Le contrôle du respect des règles procédurales par les magistrats en matière d’hospitalisation psychiatrique sans consentement
Auteur : FANNY CHARLENT
Docteur en droit
Avocate inscrite au Barreau des Alpes-de-Haute-Provence
fanny.charlent@gmail.com
Hospitalisation du malade mental / Droits du malade mental hospitalisé
CA Aix, chambre 1-11, 19 octobre 2023, n° 23/00158, Juris-data n° 019480 ; CA Aix, chambre 1-11, 9 novembre 2023, n° 23/00172, Juris-data n° 020706
Résumé : Le contentieux des hospitalisations sans consentement prend progressivement un autre tournant en ce que les magistrats contrôlent davantage le respect des conditions légales. L’étude de la jurisprudence de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence permet d’appréhender les irrégularités susceptibles, ou pas, d’aboutir à une levée de la mesure.
Observations : 1- Si le principe consacré par la législation française est celui de l’exigence du consentement de la personne pour faire l’objet de soins psychiatriques[1], une exception est prévue dans l’hypothèse où le patient présente des troubles mentaux rendant impossible son consentement et nécessitant une surveillance médicale constante. Ces soins psychiatriques sans consentement trouvent leur origine dans plusieurs procédures distinctes : l’admission en soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou en cas de péril imminent[2] et l’admission sur décision d’un représentant de l’Etat[3]. Chacune de ces procédures requiert le respect de conditions procédurales. Par les deux arrêts commentés, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence statue sur les modalités d’application de ces règles en matière d’hospitalisation à la demande d’un tiers.
Il est intéressant d’observer que le contentieux des hospitalisations psychiatriques sans consentement a évolué ces dernières années. Si pendant longtemps les décisions d’admission et de poursuite de l’hospitalisation étaient peu remises en question par les magistrats, frileux d’aller à l’encontre d’un avis médical, le non-respect d’une règle procédurale justifie désormais une mainlevée de la mesure dès lors qu’il en résulte un grief pour le patient. Ainsi, en la matière, le rôle de l’avocat consistera essentiellement à s’assurer du respect de ces règles procédurales.
2- Bien que la Cour d’appel ne retienne pas d’atteinte aux droits du malade mental hospitalisé justifiant une levée de la mesure dans les deux affaires commentées, l’apport en est intéressant et doit être mis en perspective avec la jurisprudence de cette juridiction.
Dans la première affaire, le conseil du patient avait soulevé une irrégularité tenant en l’absence d’avis médical de plus de quarante-huit heures en violation de l’article L. 3211-12-4 alinéa 3 du Code de la santé publique. Il résulte en effet de cette disposition qu’un psychiatre de l’établissement d’accueil de la personne admise en soins psychiatriques sans consentement doit adresser au greffe de la cour d’appel un avis se prononçant sur la nécessité de poursuite de l’hospitalisation complète « au plus tard quarante-huit heures avant l’audience ». Si la juridiction a retenu que l’avis médical versé au dossier est effectivement daté de moins de quarante-huit heures, aucune atteinte aux droits de la patiente ne peut être caractérisée en ce que ce document est destiné à appréhender la situation de la patiente à la date la plus proche possible de l’audience avec les éventuelles améliorations obtenues.
Dans la seconde affaire, le patient a été hospitalisé à la demande de son épouse et le préfet a pris, par la suite, un arrêté en raison du risque grave d’atteinte à l’ordre public. L’avocat du patient a soulevé l’irrégularité de la procédure du fait de l’absence de notification au tiers demandeur. Les juges ont conclu à la régularité de la procédure en ce que le tiers étant à l’origine de la mesure, l’absence de notification ne constitue pas une irrégularité de procédure.
3- Les causes d’irrégularité de la procédure sont nombreuses en la matière et sont régulièrement évoquées devant les magistrats dès lors qu’il s’agit généralement des seuls moyens de défense que l’avocat du patient peut utilement développer. L’étude de la jurisprudence de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dévoile ainsi de nombreux enseignements et permet d’identifier des points de vérification à effectuer en tant que conseil. Les présents développements viseront spécifiquement la jurisprudence récente relative à l’hospitalisation à la demande d’un tiers dans la continuité des deux arrêts commentés. Si certaines règles procédurales sont communes aux différentes procédures, chacune est régie par des règles propres, à l’origine de causes d’irrégularité spécifiques.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a eu l’occasion d’appréhender comme étant une irrégularité nécessitant une levée de la mesure le caractère tardif de la notification des décisions et des droits au patient dans l’hypothèse où il ne résulte pas des pièces produites que les décisions aient fait l’objet de tentatives de notifications qui auraient été reportées du fait de l’état de santé du patient[4]. Cette exigence procédurale de notification participe des règles appréhendées comme fondamentales par les magistrats. L’irrégularité est retenue, quand bien même le patient a fait appel de la décision du juge des libertés et de la détention et que le retard dans les notifications l’a privé de l’exercice de ses droits et des recours contre les décisions de l’administration pendant seulement quelques jours.
En matière d’hospitalisation psychiatrique à la demande d’un tiers, il importe de noter que la demande formée par un incapable majeur rend la procédure irrégulière et justifie la mainlevée de la mesure d’hospitalisation, cette irrégularité faisant nécessairement grief au patient[5].
Il est également intéressant de relever que les juges ont également fondé leur décision de mainlevée de l’hospitalisation sans consentement sur la qualité du signataire de la demande de contrôle de plein droit de la mesure[6]. Le juge des libertés et de la détention avait été saisi d’une demande de contrôle de plein droit de la mesure d’hospitalisation sous contrainte par requête du directeur du centre hospitalier portant le tampon et la signature du responsable du service des admissions de l’hôpital sans qu’il ne soit justifié d’aucune délégation de pouvoir en violation des articles L. 3211-12-1, R. 3211-7 et R. 3211-10 du code de la santé publique.
La juridiction d’appel d’Aix-en-Provence s’est par ailleurs positionnée à plusieurs reprises sur la question de la justification médicale de la mesure. Par un arrêt d’octobre 2022[7], les juges ont retenu que le médecin préconise une poursuite de la mesure en hospitalisation partielle avec maintien du programme de soins pour conclure qu’il résulte de cet avis médical que l’alliance thérapeutique est correcte ainsi que l’observance du traitement et que la mesure d’hospitalisation complète peut être levée. Plus récemment, c’est l’emploi par le certificat médical de situation de termes strictement identiques à ceux employés dans un avis médical antérieur sans mention de la nécessité de poursuite de la mesure qui a justifié la levée de l’hospitalisation[8]. Il s’agit sûrement du point sur lequel l’évolution du positionnement des juges est la plus marquante en ce que progressivement les professionnels du droit se saisissent du contenu des documents médicaux.
4- L’étude de la jurisprudence en la matière témoigne de la réelle prise en considération des droits des personnes privées de libertés et il faut évidemment s’en féliciter. Ce positionnement se dresse dans la continuité directe du mouvement observé en matière de respect de la dignité et des droits des personnes détenues et de l’élaboration, sur le fondement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et du travail du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, d’un droit de la privation de liberté[9].
[1] CSP, art. L. 3211-1.
[2] CSP, art. L. 3212-1 à L. 3212-12.
[3] CSP, art. L. 3213-1 à L. 3213-11.
[4] CA Aix, ord., 30 juin 2022, n° 22/00103, Juris-data n° 2022-014277 (Décision de maintien des soins psychiatriques notifiée le cinquième jour et les droits y afférents le sixième jour) – CA Aix, ord., 6 février 2023, n° 23/00018, Juris-data n° 2023-003372 (retard de trois jours).
[5] CA Aix, ord., 5 juillet 2023, n° 23/00092, Juris-data n° 2023-014855.
[6] CA Aix, ord., 16 juin 2023, n° 23/00081, Juris-data n° 2023-014745.
[7] CA Aix, ord., 4 octobre 2022, n° 22/00145.
[8] CA Aix, ord., 28 février 2023, n° 23/00032, Juris-data n° 2023-005081 – CA Aix, ord., 17 août 2023, n° 23/00126, Juris-data n° 2023-017472.
[9] M. Giacopelli, E. Gallardo (Dir.), L’élaboration d’un droit de la privation de liberté, LexisNexis, 2020.
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