SÉDUCTION OU CORRUPTION ? LA NUANCE EST PLUS TÉNUE QU’IL N’Y PARAIT…
Auteur :
Julie FIGUIÈRE-CROUZET
Doctorante contractuelle en droit pénal et sciences criminelles
Laboratoire de Droit privé et de sciences criminelles (EA4690)
Faculté de droit et de sciences politiques, Aix-Marseille Université
Droit pénal spécial / Corruption de mineur / Mineurs de quinze ans / Excitation de mineur à la débauche
Président : C. Hermerel
Avocats : Me F. Scifo
Me L. Curran
Résumé : Le fait pour un prévenu travaillant dans un collège et âgé de vingt ans d’échanger des messages et des photographies dénudées avec des élèves de l’établissement âgées de quatorze ans n’est pas constitutif du délit de corruption de mineurs. En effet, les clichés versés ou décrits en procédure ne présentaient aucun caractère pornographique en l’absence d’érection et de masturbation, ou de posture ou geste évocateurs d’un acte sexuel quel qu’il soit. Ainsi, le contenu des échanges, bien qu’inapproprié de la part d’un homme majeur s’adressant à des élèves, ne relève que d’une tentative de séduction directe et personnelle de la part du prévenu.
Note :
1 – Le désir de protection des individus mineurs, et plus particulièrement en matière de violences sexuelles, a abouti à une véritable frénésie législative[1] dont la compatibilité avec le principe d’interprétation stricte de la loi pénale laisse dubitatif. En effet, en raison des dispositions foisonnantes à ce sujet, surgissent des concours de qualification rendant aléatoires le choix du texte sur lequel fonder les poursuites[2]. Ce dessein de protection, aussi louable soit-il, peut en effet s’avérer contre-productif. L’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 10 janvier 2024 semble en être la parfaite illustration, en ce qu’il témoigne des difficultés soulevées par la pléthore d’incriminations relatives à la protection des mineurs.
2 – Le prévenu, employé polyvalent au sein d’un collège, est entré en contact via différents réseaux sociaux tels que Snapchat et Instagram avec des élèves de l’établissement où il était employé, âgées de 14 ans. L’une d’elles a reçu des clichés du prévenu, d’abord de son visage, puis de différentes parties de son corps, notamment de son torse et du haut de sa cuisse. Cette attitude avait poussé l’adolescente à mettre un terme à leurs échanges, et à refuser les invitations du prévenu à la rencontrer en dehors du collège. S’agissant de la deuxième élève, après que des messages aient été échangés, le prévenu lui a demandé à plusieurs reprises de lui envoyer des photos d’elle dénudée. Si celle-ci s’était d’abord refusée à lui faire parvenir de tels clichés, elle avait fini par accepter après que le prévenu eut procédé à l’envoi de photographies de lui nu. Bien que l’adolescente considérait qu’elle-même et le prévenu étaient « presque ensemble » au regard du contenu des messages qu’ils échangeaient, leur différence d’âge ainsi que le fait que ce dernier lui ait demandé d’avoir une relation sexuelle avec elle l’avaient poussée à relater les faits à un surveillant du collège qui a ensuite informé la principale de l’établissement. Cette dernière a alors contacté les gendarmes afin de leur faire part de la situation après s’être entretenue avec le prévenu.
3 – Poursuivi du chef de corruption de mineur, le tribunal correctionnel a prononcé une décision de culpabilité concernant une seule des deux élèves, condamnant le prévenu à une peine de six mois d’emprisonnement ainsi qu’à la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs pendant cinq ans. La cour d’appel a quant à elle infirmé partiellement le jugement rendu en première instance, et renvoyé le prévenu des fins de la poursuite aux termes d’une motivation particulièrement fournie (I.) qui ferait presque oublier qu’une autre qualification semblait envisageable pour tenter d’entrer en voie de condamnation (II.).
I) Un effort remarquable de pédagogie de la part de la cour d’appel
4 – A la lecture de cet arrêt, outre le choix de qualification qui fera lui aussi l’objet d’observations, c’est aussi la densité et le contenu de la motivation qui interpellent. En effet, pour fonder la décision de relaxe, la cour d’appel s’épanche sur l’historique de la jurisprudence en matière de corruption de mineur, nous offrant un inventaire à la Prévert des décisions rendues par la Chambre criminelle à ce propos depuis 1854. Sont notamment évoqués les revirements successifs accomplis par la Cour de cassation au XIXème siècle, et pas moins de vingt-six décisions sont explicitement mentionnées. En outre, les magistrats retracent sur plus de deux pages et avec beaucoup de précision l’évolution du délit, anciennement dénommé excitation de mineur à la débauche dans le code pénal de 1810. Ils évoquent également la loi du 13 avril 1946[3], ou encore celle du 2 février 1981[4] qui est à l’origine de la séparation de cette infraction et de l’infraction de proxénétisme, et cite même une circulaire de la Chancellerie du 14 mai 1993. Si ces développements sont sans conteste particulièrement édifiants, et pourraient figurer dans un manuel particulièrement étoffé de droit pénal spécial, certains apparaissent néanmoins superfétatoires.
5 – In fine, sur les faits de l’espèce à proprement parler, seules quelques lignes y sont explicitement consacrées. La cour d’appel retient que les messages et photographies visés à la prévention, « s’ils étaient évidemment inappropriés de la part d’un jeune homme majeur s’adressant à une élève, âgée de quatorze ans, du collège dans lequel il était employé et justifiaient une réaction de l’institution scolaire (…) ne sont pas de nature à caractériser l’infraction pénale de corruption de mineure » et renvoie par conséquent le prévenu des fins de la poursuite. S’agissant d’une part du contenu des échanges, ceux-ci relevaient selon elle d’une simple tentative de séduction de la part du prévenu. D’autre part, concernant les photographies de nus, leur nature « ne permet pas de considérer qu’elles aient eu un caractère pornographique (et ce en l’absence notamment d’érection et de masturbation comme de toute autre attitude, posture ou geste évocateurs d’un acte sexuel quel qu’il soit) ».
6 – En effet, la corruption de mineurs est réprimée au titre de l’article 227-22 du Code pénal, lequel prévoit en son alinéa premier, que « le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Ces peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le mineur a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communications électroniques ou que les faits sont commis dans les établissements d’enseignement ou d’éducation ou dans les locaux de l’administration, ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux ». Pour reprendre la formule employée par Garçon, l’infraction consiste à aplanir aux mineurs la voie de la débauche[5]. Pour le dire autrement, l’agent doit agir dans le but d’éveiller les pulsions sexuelles d’un mineur, non pas d’assouvir ses propres passions[6]. Ainsi, la seule séduction personnelle et directe ne tomberait pas sous le coup de ce texte. En témoignent plusieurs jurisprudences dûment citées par les magistrats, notamment l’arrêt du 25 janvier 1983[7] selon lequel une simple correspondance amoureuse n’est pas constitutif du délit, ou encore la décision rendue le 21 août 1863[8] selon laquelle la séduction n’entre pas dans les prévisions du texte. La nuance entre corruption et séduction semble pourtant particulièrement floue, ces deux substantifs féminins étant empreints de subjectivité. C’est d’ailleurs probablement la raison ce qui a poussé les magistrats de la cour d’appel à se référer abondamment à la jurisprudence à l’appui de leur décision, adoptant ainsi une attitude paraissant assez pusillanime.
II) L’absence regrettable de recours à une autre qualification pénale
7 – S’il était effectivement délicat de retenir le délit de corruption de mineur à l’encontre du prévenu au regard de la jurisprudence antérieure et de l’exigence d’un dol spécial pour caractériser l’infraction, ses agissements n’étaient pour autant pas exempts d’une possible qualification délictuelle. Au regard de la densité de l’arsenal législatif en vigueur en matière de protection des mineurs, il semblerait difficilement concevable que les faits décrits dans l’arrêt, pour le moins préoccupants de la part d’un employé d’un établissement scolaire, ne tombent sous le coup d’aucune qualification pénale. En effet, l’article 222-27-1 du code pénal punit d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende « le fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique ».
8 – La cour d’appel, qui ne tarit pas sur la jurisprudence relative à la corruption de mineur, manque néanmoins fort malheureusement d’exhaustivité, puisqu’elle omet (sciemment ?) de citer l’arrêt du 8 février 2017[9] publié au Bulletin, dont la solution aurait mérité d’être appliquée aux faits soumis aux magistrats. Effectivement, si la Cour de cassation exige que l’auteur soit animé d’un but de perversion de la jeunesse pour que le délit de corruption de mineur soit constitué[10], il appartient toutefois aux juges de rechercher si les agissements en cause ne relèvent pas de la qualification de propositions sexuelles d’un majeur à un mineur de quinze ans par un moyen de communication électronique.
9 – En tout état de cause, la preuve étant toujours particulièrement difficile à rapporter en matière d’infractions sexuelles[11], a fortiori en l’absence de lésions sur le corps de la victime[12], il paraît peu probable qu’un autre choix de qualification permette le prononcé d’une condamnation en l’espèce. Si l’une des parties civiles avait effectivement déclaré que le prévenu lui avait demandé d’avoir une relation sexuelle avec lui, et qu’elle avait trouvé des excuses pour éviter un tel passage à l’acte, ce dernier avait nié avoir proposé des relations sexuelles à l’adolescente durant son placement en garde à vue. Faute de preuves matérielles permettant d’attester de la réalité de cette sollicitation, le délit de proposition sexuelle à un mineur de quinze ans ne saurait donc lui non plus être imputable au prévenu, ne laissant d’autre choix aux magistrats que de renvoyer ce dernier des fins de la poursuite.
[1] On peut notamment songer à la loi du 8 février 2010 n°2010-121 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux, ou encore à la loi n°2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste qui crée de nouvelles infractions, introduit la clause dite « Roméo et Juliette », et qui instaure le mécanisme de prescription glissante.
[2] C. Lazerges, « Politique criminelle et droit de la pédophilie », RSC 2010/3, n°3, p.732.
[3] Loi n°46-685 du 13 avril 1946 dite Marthe Richard tendant à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de la lutte contre le proxénétisme.
[4] Loi n°81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes.
[5] P. Conte, Droit pénal spécial, LexisNexis, 6e éd. 2019, n°375, p.278.
[6] E. Dreyer, « Corruption de mineur : instrument de police des comportements dans la sphère familiale ? », RSC 2018, p.719.
[7] Cass. crim., 25 janvier 1983, n°81-91.203, publié au Bulletin.
[8] Cass, crim, 21 août 1863 : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation rendus en matière criminelle, 1863, p. 382-383. L’arrêt portait sur un instituteur qui entretenait une liaison avec une élève mineure.
[9] Cass. crim., 8 février 2017, n°16-80.102, FS-P+B.
[10] D. Goetz, « Focus sur le délit de propositions sexuelles d’un majeur à une mineure de 15 ans par un moyen de communication électronique », D. actu. 28 février 2017. Haut du formulaireBas du formulaire
[11] V. en ce sens : V. Le Goaziou, Penser les agressions sexuelles. Actualité des modèles, actualité des pratiques, Dir. B. Gravier, P. Roman, Érès, coll. Études, recherches, actions en santé mentale en Europe, 2016, p.29 ; O. Pérona, « Médecins légistes et policiers face aux expertises médico-légales des victimes de violences sexuelles », Déviance et société, Médecine & Hygiène, 2017, Vol.41, p.438 ; F. Desprez, « Preuve et conviction du juge en matière d’agressions sexuelles », Arch. pol. crim., n°34, 2012, p.50.
[12] O. Pérona, « Usages policiers des preuves médicales des viols », La Revue nouvelle, n°5, 2023, p.62.
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