Une dispense de peine pour recel de téléphone portable en détention ne peut être accordée tant que des téléphones subsistent en milieu pénitentiaire
Droit pénal et procédure pénale / Droit de la sanction pénale / Dispense de peine
Auteur : JULIE FIGUIÈRE-CROUZET
Doctorante contractuelle en droit pénal et sciences criminelles
Laboratoire de Droit privé et de sciences criminelles (EA4690)
Faculté de droit et de sciences politiques, Aix-Marseille Université
CA Aix, ch. 5-3, 1er juillet 2022, Juris-data n° 024424
Président : F. Castoldi
Avocat : Me P. Sollacaro
Résumé : Le fait que les objets utilisés ayant permis la consommation de l’infraction de recel de téléphone portable et de carte SIM illégalement introduits en maison d’arrêt aient été saisis et détruits ne permet pas de considérer que sont remplies les conditions de réparation du dommage causé et de la fin du trouble occasionné par l’infraction requises par l’article 132-59 du Code pénal, même s’il apparaît que le reclassement du coupable est acquis.
Observations : 1- Manifestation la plus parlante du pouvoir d’individualisation[1] du juge répressif[2], la dispense de peine, prévue à l’article 132-59 du Code pénal, peut être prononcée depuis une loi du 11 juillet 1975[3]. Cette exemption judiciaire vient récompenser l’individu condamné qui aurait devancé les objectifs de la peine[4], plus particulièrement celui de réinsertion[5]. Elle est mise en œuvre de façon exceptionnelle[6], peut-être parce qu’il s’agit d’une faculté laissée à la libre appréciation des juges du fond lorsque les conditions sont réunies[7], sûrement également en raison de la subjectivité des conditions requises. En témoigne l’arrêt soumis à l’étude.
2- La chambre 5-3 de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a eu l’occasion de s’intéresser à la mesure de dispense de peine, et plus particulièrement aux conditions en permettant le prononcé. Par jugement du 14 décembre 2020, le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable de recel de téléphone et de carte SIM, mais l’a dispensé de peine. Le délit avait été commis par l’intéressé au cours de sa détention provisoire, à la suite de sa mise en examen du chef de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le ministère public a interjeté appel de la décision, sollicitant l’infirmation de la dispense de peine et le prononcé d’une amende de 800 euros. Le 1er juillet 2022, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé la décision rendue en première instance et condamné le prévenu au paiement d’une amende de 200 euros, lui refusant ainsi le bénéfice de la dispense de peine.
3- Au regard des dispositions de l’article 132-59 du Code pénal, cette mesure « peut être accordée lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé ». Trois conditions cumulatives sont par conséquent requises pour conduire au prononcé d’une dispense de peine : le reclassement du coupable, la réparation du dommage causé par l’infraction et la fin du trouble résultant de celle-ci. La première de ces conditions apparaît incontestablement remplie, tant pour les magistrats du tribunal correctionnel que ceux du second degré. Durant la procédure criminelle d’instruction, laquelle s’est finalement soldée par une décision d’acquittement, le prévenu déclarait en effet être célibataire, sans enfants, et avait fait les démarches pour le renouvellement de son titre de séjour. En détention, celui-ci a bénéficié du statut d’auxiliaire et a obtenu des diplômes français. Après son incarcération, le prévenu s’est montré désireux de se réinsérer. En effet, sa situation a évolué, ce dont il fait état à l’audience. Il est désormais marié, son épouse attend un enfant, il exerce une activité de technicien en fibre optique en CDI et a également présenté un titre de séjour valable jusqu’en 2031. Cette indéniable progression ne soulève ainsi aucune difficulté pour conclure que le reclassement du coupable est acquis, puisque celui-ci a entrepris les démarches administratives nécessaires pour obtenir sa régularisation. S’il s’agit là d’une condition indispensable, elle n’est toutefois pas suffisante à l’octroi d’une dispense de peine.
4- Le téléphone ainsi que le chargeur découverts lors de la fouille de la cellule individuelle du prévenu ayant été détruits, le tribunal a conclu que le dommage causé par l’infraction et le trouble en résultant avaient pris fin, justifiant alors le prononcé d’une dispense de peine. Telle n’est pourtant pas l’interprétation qu’en fait la cour d’appel, laquelle prend le contrepied de la motivation des magistrats de première instance pour infirmer leur décision. Elle considère ainsi que « le seul fait que les objets utilisés pour commettre l’infraction aient été saisis et détruits et que l’intéressé ait été libéré ne saurait en effet permettre de considérer le dommage causé comme réparé et le trouble en résultant comme cessé ». Cette affirmation emporte difficilement l’adhésion. D’autant plus que la cour l’étaye à l’aide d’un raisonnement qui ne convainc guère davantage. En effet, elle justifie sa décision au motif que les téléphones circulent dans les établissements pénitentiaires, empêchant ainsi de considérer l’infraction en cause comme « accessoire ». Il s’agit même d’un délit dont la commission est à l’origine d’une économie souterraine qui gangrène les lieux de détention.
5- La présence de téléphones en milieu pénitentiaire est une situation « presque banale »[8] puisque le nombre de téléphones portables saisis est en constante augmentation[9] en dépit de l’interdiction d’utilisation ou de détention de ces objets par le Code pénitentiaire[10]. C’est manifestement ce qui a conduit les magistrats à refuser d’accorder une dispense de peine au prévenu. Si ce dernier était bel et bien coupable de recel de détention de téléphone portable, il paraît regrettable de lui opposer l’existence de ce phénomène systémique, déjà difficile à endiguer pour les pouvoirs publics[11]. De surcroît, il apparaît que l’usage du téléphone servait principalement à communiquer avec des membres de son entourage, comme en témoigne la découverte d’une feuille manuscrite comportant les numéros de téléphone de sa mère et de son demi-frère. Il semble à ce propos important de souligner le fait que le prévenu était en relation avec ses proches pendant une période de détention provisoire dans le cadre d’une procédure ayant conduit à une décision d’acquittement, alors que celui-ci ne bénéficiait pas de parloir avec sa famille. Cette situation que l’on peut deviner éprouvante pour l’intéressé aurait pu susciter la compréhension des juges d’appel et les inviter à confirmer la décision de première instance, plus particulièrement dans la mesure où les procédures judiciaires à l’encontre de personnes en possession d’un téléphone ne sont pas systématiquement mises en œuvre[12].
6- Une telle décision soulève une interrogation : un individu coupable de recel de téléphone portable en détention peut-il réellement bénéficier du prononcé d’une dispense de peine ? De toute évidence, non. A en croire le raisonnement de la cour d’appel, tant que les téléphones portables circuleront en nombre dans les lieux de détention, deux des trois conditions permettant de prononcer une dispense de peine ne seront pas réunies. Cet arrêt questionne plus largement l’octroi de cette mesure. Devrait-on refuser toute dispense de peine aux conducteurs coupables d’excès de vitesse, au motif que cette infraction est commise par de nombreux usagers de la route[13] ? En l’absence de pourvoi en cassation qui aurait sans doute permis quelques éclaircissements de la part des magistrats du quai de l’Horloge, l’on ne peut que regretter une application aussi sévère des conditions de l’article 132-59 du Code pénal.
[1] Principe théorisé par Raymond Saleilles pour qui le but de la peine « est un but individuel qui doit être atteint par l’emploi d’une politique spéciale appropriée aux circonstances, beaucoup plus que par l’application d’une loi purement abstraite, ignorante des espèces et des cas qui lui seraient soumis », (L’individualisation de la peine. Étude de criminalité sociale, éd. Félix Alcan 3e éd., 1898, p. 13).
[2] E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, coll. Manuel, 2021, 6e éd, p. 1360, n° 1788.
[3] Loi n° 75-624 du 11 juillet 1975 modifiant et complétant certaines dispositions de droit pénal, JORF 13 juillet 1975, p. 7219.
[4] J. Brunie, Les condamnations symboliques en droit positif français, éd. Mare & Martin, coll. Bibliothèque des thèses, 2020, p. 232, n° 304.
[5] Objectif énoncé par l’article 130-1 2° du Code pénal.
[6] Pour 516 608 peines et mesures principales prononcées en 2022, 2 611 étaient des dispenses de peines. V. en ce sens les chiffres clés de la Justice, édition 2023, p. 20. https://www.justice.gouv.fr/chiffres-cles-justice-2023.
[7] Cass. crim., 4 avril 2002, n° 01-86.505: “même dans les cas où les conditions de l’article 132-59 du Code pénal sont réunies, l’application de la dispense de peine constitue pour les juges du fond une simple faculté, de l’exercice de laquelle ils ne doivent aucun compte ».
[8] Crim. 5 juin 2019, n° 18-80.783, D. actualité, 1er juillet 2019, obs. M. Recotillet.
[9] Selon le rapport d’information de l’Assemblée nationale n° 1295 relatif au régime des fouilles en détention, le nombre de téléphones portables saisis est passé de 33 521 en 2016 à 40 067 en 2017 et a connu une multiplication par 6,7 de 2007 à 2016.
[10] C. pénit., art. R. 345-11. Le fait de détenir un téléphone portable est une faute disciplinaire du premier degré en vertu de l’article R. 232-4 10° du Code pénitentiaire.
[11] C. Court, « L’usage du numérique en milieu carcéral », RSC 2015, n° 3, p. 701.
[12] Observatoire international des prisons, Le guide du prisonnier, La Découverte, coll. Guides, 2021, p. 399.
[13] Selon le bilan statistique de l’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (ONISR), 56% des infractions concernent la vitesse.
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