L’avocat dispose de l’éternité pour faire rendre exécutoire l’ordonnance de taxe du bâtonnier
Procédure civile / Honoraires de l’avocat
Auteur : JEAN CAPIEZ
Doctorant à Aix-Marseille Université
Laboratoire de Théorie du droit, EA892
capiez.jean@gmail.com
Procédure civile / Honoraires de l’avocat / Ordonnance de taxe du bâtonnier / Procédure pour faire rendre exécutoire / Délai pour saisir le Président du tribunal judiciaire / Imprescriptibilité
CA Aix, chambre 1-1, 6 décembre 2022, n° 22/08261 : Juris-data n° 020955
Président : O. Brue
Avocat : P.-Y. Imperatore
Résumé : L’arrêt accorde l’éternité à l’avocat pour demander au président du tribunal judiciaire que l’ordonnance de taxe du bâtonnier soit rendue exécutoire. La solution comme sa justification sont problématiques.
Observations. Il est rare que les décisions sur les honoraires des avocats soient intellectuellement stimulantes (financièrement, elles le sont un peu plus souvent : 600 000 euros ici). Voilà pourtant un arrêt marquant sur le sujet.
Pour le comprendre, rappelons que le bâtonnier peut être saisi en cas de conflit d’honoraires entre l’avocat et son client. L’ordonnance qu’il rend n’a pas force exécutoire. Elle ne peut en bénéficier que par l’intervention d’un « vrai » juge. Il s’agit du président du tribunal judiciaire, si aucun recours n’a été formé contre l’ordonnance, ou si le recours devant le premier président de la Cour d’appel a été déclaré irrecevable.
Sous quel délai faut-il saisir le président du tribunal judiciaire ? L’arrêt opte pour l’imprescriptibilité. Les justifications qu’il propose à cette solution indignent méthodologiquement mais plaisent techniquement.
Méthodologiquement, il est rappelé que le spécial déroge au général. Or, la procédure d’ « exécutoirisation » (on utilisera désormais ce mot) est spéciale. Il ne faudrait donc pas lui appliquer les délais de droit commun. Et puisqu’aucun délai spécial n’a été prévu, il n’y a pas lieu d’appliquer quelque délai que ce soit. Ce raisonnement ne convainc pas du tout.
On concèdera que, dans la « bulle » du spécial, il était possible de faire parler le silence sur les délais. Puisque ce qui n’est pas interdit est permis, il n’y a, à ce stade, aucune raison d’interdire la demande passé un certain temps.
Reste que, pour déroger au commun, il ne suffit pas que le spécial se taise. La dérogation doit être expresse. La fonction complétive et subsidiaire du droit commun l’impose. L’article 1105 du Code civil en fournit un exemple typique[1]. L’oublier impliquerait de refuser d’appliquer le dol à la vente au motif que le chapitre sur la vente n’en parle pas, ce qui n’est pas moins sérieux que de refuser d’appliquer les délais de droit commun dans le silence des textes spéciaux. Cette forme de raisonnement a déjà été dénoncée par Atias[2].
Techniquement, la référence au lien entre action et prescription convainc davantage. L’idée est que la prescription frappe l’action (1), que n’incarne aucunement la demande d’exécutoirisation (2). Elle ne saurait donc être frappée par la prescription.
1) La prescription ne frapperait que les actions. Cela rappelle l’interrogation classique : la prescription éteint-elle l’action (conception processualiste) ou le droit au fond (conception substantialiste) ? Personne n’a décisivement tranché cet insoluble problème, sur lequel on se gardera de prendre position.
2) L’exécutoirisation n’incarnerait aucune action. Les juges l’expliquent par la définition légale de l’action[3], qui vise le droit d’être entendu sur le « fond » de la prétention, pour que le juge la dise « bien ou mal fondée »[4]. Cette profondeur contraste avec les limites de la procédure d’exécutoirisation, dans laquelle le juge ne contrôle que la « légalité objective de la demande ».
Ce caractère non-substantiel expliquerait ainsi l’« aprescriptibilité » : le délai n’est pas infini (imprescriptibilité), il est juste impensable. C’est cohérent avec le régime appliqué à la requête en rectification d’erreur matérielle, elle aussi superficielle donc éternelle[5]. On aurait plus simplement pu raisonner par analogie avec l’exequatur, comme les moyens s’y risquaient, d’autant plus que la Cour de cassation a depuis admis son imprescriptibilité, sans toutefois nier qu’il s’agit bel et bien d’une action[6].
Et ensuite ? Procéduralement, la faculté de demander l’exécutoirisation de l’ordonnance du bâtonnier n’est donc pas prescrite. Mais substantiellement, la créance d’honoraires pourrait bien l’être. Est-ce un obstacle que le client pourra faire valoir devant le JEX[7] ?
Ce dernier ne peut remettre en cause le dispositif de la décision fondant l’exécution forcée[8]. Il y en a deux, ce qui est inhabituel : l’ordonnance du bâtonnier, qui s’est prononcé au fond, et celle du vrai juge qui l’a rendue exécutoire[9].
Le JEX peut néanmoins les contredire en se fondant sur la survenance d’un événement postérieur[10]. Or, la prescription en question survient après l’ordonnance du bâtonnier, mais avant l’exécutoirisation. Retenir la prescription est donc autorisé à l’égard de la première, mais interdit à l’égard de la seconde, car elle l’a refusée. Par conséquent, il faudra attendre une nouvelle prescription, dix ans après l’exécutoirisation[11], alors même qu’elle a déjà pu intervenir avant.
Ne fallait-il donc pas, en amont, refuser de rendre exécutoire l’ordonnance du bâtonnier, non pour la prescription procédurale précédemment rejetée, mais pour prescription substantielle de la créance ? En le refusant, au motif que l’ordonnance est devenue irrévocable, les juges admettent l’immortalité des droits constatés par une décision non-exécutoire.
Les décisions exécutoires se prescrivent pourtant par dix ans[12]. Il faudrait donc, à plus forte raison, soumettre le non-exécutoire à un délai. Pourquoi pas celui de droit commun ? Encore faudrait-il que le silence des textes spéciaux n’y déroge pas !
[1] « Les contrats, qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales […]. Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d’eux. Les règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières », i.e. celles qui sont établies dans les dispositions explicites propres à chaque espèce de contrat.
[2] C. Atias, « La chose dans le contrat : un bien en général ou des biens spéciaux », in La relativité du contrat, 1999, colloque Nantes, LGDJ, p. 67 s., spéc. p. 80 : « Parce qu’une loi spéciale régit tel domaine, les principes du Code civil s’en trouvent bannis par définition » (défavorable à ce raisonnement a contrario déplacé).
[3] Les motifs visent de la « demande », mais je suppose qu’il s’agit d’une confusion, puisque l’article auquel il est renvoyé vise bien l’action, dont il était question dans la phrase qui précède celle-ci.
[4] CPC, art. 30.
[5] Cass. 2e civ., 7 juin 2018, n° 16-28.539, D. actu. 4 juillet 2018, obs. M. Khebir (la Cour de cassation utilise le seul terme de requête, celui d’action étant seulement utilisé par la Cour d’appel).
[6] Cass. 1ère civ., 11 janvier 2023, n° 21-21.168, D. actu. 25 janvier 2023, obs. F. Mélin – CA Paris, ch. 3-5, 8 novembre 2022, n° 22/11395.
[7] Celui-ci peut en effet statuer sur le fond de la contestation (CPCE, art. L. 213-6).
[8] CPCE, art. R. 121-1.
[9] La procédure d’exécutoirisation est à distinguer du recours contre l’ordonnance du bâtonnier devant le premier président de la Cour d’appel. En cas de recours, seule la décision du premier président fondera ensuite les poursuites, puisqu’elle se substituera à celle de bâtonnier.
[10] Cass. 2e civ., 8 décembre 2022, n° 20-20.233.
[11] L’arrêt considère que le délai décennal de l’article L. 111-4 du CPCE court à compter de la décision rendant exécutoire l’ordonnance du bâtonnier, et non à partir de l’ordonnance du bâtonnier qui a été rendue exécutoire. Cela semble cohérent, puisque l’idée est que le délai doit courir à compter du moment où l’exécution forcée peut être poursuivie, ce qui n’est pas le cas au stade de l’ordonnance du bâtonnier.
[12] CPCE, art. L. 111-4 (sauf si l’action en recouvrement de la créance constatée se prescrit par un délai plus long).
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