Droit civil et Droit international privé à l’Université Aix-Marseille
Contrat hors établissement / Article 221-3 du Code de la consommation/ Obligation d’information /Droit de rétractation / Compétences et connaissances du petit professionnel / Abandon du critère du rapport direct / Délimitation du critère du champ de l’activité principale
Cass. 1ère civ., 26 janv. 2022 n° 20-21.542, B : JurisData n° 2022-000994 Pourvoi sur CA Aix-en-Provence, ch. 2-3, 24 sept. 2020, n° 19/18029
Président : M. Chauvin
Avocats : SCP Foussard et Froger, SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre
Résumé : Aux termes d’un arrêt en date du 26 janvier 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a apporté une importante précision relative au choix de la loi du for visé par l’article 5 du Règlement « Rome III ». Elle affirme que le choix de la loi d’un État déterminé est valable, au titre de la loi du for, lorsque cette loi coïncide avec celle du juge saisi ultérieurement de la demande en divorce.
Observations : 1- La question de la concordance entre le forum et le jus est considérée comme un «sujet immense, qui a toujours été, d’une certaine façon, au cœur du droit international privé»[1]. L’arrêt commenté, qui s’inscrit dans une perspective de promotion du lien entre juridiction saisie et loi applicable, en témoigne.
En l’espèce, un homme de nationalités russo-mexicaine, et une femme, de nationalité russe, se sont mariés en Russie le 19 avril 1996, sans préalablement conclure de contrat de mariage. Les époux ont fixé leur première résidence habituelle commune en Russie. Par acte authentique du 22 février 2016, ils ont adopté le régime français de la séparation de biens au titre de leurs biens situés en France et ont désigné la loi française en tant que loi applicable à leur divorce éventuel. En 2017, l’épouse dépose une requête en divorce devant une juridiction française.
2- Dans un arrêt du 24 septembre 2020, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence[2] a jugé que la loi française était applicable au divorce, tout comme à la détermination et à la liquidation du régime matrimonial. L’époux a alors formé un pourvoi en cassation.
3- Au soutien de son pourvoi, il contestait d’abord l’application de la loi française en tant que loi du for sur le fondement de l’article 5 du règlement Rome III. À cet effet, il faisait valoir qu’à l’époque, les époux n’auraient pas opté pour la loi du for au sens des dispositions de ce texte, mais seulement pour la loi française. Or, selon lui, le choix de la loi française entrainait une dissociation entre la juridiction compétente et la loi applicable. Il se prévalait ensuite de la violation de l’article 5 du règlement européen par la Cour d’appel, au motif que les juges du fond n’auraient pas vérifié que son consentement était libre et éclairé lors de la signature de l’acte authentique du 22 février 2016. Il reprochait également à la Cour d’appel d’avoir violé l’article 5 du règlement européen dès lors que, sa résidence étant toujours fixée en Russie, rien ne justifiait que la loi française soit considérée comme loi du for. Enfin, il contestait l’applicabilité en l’espèce de la loi française à la détermination et à la liquidation du régime matrimonial, faisant valoir que « l’arrêt dans son dispositif, décide que la loi française est applicable et seule applicable à l’ensemble des biens des époux, sans distinction quand il ressort des motifs de l’arrêt que les biens situés en Russie sont soumis à la loi russe, cependant que les biens meubles et immeubles situés en France sont soumis à la loi française ».
4- Deux questions ont ainsi été posées à la Cour de cassation : le choix de la loi d’un État déterminé est-il valable, au titre de la loi du for, lorsque cette loi coïncide avec celle du juge saisi ultérieurement de la demande en divorce ? Et la contradiction entre le dispositif, qui se prononce en faveur de l’application de la loi française à l’ensemble des biens des époux, et les motifs, qui circonscrivent cette application aux seuls biens situés en France, équivaut-elle à un défaut de motifs ?
La Cour répond par l’affirmative aux deux questions. En conséquence, elle casse et annule l’arrêt d’appel, mais seulement en ce qu’il a déclaré la loi française applicable à la détermination et à la liquidation du régime matrimonial. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence voit sur ce point sa décision cassée pour contradiction de motifs, en ce qu’elle déclare la loi française applicable à l’ensemble du patrimoine des époux, après avoir pourtant constaté qu’aux termes de l’acte de 2016 elle n’avait été désignée que pour régir les biens situés en France, la loi russe ayant vocation à s’appliquer au reste du patrimoine.
Il est intéressant de rappeler qu’aux termes de la Convention de la Haye du 14 mars 1978[3] applicable à tous les mariages célébrés après le 1er septembre 1992 jusqu’au 29 janvier 2019, à défaut de choix, le régime matrimonial est soumis à la loi de la première résidence habituelle après le mariage[4] , la loi russe en l’espèce. L’article 6 in fine de ladite convention permet aux époux d’effectuer un choix ultérieur de loi applicable pour une partie de leur patrimoine, mais uniquement pour les immeubles. De ce fait, le droit français n’était pas applicable à la totalité du patrimoine des époux.
5- S’agissant de la question de l’applicabilité de la loi française au titre de la loi du fort désignée par les parties, elle fera l’objet d’une attention particulière dans la mesure où il s’agit d’un arrêt pionnier rendu en application de l’article 5,1, point d du règlement Rome III, la Cour de justice de l’Union européenne n’ayant pas encore été confrontée à la question.
Il est nécessaire de souligner que les époux n’avaient pas désigné in abstracto la loi du for mais avaient clairement choisi la loi française en amont de toute saisine de la juridiction française. Dans une telle hypothèse, rien ne permettait a priori de penser que cela visait la loi du for. En effet, contrairement aux points a) à c) du paragraphe 1 de l’article 5, qui se réfèrent au « moment de la conclusion de la convention », le point d) ne fournit aucune indication du moment à prendre en considération pour apprécier l’élément de rattachement. L’apport immédiat de l’arrêt est donc clair et d’une grande utilité pratique : les époux peuvent au titre de « loi du for » choisir une loi déterminée, dès lors qu’elle correspond au for ultérieurement saisi du divorce. Cette réponse était cependant loin de s’imposer avec évidence. Une partie de la doctrine estime en effet que la Cour de cassation aurait dû surseoir à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne[5].
La Cour de justice pourrait néanmoins adopter la solution retenue par les juges du quai de l’horloge si la problématique lui était soumise à l’avenir, compte tenu de sa grande faveur pour l’optio juris et de son attachement à l’effet utile du droit de l’Union qui permet d’assurer une efficacité maximale du cadre juridique européen[6].
6- Il faut souligner que cette solution a le mérite de favoriser la prévisibilité pour les parties, et l’unité du forum et du jus[7]. En effet, un choix in abstracto de la loi du for ne peut constituer un instrument de prévisibilité juridique dès lors « qu’il est bien difficile pour les parties d’orienter leur comportement sur cette seule directive, qui au moment du choix de loi s’apparente à une “coquille vide” »[8]. Reste la question de savoir ce qu’il adviendrait en cas de saisine d’un juge autre que celui dont le système juridique a été choisi par les époux. À cette question, certains auteurs ont estimé que « lorsque la loi choisie au titre du point d) n’est pas celle de la juridiction finalement saisie, le choix de la loi applicable restera sans effet et la loi sera déterminée sur la base de l’article 8 », relatif à la détermination de la loi applicable à défaut de choix[9].
En clair, la Cour de cassation adopte une position permettant de donner un effet utile au choix des époux, tout en l’entourant à première vue d’une plus grande sécurité juridique. Cette position rejoint tout à fait la ratio legis du règlement Rome III[10].
7- Au-delà des mérites de cette décision, il demeure des questionnements non résolus. D’une part, la solution retenue par la Cour de cassation laisse demeurer un aléa dans la détermination de la loi applicable, dès lors que l’efficacité du choix est tributaire de la saisine a posteriori de la juridiction dont la loi a été désignée. Or, il n’est pas certain que cette saisine repose sur un commun accord des époux eu égard au contexte souvent conflictuel qui précède le divorce. En l’espèce, seule l’épouse a déposé une requête en divorce devant le juge français. Il en est résulté, à la date de l’introduction de la procédure en divorce, une mainmise unilatérale de cette dernière sur la validité du choix. Ainsi, il devrait être loisible à l’époux le plus diligent de saisir le juge dont la loi a été choisie d’un commun accord, ou pas, suivant qu’il souhaite ou ne souhaite pas que la clause de choix de loi soit appliquée, ce qui pourrait entrainer dans certains cas une course à la saisine du juge en fonction des intérêts en présence. Par conséquent, l’interprétation de la Cour pourrait créer une sorte d’inégalité des armes[11] en accordant une faveur à un époux au détriment de l’autre, et en favorisant le forum actoris si le tribunal saisi est celui du domicile du demandeur.
8- D’autre part, l’arrêt commenté soulève une question, plus générale, relative à la loi applicable au divorce. En réalité, le choix de la loi du for « traduit une certaine faveur au divorce et intéresse avant tout les divorces par consentement mutuel reposant sur l’accord des époux »[12]. Mais, qu’en est-il de l’hypothèse où les époux optent pour la loi française afin de bénéficier du divorce par consentement mutuel déjudiciarisé ? Faute de for du divorce, leur choix pourrait demeurer lettre morte. S’il a été proposé en doctrine d’adapter ce critère par « analogie » en permettant aux époux de choisir « la loi de l’État dont l’autorité publique reçoit la volonté des époux, en l’occurrence la loi française, de l’État dans lequel le notaire procède au dépôt de la convention lui conférant par-là force exécutoire »[13], une telle proposition ne pourrait prospérer que si le divorce par consentement mutuel sans juge français relevait du champ d’application du règlement Rome III, ce qui n’est pas d’une grande évidence dès lors que dans un arrêt Sahyouni rendu le 20 décembre 2017[14], la Cour de justice de l’Union européenne a déclaré que seul le divorce « prononcé soit par une juridiction étatique, soit par une autorité publique ou sous son contrôle » relève du champ matériel du règlement Bruxelles II bis.
[1] S. Corneloup, « Les liens entre forum et ius, réflexions sur quelques tendances en droit international privé contemporain », in Mélanges en l’honneur du Professeur Bertrand Ancel, Paris, LGDJ, 2018, p. 461, spec. p. 463.
[2] CA Aix-en-Provence, ch. 2-3, 24 sept. 2020, n° 19/18029.
[3] Il s’agit de la Convention sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux.
[4] Conv. La Haye, 14 mars 1978, art. 4.
[5] E. Fongaro, « Loi applicable au divorce : les précisions de la Cour de cassation quant au choix de la loi du for », JCP G, 2022, n°13, p. 3. Voir également D. Lambert, « Précision sur le choix de la loi du juge saisi comme loi du divorce », Solution notaire nº 5, 10 févr. 2022.
[6] Le principe d’effet utile du cadre juridique européen a été affirmé dans de nombreux arrêts dont, CJUE 5 juin 2018, Relu Adrian Coman e.a./Inspectoratul General pentru Imigrări e.a., n° C-673/16.
[7] M. Farge, « Belle question d’interprétation du Règlement Rome III sur la loi applicable au divorce », Dr. Famille, 2022, n°4, p. 2.
[8] C. Pons, La concordance des compétences juridictionnelle et législative. Étude des liens entre le forum et le jus en droit international privé européen, Thèse, Bordeaux, 2020, n° 780.
[9] A. Devers et M. Farge, Le nouveau droit international privé du divorce. À propos du règlement Rome III sur la loi applicable au divorce, Dr. Famille, 2012, étude n°13.
[10] Le considérant 9 du règlement dispose en effet que « Le présent règlement devrait créer un cadre juridique clair et complet dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps dans les États membres participants, garantir aux citoyens des solutions appropriées en termes de sécurité juridique, de prévisibilité et de souplesse (…) »
[11] P. Hammje, « Loi applicable au divorce : le choix de la loi du for au sens du règlement Rome III », JDl, 2022, n°42022, p.5.
[12] P. Hammje, Rép. internat. Dalloz, V° Divorce et séparation de corps, 2018, n° 174.
[13] Petra Hammje, Rép. internat. Dalloz, Ibid.
[14] CJUE 20 déc. 2017, aff. C-372/16, D. 2018. 8.
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