Zoom sur… la réforme de la procédure d’appel
Procédure civile
Auteur : MAXIME SCHEFFER
Doctorant à Aix-Marseille Université,
Faculté de Droit et sciences politiques,
Laboratoire de Droit privé et de Sciences criminelles, EA 4690,
maxime.scheffer@univ-amu.fr
Réforme de la procédure d’appel / Décret du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile / Simplification ou complexification de la procédure d’appel ?
Décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile
Résumé : Le décret du 29 décembre 2023 propose, selon l’intitulé que lui a donné la Chancellerie, une « simplification » de la procédure d’appel en matière civile. Comme souvent lorsqu’une réforme de la procédure civile est entreprise, la question se pose de savoir si les bonnes intentions du législateur se réaliseront en pratique. À cet égard, si le décret à l’étude comporte des éléments de simplification incontestables, tels que la suppression des renvois à la procédure suivie devant le tribunal judiciaire, l’augmentation des délais pour conclure dans le cadre de la procédure ordinaire avec représentation obligatoire à bref délai, etc., la clarification de la forme du dispositif de la déclaration et des conclusions d’appel masque des éléments de complexification, sources d’augmentation des charges procédurales pesant sur l’appelant. Dans le prolongement de notre « Zoom sur… la réforme de la procédure civile » paru dans le numéro 2020-1 du Bulletin d’Aix après la publication au Journal Officiel de l’important décret du 11 décembre 2019, voici donc notre « Zoom sur… la réforme de la procédure d’appel ».
Note : 1- On se souvient qu’en partenariat avec l’École des Avocats du Sud-Est, le Laboratoire de Droit privé et de sciences criminelles de la Faculté de Droit et de Science Politique d’Aix-Marseille Université avait organisé et tenu à l’Hôtel de Maliverny, le 20 janvier 2020, un atelier intitulé : « Les procédures civiles après le 1er janvier 2020 : rupture ou continuité ? ». Au cœur de ces échanges entre praticiens et universitaires était, bien sûr, le décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile[1]. En complément de l’atelier, nous proposions quant à nous, déjà au sein des colonnes du Bulletin d’Aix, un commentaire des points clés de la réforme, tels que la simplification des modes de saisine (assignation et requête seulement), le préalable obligatoire amiable devant le tribunal judiciaire à peine d’irrecevabilité susceptible d’être relevée d’office par le juge[2], l’extension de la représentation obligatoire par avocat, le règlement interne des questions de compétence[3], l’augmentation des pouvoirs du JME, la procédure participative de mise en état et l’exécution provisoire de droit[4]. Naturellement, le nouveau « Noël du procédurier » (pour reprendre l’expression consacrée par la doctrine[5]) que constitue le décret du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile[6], nous invite à remettre, ici, l’ouvrage sur le métier.
2- On le fera cependant plus modestement que la première fois, deux arguments pouvant être avancés à l’appui de ce choix. En premier lieu, on peut souligner que le nombre d’articles que comporte le décret du 29 décembre 2023 (dix-sept au total) n’a rien de comparable avec celui du 11 décembre 2019 (cinquante-sept). En second lieu et, peut-être même surtout, le décret à l’étude ne propose pas vraiment une réforme mais plutôt, selon l’intitulé qui est le sien, une « simplification » de la procédure d’appel en matière civile. Certes, nul n’est dupe. Ce n’est pas parce que la Chancellerie annonce une simplification de la procédure civile qu’en pratique, simplification il y aura. Parfois, c’est d’ailleurs tout le contraire qui se produit, à savoir la complexification de la procédure civile, le plus souvent par l’augmentation des charges processuelles pesant sur les parties à l’instance. Le nouveau décret s’inscrit-il dans ce genre de perspective que d’aucuns qualifieraient peut-être d’orwellien (« novlangue » oblige) ? On verra qu’en effet, s’il y a dans le décret, une part non négligeable de simplification (I), les éléments de complexification de la procédure d’appel ne sont pas en reste (II).
I- Simplification
3- Parmi les éléments de simplification du décret du 29 décembre 2023, il est bien entendu possible d’évoquer le clair découpage que le décret opère au sein de la procédure ordinaire avec représentation obligatoire entre, d’une part, la procédure à bref délai et, d’autre part, la procédure avec désignation d’un CME. Aussi est-il possible d’évoquer d’autres aspects, tels que la suppression du critère d’indivisibilité de l’objet du litige qui était, il faut bien l’admettre, jusqu’ici, plutôt source de complication qu’autre chose. Et, partant de cette idée que la simplification de la procédure civile peut dépendre de l’introduction d’une dose de managérialisation, c’est-à-dire d’un développement des processus, nous pourrions même ranger parmi les nouveautés simplificatrices : l’invitation systématique à conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état. Pour autant, nous insisterons seulement dans les développements qui suivent sur l’effet simplificateur de la suppression des renvois à la procédure suivie devant le tribunal judiciaire (A) et l’allongement de certains délais (B).
A- La suppression des renvois à la procédure TJ
4- L’un des intérêts majeurs du décret est d’avoir supprimé les multiples renvois aux dispositions applicables à la procédure suivie devant le tribunal judiciaire. Selon la notice qui l’accompagne, le décret réalise ainsi « l’autonomisation des dispositions relatives à la procédure d’appel ». C’est a priori heureux. Comme a pu l’écrire sur le réseau social « X » (ex « Twitter ») le Professeur Jérémy Jourdan-Marques, « autant il est normal (bien que pas toujours très pratique) que les règles communes à toutes les juridictions s’appliquent à l’appel, autant il était inapproprié que les règles applicables au TJ s’appliquent à la CA »[7]. Cependant, il faut immédiatement souligner avec cette doctrine qu’en l’état, le CME perd son pouvoir de statuer sur toutes les fins de non-recevoir possibles et imaginables dans la mesure où il tenait ce pouvoir d’un renvoi de l’article 907 à l’article 789, al. 1er, 6°. Pour connaître les pouvoirs désormais spécifiques du CME, il faudra consulter l’article 913-5 du code de procédure civile. Ce texte en donne, en effet, une liste limitative : pouvoir de prononcer la caducité de l’appel ou de le déclarer irrecevable, pouvoir de déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910, pouvoir de déclarer les actes de procédure irrecevables en application de l’article 930-1 (remise par voie électronique des actes de procédure), etc.
B- L’allongement de certains délais
5- Si l’allongement des délais pour conclure est un signe du « choc de simplification » alors, ici aussi, simplification de la procédure d’appel en matière civile il y a. Certes, le décret n’allonge pas les délais pour conclure dans le cadre de la procédure avec désignation du CME. Mais de toute façon, si la Chancellerie a pu l’envisager un temps[8], c’était, semble-t-il, moins par mansuétude pour le justiciable et les avocats en prise directe avec les redoutables « chausse-trappes » des délais Magendie que par souci de mieux partager la responsabilité des longs délais de traitement du contentieux en cause d’appel[9]. Ce tour de passe-passe avait ému les praticiens, le plus souvent, il est vrai, spécialistes de l’appel[10]. La Chancellerie s’est heureusement ravisée pour n’augmenter que les délais pour conclure dans le cadre de la procédure à bref délai – avec un délai de signification de la DA passant de dix jours à vingt jours[11] et un délai pour conclure d’un à deux mois[12] –, et pour conférer au juge compétent le pouvoir d’augmenter les délais pour conclure, que ce soit dans le cadre de cette procédure ou dans le cadre d’une procédure avec désignation d’un CME. Il faudra cependant veiller demain à ce que l’augmentation des délais pour conclure ne soit pas décidée par le juge en considération des seules contraintes du calendrier de la juridiction. Pour le dire autrement et, plus concrètement, il ne faudrait tout de même pas que le juge soit contraint de prolonger d’office et systématiquement le délai réglementaire de neuf mois prévu pour le dépôt des trois premiers jeux de conclusion à quatorze mois, en raison de l’impossibilité dans laquelle il se trouverait de rendre une décision dans les dix mois du fait d’un volume trop important de dossiers à traiter par la juridiction.
II- Complexification
6- S’il est permis de dire que le décret du 29 décembre 2023 complexifie la procédure d’appel, c’est parce qu’il augmente les charges procédurales pesant sur les parties à l’instance et, plus particulièrement, les charges de l’appelant. Cela se mesure en effet aux formes que doivent désormais prendre les dispositifs de la déclaration (A) et des conclusions d’appel (B)[13].
A- Une nouvelle formalité dans le dispositif de la DA
7- Pour rappel, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation n’exigeait pas que la DA comporte la mention de son objet, à savoir que l’appelant sollicite expressément « l’infirmation ou l’annulation du jugement »[14]. Nous l’avions d’ailleurs rappelé à l’occasion d’un commentaire d’arrêt rendu le 11 mai 2023 par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence[15]. L’objet de l’appel ne devait être précisé que dans le dispositif de ses conclusions. Si, par négligence, il ne le faisait pas, il résultait de la jurisprudence de la Cour de cassation que les juges du fond n’avaient pas d’autres choix que de confirmer le jugement attaqué. Une sanction sévère dont nul n’ignore plus aujourd’hui l’origine, à savoir un arrêt de la deuxième chambre civile du 17 septembre 2020 et qui, en cela, proposait, de l’aveu même de la Cour de cassation, une nouvelle interprétation des articles 542 et 954 du code de procédure civile[16]. Cette sanction, un second arrêt, rendu un an après le premier[17], tenta certes de la tempérer avec l’alternative de la caducité de la DA relevée d’office par le juge. Pour des raisons que nous avons déjà exposées dans une contribution parue dans un numéro de La Semaine Juridique[18], la tentative devait rester vaine. Le décret à l’étude a-t-il trouvé la solution dans l’harmonisation du formalisme de la DA et des conclusions d’appel[19] ? Car en effet, il résulte désormais de l’article 901, al. 1er, 6°, nouveau, du code de procédure civile que la DA doit faire mention de « l’objet de l’appel en ce qu’il tend à l’infirmation ou l’annulation du jugement ». Il y a là un bris de jurisprudence qui ne se fait pas nécessairement en faveur de l’appelant car, in fine, l’alignement des régimes se fait par une charge procédurale de plus dont la sanction n’est pas douteuse : la confirmation du jugement dont appel ! Et l’on veillera de ne pas solliciter « l’infirmation ou l’annulation du jugement » en laissant ainsi au juge d’appel le soin de faire le tri. Car, comme le précise là encore sur « X » le Professeur Jérémy-Jourdan-Marques[20], en procédant de la sorte, le « job » n’est pas fait, puisqu’on ne précise pas l’objet de l’appel. Autrement-dit, il faudra examiner attentivement le dossier et décider si l’on sollicite, soit l’infirmation, soit l’annulation. Voici au prix de quoi s’opère donc la simplification de la procédure d’appel en matière civile… au prix d’une charge de plus.
B- Une nouvelle formalité dans le dispositif des conclusions d’appel
8- Charge de plus il y a aussi désormais dans le dispositif des conclusions d’appel. On vient de voir que la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation invite à fortement les ciseler. Il faudrait être à l’avenir d’autant plus minutieux dans le travail de rédaction des conclusions d’appel que l’article 954, al. 2, nouveau, exige qu’elles mentionnent « les chefs du dispositif du jugement » (nouvelle formule) critiqués. La sanction de cette nouvelle formalité n’est certes pas précisée. Mais il n’est pas impossible d’imaginer qu’elle puisse être la suivante : l’obligation pour les juges d’appel de ne pas statuer sur les chefs du dispositif du jugement critiqués dans le dispositif de la DA mais non plus dans le dispositif des conclusions d’appel. Cela ferait un peu penser à la sanction de ces moyens non repris dans les conclusions récapitulatives. On peut surtout invoquer à l’appui de cette sanction l’article 915-2 nouveau, lequel prévoit désormais la faculté pour l’appelant principal de « compléter, retrancher ou rectifier, dans le dispositif de ses premières conclusions […], les chefs du dispositif du jugement critiqués ». Cette nouveauté participe sans aucun doute d’un mouvement de simplification de la procédure d’appel mais s’accompagne immédiatement d’un élément de complexification, puisqu’en contrepartie, « la cour d’appel est saisie des chefs du dispositif ainsi déterminés »[21]. Si l’appelant a oublié dans le dispositif de ses conclusions d’appel un chef du dispositif du jugement qu’il critiquait expressément dans le dispositif de la DA, n’est-ce pas plutôt parce qu’il a fait le choix de le retrancher ? La jurisprudence de demain se dirigera peut-être vers une présomption de retranchement. Il faudra espérer qu’elle ne soit pas irréfragable.
[1] Décr. n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 ; JORF, n° 0288 du 12 décembre 2019.
[2] C. pr. civ., art. 750-1. Adde, pour ce qui est de nos observations sur l’annulation par le Conseil d’État de l’article 750-1 : « Le (faux) flou de l’annulation de l’article 750-1 du Code de procédure civile », LEDIU., novembre 2022, n° DIU201d9, obs. ss. CE., 6e-5e ch. réunies, 22 septembre 2022, nos 436939 et 437002 et, toujours de nous, « Retour de l’article 750-1 devant le tribunal judiciaire », LEDIU, juin 2023, n° DIU201r2, obs. ss. Décr. n° 2023-357, 11 mai 2023 ; JORF, n° 0110 du 12 mai 2023.
[3] C. pr. civ., art. 82-1.
[4] M. Scheffer, « Zoom sur… la réforme de la procédure civile » in Bull. d’Aix, 2020-1, janvier-avril 2020, pp. 43-82.
[5] V., pour la première utilisation de l’expression : P. Bertin, Le Grand Noël du procédurier : commentaires des innovations du nouveau Code de procédure civile à l’usage du praticien du tribunal de grande instance », Gaz. Pal., 1976, I et, pour l’utilisation la plus récente de l’expression, L. Cadiet, « Du petit Noël du procédurier aux étrennes du ministre », Procédures, février 2023, repère 2, p. 52. Adde, C. Bléry, « Cru 2018 : un petit Noël du procédurier », D. actu., 8 janvier 2019.
[6] Décr. n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile.
[7] https://twitter.com/JeremyJourdanM/status/1742229642885394900.
[8] Le projet de réforme envisageait de porter le délai de dépôt des trois premiers jeux de conclusions de neuf à quatorze mois !
[9] Les derniers chiffres clés de la justice le confirment :
https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2023-10/Chiffres_Cle%CC%81s_2023_En_ligne_0.pdf.
[10] Voy., par. ex., le message suivant de Me Ch. Simon sur LinkedIn :
https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7132625852462166016/.
[11] C. pr. civ., art. 906-1, al. 1er.
[12] C. pr. civ., art. 906-2.
[13] On rappellera ici au lecteur que le décret à l’étude entrera en vigueur le 1er septembre 2024.
[14] Cass. 2e civ., 25 mai 2023, n° 21-15.842, Publié au Bulletin. V., pour une « interview » sur cette décision : M. Barba et R. Laffly, « Objet de l’appel : pas de sujet ? », D. actu, 26 juin 2023.
[15] CA Aix, 1ère et 9e ch. réunies, 11 mai 2023, n° 22/09486 : Juris-data n° 2023-008684.
[16] Cass., 2e civ., 17 septembre 2020, n° 18-23.626, Publié au Bulletin : Juris-data n° 2020-013427.
[17] Cass., 2e civ., 30 septembre 2021, n° 20-15.674, Inédit : Juris-data n° 2021-015535.
[18] M. Scheffer, « Dispositif des conclusions d’appel : application en région d’une nouvelle politique jurisprudentielle », JCP G, n° 39, 2 octobre 2023, act. 1108, obs. ss., CA Aix, 1ère et 9e ch. réunies, 6 juillet 2023, n° 21/10620 : Juris-data n° 2023-012482.
[19] Voy., déjà de notre part sur ce point : « Défaut de demande d’infirmation/annulation dans le dispositif des conclusions d’appel. Petit essai de comparaison avec la forme de la déclaration d’appel », publication au Bull. d’Aix, version numérique précédente.
[20] https://twitter.com/JeremyJourdanM/status/1742229701819617404.
[21] Nous soulignons.
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