CONSÉCRATION D’UNE CONTESTABLE AUTORISATION PERMANENTE D’ACCÈS AUX PARTIES COMMUNES DES IMMEUBLES À USAGE D’HABITATION
Auteur :
Abélia COURTOIS
Étudiante en Master 2 contentieux de la responsabilité et de l’indemnisation à
Aix-Marseille Université
abeliacourtois@gmail.com
Procédure pénale / Forces de l’ordre / Acte d’enquête / Régularité des actes (oui) / Exception de nullité (non) / Régularité de l’entrée des policiers (oui) / Nécessité d’une autorisation préalable (non) / Article L. 272-1 du Code de la sécurité intérieure / Obligation d’assurer l’effectivité de l’accès à la charge des propriétaires et exploitants d’immeubles à usage d’habitation / Droit de propriété / Proportionnalité / Intention du législateur de donner aux forces de l’ordre une autorisation générale et permanente d’entrer dans les parties communes (oui)
Président : D. Macouin
Avocats : M. Sblandano, J.L. Persico
Désormais, en application de l’article L. 272-1 du Code de la sécurité intérieure , les forces de l’ordre peuvent accéder, sans autorisation préalable des propriétaires ou exploitants d’immeubles à usage d’habitation ou de leurs représentants, aux parties communes de ces immeubles. Cet accès excède le cas des situations de secours et comprend toutes les interventions des forces de l’ordre, entrainant une restriction du périmètre protecteur de la notion de domicile.
Observations :
1 – Amorçons notre propos en rappelant que les actes d’enquêtes et d’interventions des forces de l’ordre sont strictement encadrés par la procédure pénale et doivent notamment respecter la vie privée ainsi que le droit de propriété(La Constitution du 22 frimaire an VIII a fait du domicile, propriété privée par excellence, une « forteresse » en ayant consacré que « la maison de toute personne habitant le territoire français est un asile inviolable » a exposé C. Roynier (C. Roynier, « »A man’s house is his castle » : protection de l’intérieur et bien public », Droit & philosophie, 2015, p. 31 – 46). Les règles relatives à la régularité des actes d’enquête sont ainsi particulièrement attentives à la proportionnalité entre la nécessité d’effectuer une intervention et l’atteinte que cette dernière porte aux droits et libertés des personnes. Spécifiquement, quant à l’entrée dans les parties communes d’un immeuble à usage d’habitation, il était prévu que le maître des lieux pouvait accorder aux forces de l’ordre une autorisation permanente de pénétrer dans ces dernières (Article L. 126-1 du Code de la construction et de l’habitation en vigueur du 16 novembre 2001 au 1 juillet 2021). Cependant, ces règles encadrant l’accès des forces de l’ordre ont été modifiées par l’entrée en vigueur de l’article L. 272-1 du C. sécu. int.. Dans l’arrêt en date du 20 mars 2023, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a été amenée à se prononcer sur l’étendue de ce nouveau régime.
2 – En l’espèce, un prévenu est poursuivi pour trafic de stupéfiants, à la suite de la découverte de drogues en sa possession par des policiers qui effectuaient une patrouille dans les parties communes d’un immeuble. Le prévenu invoque l’irrégularité de l’entrée dans les lieux des policiers, sans autorisation préalable et à leur initiative. Si l’irrégularité venait à être reconnue, les actes en découlant dont son arrestation, seraient annulés. Il ne pourrait dès lors être déclaré coupable des charges pesant contre lui. « la légalité du constat dans un lieu clôt est […] dictée par celle de l’accès à ce lieu » (J. Buisson, « QPC Droit de pénétration des policiers et gendarmes dans les parties communes d’un immeuble d’habitation », Procédures n°11, Novembre 2023, comm. 307). Le Tribunal correctionnel de Marseille a, le 22 septembre 2022, rejeté l’exception de nullité alléguée. Le ministère public a interjeté appel « particulièrement du rejet de l’exception de nullité » tout en requérant oralement « à l’audience devant la cour la confirmation du jugement » de première instance.
3 – Plus que la culpabilité du prévenu, se posait devant la cour d’appel la question de la régularité de l’intrusion policière dans les parties communes d’un immeuble, y compris celles qui ne sont pas librement accessibles de l’extérieur. Les policiers peuvent-ils régulièrement entrer dans les parties communes d’un immeuble à usage d’habitation, sans autorisation préalable, lorsqu’ils soupçonnent la commission d’une infraction, en application de l’article L. 272-1 du C. sécu. int. ?
4 – L’article L. 272-1 du C. sécu. int., issu de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021, prévoit que « les propriétaires ou les exploitants d’immeubles à usage d’habitation […] s’assurent que les services de police et de gendarmerie nationales ainsi que les services d’incendie et de secours sont en mesure d’accéder aux parties communes de ces immeubles aux fins d’intervention ». En application de cette récente disposition, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé le jugement de première instance dans toutes ses dispositions et rejeté l’exception de nullité.
5 – Les parties communes peuvent constituer juridiquement un « lieu clos » ou être libre d’accès à tous. Antérieurement, le régime attaché à l’intervention des forces de l’ordre dans ces lieux clos était celui d’une autorisation d’accès qui pouvait être accordée par les propriétaires ou exploitants de l’immeuble à usage d’habitation. Cette autorisation devait être renouvelée régulièrement. Désormais le nouveau régime est fondé sur une obligation, mise à la charge du maître des lieux, d’assurer l’accès des parties communes aux forces de l’ordre pour leurs interventions, et ce de manière générale et permanente. Pourtant, souvenons-nous ce qu’englobe la notion de « domicile » en droit pénal. Classiquement, un domicile y est défini comme « le lieu où une personne […] qu’elle y habite ou non […] a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux » (Cass. Crim., 26 févr. 1963, n° 62-90.653, Bull. crim., 1963, n° 92). C’est ainsi qu’a été qualifié de domicile un appartement ne servant qu’à l’exercice d’un trafic de stupéfiants (Cass. Crim., 15 oct. 2014, n° 14-83.702, Inédit). De ce fait, sa fouille suppose l’autorisation de l’occupant ou le contrôle effectif d’un magistrat (Cf. respect des règles prévues en matière de perquisitions : enquête de flagrance (art. 56 C. proc. pén., art. 59 C. proc. pén., art. 706-73 C. proc. pén. et art. 706-89 C. proc. pén.) ; enquête préliminaire (art. 76 C. proc. pén., art. 706-90 C. proc. pén.). Cela est aussi nécessaire pour la fouille d’un jardin clos situé à proximité immédiate d’une habitation (Cass. Crim., 13 mars 1974, n° 73-93.328, Bull. crim., n° 110), ou pour celle d’une boite aux lettres (La boîte aux lettres d’un particulier est traitée comme l’accessoire d’un domicile et ne peut être forcée sans qu’ait été préalablement constaté l’indice d’un flagrant délit : Cass. Crim., 15 oct. 2014, n° 14-83.702, Inédit). Précisément, la Cour de cassation rattachait les parties communes d’une copropriété à la notion de domicile sous l’empire de l’article L. 126-1 du Code de la construction et de l’habitation (Cass. Crim., 27 mai 2009, n° 09-82.115, Bull. crim., n° 108 ; Cass. Crim., 26 juin 2013, n° 12-85.116, Inédit). Les forces de l’ordre ne pouvaient donc pas y pénétrer sans autorisation du propriétaire ou de l’occupant en cas de simple soupçon d’infraction. Avec la substitution de cet article par l’article L. 272-1 du C. sécu. int., pourrait en pratique être ouverte « une brèche pour des détournements de procédure. Certains agents des services de police et de gendarmerie [mobilisent] cet article pour procéder à des actes de perquisition en dehors du cadre légal » (H. Avvenire, « Knock knock, who is it ? », AJDA, 2023, p. 2299).
6 – Dans le corps de l’article L. 272-1 du C. sécu. int., le terme « intervention » pose une difficulté interprétative. Quelle signification doit lui être attachée ? Pour quel type d’intervention l’autorisation de pénétrer dans les parties communes est-elle générale et permanente ? Toute la force de l’article L. 272-1 du C. sécu. int., et la nuance pouvant lui être appliquée, siègent en ce terme imprécis, qui aurait nécessité une définition législative. En l’absence d’une telle précision, la cour d’appel tente d’apporter un éclaircissement jurisprudentiel bienvenu. Sa décision est principalement fondée sur une interprétation reposant sur l’esprit de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021. La cour s’est, en effet, largement référée à la volonté du législateur, au sens qu’il a voulu donner à cette nouvelle disposition, pour en déterminer la portée. Elle relève ainsi que le terme « intervention » qui y est employé peut paraître « extrêmement large au regard des atteintes potentielles au droit de propriété pouvant en résulter et [est] sujet à interprétation au regard de l’intitulé de la loi » ayant institué la disposition litigieuse (la loi du 25 novembre 2021 vise à « consolider notre modèle de sécurité civile et à valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et des sapeurs-pompiers professionnels ». Elle ne porte pas directement sur la procédure pénale). Nonobstant, elle poursuit en exposant que « l’examen des travaux parlementaires est sans ambiguïté sur la volonté du législateur » de conférer à cette autorisation générale et permanente une vocation excédant le simple accès dans le cas de situations de secours aux lieux suscités. La cour renchérit en énonçant que la volonté du législateur est « sans équivoque » (les débats parlementaires exposent que l’article 11 bis ayant modifié l’article L. 272-1 du C. sécu. int., introduit par l’Assemblée nationale et proposé par M. Matras « tend à rendre permanente l’autorisation de pénétrer dans les parties communes des immeubles à usage d’habitation pour les forces de sécurité intérieure. […] Plus encore, il ne s’agirait plus simplement d’une autorisation d’accès mais d’une obligation à la charge des propriétaires ou exploitants d’immeubles à usage d’habitation d’assurer l’effectivité de cet accès »), l’accès concerne les missions d’urgence et de protection des personnes et des biens. Dès lors, en partant d’un texte extrêmement large, ce qui ne facilite pas l’application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale pourtant indirectement concernée, la cour admet les risques relatifs au droit de propriété tout en passant par-delà ces derniers au nom de la « raison d’être » du texte. Cette motivation exclusive selon l’esprit de la loi est largement discutable au vu des autres considérants occultés.
7 – Outre la question de la régularité de l’intervention policière tranchée par la cour, le caractère vague et polysémique de l’article L. 272-1 du C. sécu. int., force à s’interroger. Cet article a créé une obligation à la charge des propriétaires ou des exploitants d’immeubles à usage d’habitation d’assurer l’accès aux parties communes. Il s’agit là d’un choix particulier, que Monsieur Dumenil (G. Dumenil, « Forces de l’ordre et pénétration dans les parties communes d’habitation : l’incertitude créée par le nouvel article L.272-1 C. sécu. int. », Revue de droit pénal, LexisNexis, juin 2023, n° 6, p. 7 à 10) pointe de manière très pertinente : pourquoi faire le choix de créer une obligation et de l’imputer aux propriétaires ? Que signifie concrètement le terme « s’assurer » ? Pourquoi ne pas avoir institué directement, au bénéfice des forces de l’ordre, un droit de pénétration général et permanent aux parties communes de ces immeubles ? Cet auteur met également en exergue le fait que cette obligation semble être de résultat et non de moyen. Il n’y a cependant pas de sanction prévue par le texte si les propriétaires ne mettent rien en place… Il aurait de toute évidence été plus aisé d’user d’une formulation moins subreptice à la lumière de la finalité recherchée par la disposition. Ce choix de rédaction a potentiellement été le fruit d’une volonté de conserver un rôle actif pour les propriétaires mais cela ne dupe personne. Le texte actuel peut se lire comme une « double peine » : non seulement la loi permet l’accès aux parties communes mais en plus, elle impose aux propriétaires la responsabilité de garantir cet accès à leurs biens.
8 – Ultérieurement à l’arrêt commenté, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été formulée, exactement en lien avec notre propos. Un demandeur reprochait à l’article L. 272-1 alinéa 1 du C. sécu. int. « de reconnaître aux services de police et de gendarmerie nationales un droit d’accès permanent aux parties communes des immeubles à usage d’habitation, alors qu’il s’agit de lieux privés pouvant constituer une partie d’un domicile. [Dès lors,] ce droit d’accès […] ne serait subordonné ni à l’autorisation des propriétaires ni au contrôle effectif d’un magistrat » (Cass. Crim., 13 juin 2023, n° 890, renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel), comme cela doit être le cas dans le cadre d’une enquête préliminaire (Art. 76 C. proc. pén.). La disposition méconnaîtrait alors le droit de propriété et le droit au respect de la vie privée. Le Conseil constitutionnel a, dans une décision n° 2023-1059 QPC du 14 septembre 2023, rejeté ce grief et déclaré conforme à la Constitution la disposition litigieuse. Cependant, il énonce deux réserves : l’article ne doit pas permettre de s’affranchir du cadre légal (Le Conseil Constitutionnel expose que « si les dispositions contestées reconnaissent aux forces de l’ordre un droit d’accès à ces parties communes aux fins d’intervention, elles n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de leur permettre d’accéder à ces lieux pour d’autres fins que la réalisation des seuls actes que la loi les autorise à accomplir pour l’exercice de leurs missions ») ni d’accéder à des lieux susceptibles de constituer un domicile. Finalement, les parties communes d’un immeuble à usage d’habitation ne constituent pas un domicile au sens de la jurisprudence constitutionnelle. Il apparaît que dans le processus d’arbitrage entre les deux objectifs à valeur constitutionnelle que sont la prévention des atteintes à l’ordre public, dont la recherche des auteurs d’infractions, et la propriété privée, l’importance accordée au premier de ces deux impératifs s’accroît. Cette importante réserve d’interprétation est loin d’être anodine. En effet, Monsieur Avvenire pointe très justement que « dans un contrôle a posteriori, une telle réserve a pour résultat de maintenir dans l’ordre judiciaire une disposition partiellement non conforme » à la Constitution (H. Avvenire, préc.). Il souligne également que « cette délimitation restrictive [de la notion de domicile] pourrait entrer en conflit avec la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation ». Résumons, selon le Conseil constitutionnel, l’accès aux parties communes doit être encadré tout en étant autorisé aux forces de l’ordre de manière générale et permanente. On peut arguer que cette articulation semble quelque peu contradictoire…
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