RÉVOCATION DE L’ADOPTION SIMPLE : LA FRAGILITÉ DU LIEN DE FILIATION CRÉÉ EN VUE D’UN PROJET SUCCESSORAL
Auteur :
Léna MANTI
Etudiante en Master 2 Droit civil et droit international privé à Aix-Marseille Université
Filiation / adoption / adoption simple / action en révocation de l’adoption simple / motif grave de révocation de l’adoption simple / adoption simple du fils de l’époux par l’épouse / révocation pour motif grave (oui) / défaut d’aide matérielle / défaut de soutien affectif / proximité des domiciles des parties / méconnaissance des obligations résultant du lien de filiation / âge avancé de l’adoptante au décès de son époux / confirmation
Président : J-M. Baïssus
Avocats : Me Burle, SAS Dekstravocats avocat au barreau d’Aix-en-Provence ; SCP Tollinchi Perret Vigneron avocat au barreau d’Aix-en-Provence ; Me Cavatorta avocat au barreau d’Aix-en-Provence ; Me Arene avocat au barreau de Paris
Résumé : L’adopté qui n’apporte aucune « aide matérielle » ni « aucun soutien affectif » à sa mère adoptive, malgré la proximité de leur domicile, méprise les obligations générées par le lien de filiation justifiant ainsi la révocation de l’adoption pour motifs graves.
Observations :
1 – « Pas plus qu’on ne peut « divorcer » de ses parents biologiques, on ne peut divorcer de ses parents adoptifs ». Ce bilan, dressé par le Professeur Jean HAUSER au début du XXIe siècle (in J. Hauser, « Révocation d’adoption : bilan », RTD civ, 2000, p. 310), révèle les enjeux qu’une demande de révocation d’adoption simple peut receler. Dans le cas d’espèce étudié, une épouse a adopté le fils de son mari en 2002 alors que l’adopté avait quarante ans. En 2012, l’époux est décédé. Par la suite, l’adoptante n’a plus eu aucun contact avec son fils adoptif. Alors âgée de 94 ans, l’adoptante a agi en révocation de l’adoption en 2020 devant le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence sur le fondement de l’ancien article 370 du Code civil. La demande ayant été acceptée, l’adopté a interjeté appel le 4 juin 2021. L’appelant estimait que « les faits justifiant une révocation d’adoption [devaient] révéler une altération irrémédiable des liens affectifs unissant l’adoptant et l’adopté ». Selon lui, « le seul fait d’une mésentente ou d’une cessation de relations depuis plusieurs années, lorsque la responsabilité en est partagée », ne constitue pas un motif grave justifiant la révocation de l’adoption. A contrario, l’intimée affirmait que la révocation était justifiée dès lors que son fils adoptif l’avait laissée seule et ne lui avait apporté aucun soutien malgré son âge avancé. Dans quelle mesure la cessation de relation entre l’adoptante et son fils adoptif justifie-t-elle la révocation de l’adoption simple ? La cour d’appel d’Aix-en-Provence a finalement confirmé le premier jugement. Pour retenir cette solution, elle affirme que l’adopté, qui n’apporte aucune « aide matérielle » ni « aucun soutien affectif » à sa mère adoptive malgré la proximité de leur domicile, méprise les obligations générées par le lien de filiation et, de ce fait, la révocation de l’adoption pour motifs graves est justifiée. La cour rappelle très justement que « L’adoption vise à la création d’un véritable rapport de filiation, fondée sur la solidité et la pérennité des liens affectifs entre adopté et adoptant. » La notion de « pérennité » est donc inhérente à cette institution. Ainsi, sa révocation, prévue à l’actuel article 368 du Code civil (ancien article 370), est une exception (TGI Paris, 28 mai 1996, D. 1997, p.162, obs. F. Granet). Comme telle, elle doit dès lors être interprétée strictement.
2 – La révocation de l’adoption simple est permise lorsque des « motifs graves » la justifient. Un problème se pose alors puisqu’il s’agit d’une notion floue laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ., 10 juillet 1973, n°72-12.289, Bull. civ., I, n°243). Dans ce cadre, certains auteurs relevaient une tendance « à la sévérité » (J. Hauser, « Révocation d’adoption simple : motifs graves », RTD civ, 2011, p.115) de la part des juges. En réalité, cette « sévérité » pourrait être justifiée par l’interprétation stricte que l’on doit avoir de la révocation de l’adoption simple. L’indétermination de la notion de « motifs graves » permet une appréciation in concreto. Il est évident que la solution commentée est fortement influencée par les circonstances de faits. Tout d’abord, il semble que la proximité des domiciles des parties a joué un rôle prépondérant dans la solution rendue. En effet, l’arrêt précise que le fils adoptif n’a pas aidé sa mère « alors même que les domiciles des parties sont particulièrement proches ». Cette circonstance semble donc aggraver l’absence de soutien apporté par le fils adoptif. De surcroît, parmi les éléments de fait importants, on peut relever que l’adoptante avait 86 ans au moment du décès de son époux. Cet âge oblige sans nul doute l’adopté à des devoirs plus conséquents, et ce d’autant plus lorsque la mère adoptive faisait face à de « graves problèmes de santé » tout en vivant seule. Dès lors, la solution paraît justifiée.
3 – Cependant, cette appréciation au cas par cas engendre des solutions trop liées aux faits et rend difficile l’émergence d’une cohérence entre les décisions rendues. A titre d’exemple, des juges du fond ont refusé de révoquer une adoption simple malgré une cessation des relations depuis une dizaine d’années au motif qu’ « une telle mésentente, fût-elle profonde et réciproque, [avec responsabilité partagée, pouvait] naître dans toutes les familles » (CA Versailles, 9 décembre 1999, BICC 15 octobre 2000, n°1174 ; RDSS 2000, p.437, obs. F. Monéger) . On constate d’ailleurs que ce moyen a été soutenu, en vain, par l’appelant en l’espèce. Plus encore, malgré un « détournement de l’institution » qu’est l’adoption, la fraude n’a pas été retenue comme un motif assez grave justifiant une révocation (Cass. 1ère civ., 19 novembre 1991, n°90-16.950, Bull. civ., I, n°316). Ainsi, la cohérence de la jurisprudence est mise à mal. Plus encore, cela se vérifie également à l’échelle d’une seule et même juridiction. En effet, quelques mois avant l’arrêt commenté, la même chambre de la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait refusé de révoquer une adoption malgré l’existence d’insultes, une forte dégradation des relations dans un contexte d’irrespect total et une absence de contact depuis trois années. La cour avait estimé que cela correspondait à des circonstances pouvant « naître dans toutes les familles. » Selon elle, aucun motif grave n’était caractérisé, il s’agissait seulement d’une « mésentente entre les parties » et non « d’un comportement indigne ou d’une intention de nuire de la part de l’adoptée. » Étonnamment, dans l’arrêt commenté, les juges d’appel n’évoquent pas ce « comportement indigne ou une intention de nuire de la part de l’adopté » pour justifier la révocation. En y regardant de plus près, la motivation de la décision commentée laisse survivre des interrogations. En effet, le motif grave serait caractérisé par le non-respect « des obligations générées par le lien de filiation ». Quelles sont-elles ? Aucune précision n’est apportée quant à leur contenu. Il convient de relever qu’en l’espèce, l’adoption a été faite dans des circonstances particulières qui amènent à se demander s’il n’existe pas d’éventuelles motivations cachées. En effet, l’adoption a vraisemblablement été très tardive puisque l’adopté était alors âgé de quarante ans tandis que l’adoptante en avait soixante-seize. De surcroît, il apparaît clairement que des intérêts patrimoniaux sous-tendent le litige. Les moyens de l’intimée nous révèlent que l’adoption était motivée par des considérations patrimoniales. Il semblerait presque qu’aucune relation affective n’existait entre l’adopté et l’adoptante. Selon elle, il s’agissait seulement du « projet de l’époux permettant de faire bénéficier l’adopté du bien immobilier » qui appartenait en propre à l’adoptante et qui constituait le domicile conjugal. Il est vrai que les juges d’appel ont écarté ce moyen au motif que les « discussions relatives aux circonstances et aux motivations qui ont présidées à l’engagement de la procédure d’adoption » sont « sans objet et en tout état de cause inopérantes ». Au demeurant, cette position se révèle conforme à la jurisprudence selon laquelle le motif grave doit provenir d’une « cause survenue postérieurement au jugement d’adoption » (Cass. 1ère civ., 13 mai 2020, n°19-13.419, Bull. civ., I, n°297). Toutefois, on peut se demander si cet élément n’a pas influencé la décision des juges puisque selon eux, « l’adoption vise à la création d’un véritable rapport de filiation, fondée sur la solidité et la pérennité des liens affectifs entre adopté et adoptant. » Serait-il possible qu’un lien de filiation créé en vue d’une finalité successorale soit plus défectible qu’un lien fondé sur un rapport affectif ?
4 – Plus encore, un enjeu patrimonial important est sous-jacent dès lors que l’adoptante a intenté cette action en révocation à l’âge de 94 ans. On sait que la révocation « fait cesser pour l’avenir tous les effets de l’adoption » (C. civ., art. 369-1) et prend effet à la date de la demande de révocation (Cass. 1ère civ., 21 juin 1989, n°87-19.742, Bull. civ., I, n°249). L’adopté n’aura donc plus aucune vocation successorale vis-à-vis de sa mère adoptive. On peut se demander si cet aspect patrimonial joue un rôle dans la décision prise par les juges. Si l’arrêt rendu est parfaitement fondé sur le plan juridique, il n’en reste pas moins que ses conséquences sont importantes puisque l’appelant est évincé de la succession de sa mère adoptive. Ainsi, l’enjeu principal du litige semble moins relever de l’ordre affectif que de l’ordre patrimonial. En tout état de cause, on comprend à travers l’analyse de cet arrêt que l’appréciation in concreto entraîne nécessairement un problème de prévisibilité juridique et a fortiori de sécurité juridique. Afin de pallier ces difficultés, il est opportun de s’intéresser à la comparaison faite par certains auteurs entre la révocation de l’adoption simple pour motifs graves et la révocation d’une donation pour ingratitude (C. civ., art. 953). En effet, la donation est censée être irrévocable (C. civ., art. 893). Dès lors, à l’instar de l’adoption, sa révocation est une exception. Ainsi, le législateur a établi une liste limitative de cas objectivement graves dans lesquels l’ingratitude serait caractérisée : le donataire a attenté à la vie du donateur ; s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ; lui refuse des aliments (article 955 du Code civil). En définissant expressément les cas permettant la révocation de la donation, le législateur a laissé moins de place à l’imprévisibilité de la solution rendue, offrant ainsi plus de sécurité juridique à chacun des protagonistes. Se pose alors la question de savoir s’il serait opportun d’établir une liste de cas, limitatifs ou non, dans lesquels les « motifs graves » justifiant la révocation de l’adoption seraient définis. Plus encore, ne peut-on pas utiliser les cas d’ingratitude pour caractériser les motifs graves justifiant la révocation de l’adoption ?
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