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Droit civil / Droit des obligations / Contrats / Obligation de sécurité
Auteur : PIERRE-JEAN MARINI
Master II mention Droit privé à l’Université d’Aix-Marseille
Parcours : Contentieux de la responsabilité et de l’indemnisation
Institut des assurances d’Aix-Marseille (IAAM)
Responsabilité civile contractuelle / Obligation de sécurité / Manquement à l’obligation de sécurité (oui) / Obligation de moyens / Obligation de résultat / Sport / Course pédestre hors stade / Association sportive / Charge de la preuve / Faute de l’organisateur / Surveillance / Comportement malveillant.
CA Aix, ch. 1-6, 5 mai 2022, n° 177, Juris-data n° 008026
Président : J.-W. Noël
Avocats : SCP LPT, SELARL P. Avocats Provence, SCP BBLM Avocats, SCP D. d’A. & Associés, SCP TPV
Résumé : A l’occasion d’une course pédestre hors stade, l’obligation contractuelle de sécurité de l’association organisatrice commande, en sus de la délivrance d’une information éclairée aux participants, « la mise en œuvre d’une surveillance effective et efficace qui inclut nécessairement la prévention du débalisage par des individus malveillants ». En précisant les contours de l’obligation à la charge de l’association, la cour d’appel change la physionomie de l’obligation de sécurité qui semble revêtir l’apparence d’une obligation de résultat, nonobstant la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière.
Observations : 1– De jurisprudence constante, pèse sur l’organisateur d’une manifestation sportive une obligation « de sécurité, de prudence et de diligence[1] » envers les participants, quand bien même ces derniers pratiquent librement l’activité sportive. Selon le critère traditionnel de distinction[2] tenant au rôle actif du créancier[3] (et le rôle actif d’un coureur ne fait pas débat), il s’agit là d’une obligation contractuelle de sécurité de moyens. Or, bien que critiquée, l’obligation de sécurité s’épanouit en matière sportive[4]. L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 5 mai 2022, fait montre d’une certaine sévérité quant à l’appréciation de l’exécution de son obligation par l’organisateur sportif et appelle quelques observations.
2- En l’espèce, une association a organisé une course pédestre au cours de laquelle un participant a été blessé en glissant sur un rocher après s’être engagé dans une direction erronée. Il ressort de l’arrêt que l’erreur de la victime et de plusieurs autres coureurs résultait du débalisage du parcours en raison de l’acte malveillant de quelques « énergumènes sans doute idiots ». La victime a par suite saisi le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence d’une action en réparation de son préjudice. Cette dernière étant régulièrement inscrite à la course, elle a choisi d’agir sur le fondement de la responsabilité civile contractuelle (C. civ., art. 1147 anc.). Le jugement, après avoir dit que l’association a manqué à son obligation contractuelle de sécurité, a déclaré celle-là entièrement responsable du préjudice subi par la victime et l’a condamnée avec son assureur au paiement des sommes sollicitées. L’association et son assureur ont interjeté appel complet du jugement.
3– Au soutien de leurs demandes, les appelantes font valoir l’absence de manquement à l’obligation d’information et de sécurité de l’association organisatrice en rappelant l’existence d’une signalétique et l’annonce par le speaker d’un débalisage. L’association argue également du caractère « purement fortuit » de l’accident, sans lien avec le débalisage, et conteste son emplacement et de facto sa causalité. Elle invoque enfin prudemment la faute de la victime consistant en une « erreur d’appréciation ». A contrario, les intimés, au nombre desquels compte la victime, concluent au manquement de l’association à son obligation de sécurité et à l’existence d’un défaut de balisage au lieu de l’accident, la « bonne direction [impliquant] notamment de quitter le chemin principal ». Ces derniers rappellent aussi, qu’en sus de son obligation contractuelle de sécurité à leur égard, l’organisateur est tenu au respect des règles techniques édictées par la fédération ad hoc[5] (C. sport, art. L. 331-1).
4– L’échec de l’association organisatrice d’une course pédestre à prévenir le débalisage partiel du parcours par des individus malveillants caractérise-t-il la mauvaise exécution de son obligation contractuelle de sécurité ? Telle est la question qui se posait à la cour d’appel d’Aix-en-Provence à l’occasion de cette affaire. Les magistrats de la chambre 1-6, en confirmant (partiellement) le jugement entrepris[6], y ont répondu positivement. Néanmoins, la réponse à une telle question ne peut faire l’économie d’une question préliminaire : quel degré d’exigence l’obligation contractuelle de sécurité à la charge de l’association sportive revêt-elle, obligation de moyens ou de résultat ? Bien que la première solution semblât acquise, la summa divisio s’estompe sous la plume de la cour d’appel. C’est là tout l’intérêt de l’arrêt. Avant même de rappeler le rôle actif du coureur et la charge de la preuve qui pèse sur lui – c’est-à-dire l’apanage de l’obligation de moyens –, la cour d’appel distingue deux caractères de cette obligation de sécurité : 1° « la délivrance d’une information éclairée, au moyen d’un balisage adapté destiné à permettre au coureur de rester dans l’axe du tracé de la course » et 2° « la mise en œuvre d’une surveillance effective et efficace qui inclut nécessairement la prévention du débalisage par des individus malveillants ». Cette double précision, qui ne semble pas empruntée à la Cour de cassation, interroge tant elle apparaît incompatible avec l’obligation de moyens.
5– Concernant le premier caractère tenant à la délivrance d’une information éclairée, la cour d’appel reprend dans sa motivation quelques-unes des règles techniques et de sécurité, édictées par la Fédération française d’athlétisme (FFA). Or, ladite réglementation des manifestations hors-stade a été adoptée le 27 juin 2015 et était applicable à compter du 1er novembre 2015, c’est-à-dire postérieurement à la course organisée le 20 septembre 2015. La motivation de l’arrêt écarte cette « circonstance » en rappelant que l’appréciation de la responsabilité de l’organisateur n’exige pas que la violation de la réglementation applicable soit avérée. Partant, la cour juge, d’après les pièces produites par les intimés et notamment le témoignage de plusieurs coureurs égarés, de la réalité du débalisage. Si la position des juges du fond en faveur de l’indifférence de l’entrée en vigueur du règlement laisse sceptique l’observateur de cet arrêt, il semble bien que la réalité du débalisage soit établie au niveau du kilomètre 16. Néanmoins, ce n’est pas là une réelle difficulté puisque les deux parties s’accordent sur l’existence de ce débalisage, bien qu’elles en discutent l’emplacement exact. Il est avéré que ce dernier est le fruit d’un acte intentionnel et malveillant.
6– Secondement, la cour précise que l’obligation de sécurité implique également « la mise en œuvre d’une surveillance effective et efficace qui inclut nécessairement la prévention du débalisage par des individus malveillants ». Or, le choix des adjectifs « effectif » et « efficace » et l’appréciation du cas d’espèce semblent dépasser la simple obligation de moyens. La Cour de cassation, comme dans son arrêt en date du 15 décembre 2011[7], fait généralement le choix des termes « prudence » et « diligence ». Le Professeur Jourdain relevait ainsi que « les termes de l’arrêt évoquent nettement[8] » l’obligation de moyens. La portée des adjectifs choisis par la cour d’appel est tout autre. Selon le Dictionnaire de l’Académie française[9], est « efficace » l’action « qui produit l’effet attendu ; qui réussit ». Il ne s’agit pas là d’une simple question sémantique. Ce caractère d’efficacité adjoint à l’obligation contractuelle de sécurité de l’association apparaît difficilement conciliable avec la notion d’obligation de moyens.
7– Dans le cas d’espèce, il ne semble pas y avoir de doute quant à la réalité du balisage le long du parcours et à l’information du public et des coureurs par le speaker. Le débalisage temporaire au niveau du kilomètre 16 constitue dès lors un fait malveillant, de surcroît corrigé en fin de course (après l’accident). En démontrant la réalité du retrait intentionnel d’une balise par un tiers et le rôle causal du débalisage dans la survenance de l’accident, la victime ne démontre en réalité que l’absence de résultat des mesures de sécurité et de surveillance mises en œuvre par l’association. Pour autant, l’absence de satisfaction du créancier ne suffit pas à caractériser la faute du débiteur dans le cadre de l’obligation de moyens. Or, pour confirmer la responsabilité de l’association, la cour d’appel retient que les moyens mis en œuvre n’ont pas été efficaces : la faute de l’association a consisté à ne pas procurer le résultat promis. Cette décision apparaît d’autant plus sévère que la course à pied ne constitue pas un sport particulièrement dangereux par nature. Dans ce cas-là d’ailleurs, l’obligation est une obligation de moyens renforcée[10] et non de résultat.
8– Dans ces circonstances, l’association est bien en peine de se défendre. Bien que cette dernière ait évoqué vainement l’absence de lien de causalité et prudemment l’hypothèse d’une faute du coureur, la démonstration de la faute de la victime est rendue difficile, voire impossible, par les circonstances de fait. Le débalisage malveillant et la présence de plusieurs coureurs engagés sur le mauvais sentier rendent cet argument inopérant. Quant à la force majeure, le caractère de l’imprévisibilité fait défaut : il appert que les actes malveillants de débalisage sont notoires à l’occasion de ces évènements sportifs. Néanmoins, sur le terrain de l’obligation de moyens, la démonstration de l’existence de dispositifs de sécurité et d’information et de la correction du débalisage avant la fin de la course (comme le prouve une photographie produite aux débats), tout comme le fait d’un tiers, devraient permettre de réfuter le manquement allégué. Seule l’exigence d’une surveillance « effective et efficace » – c’est-à-dire un degré d’exigence tel que celui de l’obligation de résultat – permet dès lors de limiter les causes d’exonération à la démonstration de la force majeure, justement écartée en l’espèce.
9- En conclusion, bien que la cour d’appel rappelle in limine le caractère de moyens de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’association, les prémisses ainsi posées et la conclusion de la cour, c’est-à-dire la faute consistant en l’inefficacité des mesures prises, apparaissent contradictoires. En précisant les contours de l’obligation de sécurité à la charge de l’organisateur, la cour en modifie la physionomie. Si l’exigence de surveillance du parcours durant tout le déroulé de la course semble être une indispensable précaution, le degré d’exigence imposé par la cour est discutable. Dès lors que la mesure de surveillance doit être « effective et efficace », cette dernière tend vers l’obligation de résultat et dépasse assurément l’obligation de moyens classiquement à la charge des associations sportives. Toutefois, l’histoire ne dit pas encore si la Cour de cassation aura l’occasion de connaître de l’affaire et d’y voir une violation du droit ou de confirmer cette évolution de la jurisprudence en précisant (plus durement) les contours de l’obligation de sécurité des associations sportives… une telle position ne manquerait pas d’influer sur l’activité de ces dernières.
[1] Cass. 1ère civ., 15 décembre 2011, nos 10-23.528 et 10-24.545, F-P+B+I, Bull. civ., I, n° 219 ; JCP G 2011, p. 1143, obs. J.-J. Barbieri ; D. 2012, p. 539, note M. Develay, n° 704 ; RTD civ. 2012, p. 121, obs. P. Jourdain ; RDC 2012, p. 430, obs. J.-S. Borghetti.
[2] Cass. com., 7 février 1949, JCP 1949, II, 4959, obs. R. Rodière ; D. 1949, p. 377, note F. Derrida.
[3] C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, PUAM, 2002, p. 16 – F. Buy et al., Droit du sport, LGDJ, 6e éd., 2018, p. 607 – Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit des obligations, LGDJ, 12e éd., 2022, p. 543.
[4] F. Buy et al., op. cit., p. 608 : « défaut des installation », « carence dans l’encadrement », « défaut de compétence professionnelle », « défaut de surveillance », « d’anticipation ou de secours », p. ex.
[5] V. p. ex. Cass. 1ère civ., 16 mai 2006, n° 03-12.537, FS-P+B, Bull. civ., I, n° 249, p. 218 : « Mais attendu que l’arrêt énonce à bon droit que le seul respect des obligations de sécurité fixées par les instances sportives est insuffisant pour exonérer une association de ses devoirs en matière de sécurité et que, au-delà d’un strict respect des prescriptions sportives, il existe à la charge de cette association une obligation de prudence et de diligence » ; RCA 2006, n° 7-8, comm. 239 ; JCP E 2006, p. 2194.
[6] La cour confirme le jugement à l’exception de l’indemnisation du préjudice d’agrément et du montant des sommes allouées aux tiers-payeurs notamment.
[7] Cass. 1ère civ., 15 décembre 2011, nos 10-23.528 et 10-24.545, op. cit. : « Qu’en statuant ainsi, alors que l’association sportive est tenue d’une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence envers les sportifs exerçant une activité dans ses locaux et sur des installations mises à leur disposition, quand bien même ceux-ci pratiquent librement cette activité, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». V. égal. Cass. 1ère civ., 16 mai 2006, n° 03-12.537, op. cit.
[8] P. Jourdain, op. cit.
[9] Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd. [en ligne].
[10] V. p. ex. Cass. 1ère civ., 16 mai 2018, n° 17-17.904, F-P+B, Bull. civ., I, n° 89, Juris-data n° 2018-008269, RCA 2018, p. 223 ; Contrats, conc. consom. 2018, p. 148, obs. L. Leveneur.
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