L’application subsidiaire de l’article 2242 du Code civil en matière de saisie immobilière
Auteur : BENJAMIN DERRAR
Docteur en droit, chargé d’enseignements à Aix-Marseille Université,
Faculté de droit et sciences politiques,
GREDIAUC, EA3786
benjamin.derrar@laposte.net
Saisie immobilière / Désistement / Délai de prescription / Effet interruptif de prescription / Extinction du délai de prescription / Extinction de l’instance
Cass. 2e civ., 26 octobre 2023, n° 21-12.580, Juris-data n° 2023-018022 Sur pourvoi : CA Aix, chambre 1-9, 12 novembre 2020, n° 20/02255
Résumé : L’effet interruptif de la prescription attaché à la délivrance de l’assignation à comparaître à l’audience d’orientation consécutive à un commandement valant saisie immobilière produit ses effets jusqu’à l’extinction de la procédure de saisie immobilière.
Observations : 1- Speciala Generalibus derogant. Il est de ces adages, héritages du droit romain, que le civiliste affectionne particulièrement. Véritable couteau suisse dans sa boîte à outils, l’adage guide (parfois) le juriste dans le labyrinthe de l’inflation normative. Plus qu’un adage, ce principe trouve résonnance, depuis la réforme du droit des obligations, à l’article 1105 du code civil qui dispose que « les règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières ».
Par sa simplicité apparente[1], l’adage s’est imposé comme élément principal de résolution des conflits de normes lorsqu’une règle générale s’oppose à une règle spéciale[2]. Au soubassement de ce principe est, en réalité, dissimulé un mécanisme aux subtilités étonnantes – la subsidiarité[3] – qui permet au Droit d’assurer, à tout égard, sa parfaite complétude en dépit des silences et des lacunes législatives. Pour le formuler simplement : en l’absence de règle spéciale, il faut en revenir aux règles générales. A ce titre le code civil fait figure de matrice du droit civil. L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 26 octobre 2023 en est la parfaite illustration.
2- Une banque qui avait consenti un crédit immobilier à un couple de consommateurs immobilier en cessation de paiement leur fait délivrer un premier commandement de payer valant saisie immobilière. En raison de la péremption de ce premier commandement, la banque leur en fait délivrer un second et assigne ses débiteurs devant le juge de l’exécution en vue de la vente forcée de leur bien immobilier.
3- Par un premier arrêt du 3 juin 2016, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, confirmant la solution des premiers juges, ordonne la radiation du commandement à la suite du désistement de la banque et rejette les demandes reconventionnelles des débiteurs à l’encontre de leur créancier. Le pourvoi formé contre cet arrêt est rejeté le 11 janvier 2018 par la Cour de cassation[4], qui retient l’incompétence du juge de l’exécution pour trancher les contestations élevées à l’occasion de la procédure de saisie immobilière dès lors que le créancier se désiste de la procédure [5].
4- Dans les suites de la procédure, la banque fait pratiquer une saisie-attribution à l’encontre de ses débiteurs qui saisissent le juge de l’exécution en invoquant la prescription biennale de l’article L. 213-8 du code de la consommation. Alors que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 12 novembre 2020, admet l’extinction de la prescription, l’arrêt d’appel est cassé par la deuxième chambre civile le 26 octobre 2023. C’est donc la question de l’extinction du délai prescription biennale qui cristallise l’intérêt de l’arrêt commenté et, plus exactement, la question de la date de fin de l’effet interruptif née de la demande en justice.
5- Pour la cour d’appel, dans son arrêt du 12 novembre 2020, la créance de la banque est prescrite. Elle ordonne donc la mainlevée de la saisie-attribution en retenant que l’interruption de prescription née de la demande en justice produit ses effets le 3 juin 2016. Elle juge en effet que le créancier s’étant désisté de la procédure de saisie immobilière et le juge de l’exécution n’étant plus, dès lors, compétent pour trancher les contestations (voir : Cass. 2e civ., 11 janvier 2018, pourvoi n° 16-22.829) l’effet interruptif de prescription avait cessé avec l’arrêt de la cour d’appel du 3 juin 2016 ».
6- Sur le fondement de l’article 620 du code de procédure civile, la Cour de cassation casse la décision d’appel en relevant d’office un moyen de pur droit. En l’absence de disposition spéciale réglementant la computation des délais en matière de procédure de saisie immobilière, les juges du Quai de l’horloge font application des règles générales de la prescription extinctive du code civil. Ils retiennent, au triple visa des articles 2241, 2242 et 2244 du code civil, que l’effet interruptif avait produit ses effets jusqu’au prononcé de l’arrêt de rejet de la Cour de cassation du 11 janvier 2018 ayant mis fin définitivement à la procédure de saisie immobilière. La solution est parfaitement cohérente. On sait que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription[6] et que l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance[7]. L’on sait également, en vertu de l’article 2244 du code civil, que le délai de prescription est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution, ce qui est le cas du commandement valant saisie immobilière[8]. Ainsi, c’est au jour de l’extinction définitive de l’instance, soit à la date de rendu de l’arrêt de la Cour de cassation du 11 janvier 2018 rejetant le pourvoi contre l’arrêt d’appel du 3 juin 2016, que l’effet interruptif a cessé.
Les causes d’extinction définitive d’instance étant nombreuses[9], il reste à savoir si la deuxième chambre civile maintiendra la cohérence de sa solution par une application distributive de celle-ci aux différentes hypothèses d’extinction de l’instance : décès de l’une des parties, caducité de la demande en justice, transaction, acquiescement, désistement accepté par le défendeur…
[1] G. Lardeux, « Specialia generalibus derogant » ou la simplicité apparente des fausses évidences », RDC 2008, p. 1251.
[2] H. Barbier, « L’essor des règles d’identification des conflits de normes en droit des contrats », RTD civ. 2016. 837.
[3] C. Habre, La subsidiarité en droit privé, th., Paris II, LGDJ, Point Delta, 2015.
[4] Cass. 2e civ., 11 janvier 2018, pourvoi n° 16-22.829, D. 2018. 1223, obs. A. Leborgne.
[5] Solution largement commentée : N. Le Rudelier, « Saisie immobilière : désistement de procédure et compétence du JEX », AJDI 2018. 452 ; S. Piédelièvre, « Désistement et compétence du juge de l’exécution », RDBF n° 2, mars 2018, comm. 45.
[6] Article 2241 C. civ.
[7] Article 2242 C. civ.
[8] Civ. 2e, 13 avril 2023, n° 21-14.540, RTD civ. 2023. 730, obs. N. Cayrol ; Civ. 2e, 17 mai 2023, n° 21-19.356, Gaz. Pal., obs. O. Salati.
[9] Article 1 C. proc. civ., « Seules les parties introduisent l’instance, hors les cas où la loi en dispose autrement. Elles ont la liberté d’y mettre fin avant qu’elle ne s’éteigne par l’effet du jugement ou en vertu de la loi. ».
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