RECONNAISSANCE TRÈS ATTENDUE DE L’AUTONOMIE DE LA FAUTE DOLOSIVE PAR LA TROISIÈME CHAMBRE CIVILE DE LA COUR DE CASSATION
Auteur : Karmela SARGSYAN
Étudiante en Master 2 Contentieux de la responsabilité et de l’indemnisation à Aix-Marseille Université
Institut des assurances
Exclusions légales de garantie / Faute intentionnelle / Faute dolosive / Contrefaçon / Autonomie / Volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu / Acte délibéré / Conscience du caractère inéluctable des conséquences dommageables / Uniformisation / Dualiste / Assurance construction / Ordre public / Comportement frauduleux / Risque / Disparition de l’aléa / Refus d’indemnisation
Observations : 1- Un débat autour de la distinction des fautes exclusives de garantie a longtemps été source de réflexion pour les professionnels du droit. La tendance retenant une définition uniforme des fautes intentionnelles et dolosives a progressivement cédé le pas à de l’autonomisation de la faute dolosive. Par cet arrêt en date du 30 mars 2023, la troisième chambre civile se rallie, après de nombreuses tergiversations, à la conception dualiste des fautes légales, exclusives de garantie.
2- Chargée par la société McDonald’s de la réalisation de travaux de décoration dans plusieurs restaurants en Europe et au Royaume-Uni, une société de design et d’architecture d’intérieur souscrit un contrat d’assurance dans le cadre de son activité professionnelle. À la suite d’une action en réclamation intentée par des ayants droit d’un artiste de renommée, du fait de la ressemblance des créations de la société d’architecture avec les œuvres de ce dernier, la société déclare un sinistre auprès de son assureur qui lui oppose une exclusion légale de garantie, au motif de la commission d’une faute dolosive recouvrant le « caractère flagrant et massif de la contrefaçon » (Civ. 3e, 30 mars 2023, n° 21-21.084, Bull. civ. III, n° 3, publié au Rapport annuel 2023, p. 218-221). L’assuré attrait son assureur devant le Tribunal de grande instance de Grasse qui statue en faveur de la compagnie d’assurance. Une société venant aux droits du demandeur à l’instance, interjette appel de ce jugement.
Saisie de l’affaire, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence se prononce par un arrêt confirmatif, en date du 20 mai 2021. Elle estime que la faute dolosive, fondée sur l’article L113-1 alinéa 2 du Code des assurances (C. assur.), est caractérisée du fait de la similitude flagrante entre les œuvres de l’artiste, dont la notoriété ne pouvait être mise en doute, et les reproductions réalisées par l’assuré, soumises à un large public dans plusieurs enseignes du restaurateur.
Le requérant forme un pourvoi en cassation et fait grief à l’arrêt d’en avoir décidé ainsi. Il souligne que la faute dolosive doit supposer d’une part, la « conscience du risque de provoquer le dommage », et d’autre part, la « volonté de le provoquer et d’en vouloir les conséquences, telles qu’elles se sont produites ». Ce faisant, cette faute ne pouvait pas être établie à l’égard de l’assuré.
3- L’interrogation soulevée par cet arrêt a trait à la définition de la faute dolosive. La contrefaçon des œuvres d’un tiers, constitue-t-elle une faute dolosive, excluant la garantie de l’assureur, au sens de l’article L113-1 alinéa 2 du C. assur., en l’absence même de la volonté de provoquer le dommage et d’en vouloir les conséquences telles qu’elles se sont produites ?
4- La troisième chambre civile de la Cour de cassation, par cet arrêt en date du 30 mars 2023, rejette intégralement le pourvoi, au visa de l’article L113-1 alinéa 2 du C. assur. Les juges du droit retiennent la faute dolosive vis-à-vis de l’assuré en reconnaissant explicitement son autonomie par rapport à la faute intentionnelle. La faute dolosive est perçue désormais comme « un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables ». Elle n’implique pas la volonté de l’auteur de provoquer le dommage tel qu’il s’est réalisé.
5- Le législateur a posé les exclusions légales de garantie au sein de l’article L113-1 alinéa 2 du C. assur., sans prendre le soin de les préciser. Cela a donné lieu à l’émergence d’une définition prétorienne. Initialement, selon une approche moniste, les fautes intentionnelles et dolosives s’entendaient, indifféremment, comme la « volonté de l’assuré de commettre le dommage tel qu’il est survenu » (Civ. 1re, 7 juin 1974, n° 73-11.254, Bull. civ. I, n° 168 ; Civ. 1re, 21 juin 1988, n° 86-15.819, Bull. civ. I, n° 195 ; Civ. 1re,10 déc. 1991, n° 90-14.218, inédit – Civ. 2e, 23 sept. 2004, n° 03-14.389, Bull. civ. II, n° 410 ; Civ. 2e, 28 mars 2019, n° 18-15.829, inédit). Peu à peu, la deuxième chambre civile délimite les contours de la faute dolosive en bâtissant une définition indépendante. Elle précise tout d’abord que la faute dolosive n’implique pas nécessairement la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu (Civ. 2e, 28 févr. 2013, n° 12-12.813, Bull. civ., II, n°44). Une série de décisions vient ensuite exposer progressivement les caractères de la faute dolosive, adoptant une approche dualiste des fautes inassurables (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-11.538, publié au Bulletin – Civ. 2è, 20 mai 2020, n° 19-14.306, publié au Bulletin ; Civ. 2è, 10 nov. 2021, n° 19-12.659, inédit). Enfin, un arrêt de principe du 20 janvier 2022 définit la faute dolosive comme « un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables » (Civ. 2e, 20 janv. 2022, n° 20-13.245, publié au Bulletin). À la suite d’une longue résistance, la troisième chambre civile opère à son tour un revirement de jurisprudence par cet arrêt du 30 mars 2023, en approuvant la définition, à laquelle elle s’opposait jusqu’alors. Cette évolution souligne l’apport positif de l’uniformisation de la faute dolosive, renforçant considérablement la prévisibilité et la sécurité juridique.
6- Il convient de remarquer que le demandeur au pourvoi soutient une conception moniste des fautes exclusives de garantie. Il cherche à démontrer que le comportement de l’assuré caractérisait un risque que le dommage se produise, mais en aucun cas une intention de l’engendrer, tel qu’il s’est réalisé. En effet, l’élément précité correspond aujourd’hui à la faute intentionnelle. Pour autant, cette stratégie avait en pratique des chances de prospérer devant la chambre de la construction, qui confondait auparavant, les notions de faute intentionnelle et dolosive, dans des situations semblables (Civ. 3e, 1er juill. 2015, n° 14-19.826, inédit ; Civ. 3e, 5 déc. 2019, n° 18-21.679, inédit ; Civ. 3e, 5 déc. 2019, n° 18-22.915, inédit). Cet arrêt a permis à la Cour de cassation d’élargir substantiellement le champ de la faute inassurable en réprimant des comportements qui échappaient jusqu’ici au domaine de la faute intentionnelle.
7- Par ailleurs, le requérant fait grief à l’arrêt d’avoir confirmé le jugement de première instance en invoquant un manquement au devoir d’information de l’assureur. Ce dernier aurait dû avertir l’assuré d’une possible exclusion de garantie en cas d’action en contrefaçon, alors même qu’une clause contractuelle couvrait les « conséquences de la réalisation du mobilier » (Civ. 3e, 30 mars 2023, n°21-21.084, Bull. civ. III, n° 3, p. 68, publié au Rapport annuel 2023, p. 218-221). De plus, le demandeur fait valoir que la clause excluant la garantie dans l’hypothèse d’une « contestation relative aux contrefaçons », contenue dans le contrat, n’est pas suffisamment formelle et limitée et laisse place à interprétation quant à l’étendue de sa couverture, de sorte qu’elle doit être invalidée. Cependant, la Cour de cassation rejette cet argument en rappelant l’importance de l’article L113-1 du C. assur. et sa place dominante par rapport aux clauses contractuelles. La faute dolosive est une exclusion légale indisponible et d’ordre public auquel il n’est pas possible d’y déférer conventionnellement.
8- Afin d’appréhender la solidité de l’analyse des juges, une attention mérite d’être portée aux éléments constitutifs de la faute dolosive. Celle-ci requiert dorénavant trois éléments cumulatifs. Il faut tout d’abord, un acte délibéré. Il s’agit d’un fait, prenant la forme d’une action ou une omission délibérée. Ici, au lieu d’user de son talent de créateur, la société demanderesse a choisi, délibérément, de contrefaire les œuvres d’un tiers.
Le deuxième élément a trait à la survenance inéluctable d’un sinistre, qui est le résultat de l’acte délibéré de l’assuré, matérialisé par l’action en contrefaçon. En l’espèce, les juges du fond relèvent que « l’assuré a pris un risque qui a pour effet de rendre inéluctablela réalisation du dommage et de faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque » (Civ. 3e, 30 mars 2023, n° 21-21.084, Bull. civ. III, n° 3, p. 68, publié au Rapport annuel 2023, p. 218-221). Eu égard à cette motivation, il faut constater une ambiguïté nécessitant des précisions quant à l’étendue de la disparition de l’aléa. En principe, l’agissement volontaire, comme le dol ont pour effet, l’anéantissement de l’aléa dans un contrat d’assurance, qui est par essence un contrat aléatoire. Or, une simple prise de risque fait davantage état d’une probabilité, et non de la certitude de l’apparition d’un sinistre. Cette motivation peut avoir pour conséquence un rapprochement dangereux de la faute dolosive à la faute lourde ou inexcusable qui laisse subsister une part d’aléa. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a pourtant eu l’occasion d’écarter cette hypothèse en précisant que seule la disparition totale de l’aléa caractérise une faute dolosive (Civ. 2e, 25 oct. 2018, n° 16-23.103, Bull. civ. II, n° 10). De ce fait, la maladresse des juges du fond interroge sur la pertinence de cette formulation contradictoire, laquelle n’a cependant pas attiré l’attention de la troisième chambre civile.
Enfin, l’élément central et controversé de la faute dolosive est relatif à la conscience de l’aspect inéluctable des conséquences dommageables. La conscience implique la vision d’un sinistre qui va objectivement se produire, peu important l’étendue et la nature même des effets. L’élément caractéristique de la faute intentionnelle réside dans la recherche de l’intention et de la volonté de l’auteur de causer le dommage, tel qu’il s’est effectivement réalisé. La faute dolosive quant à elle, n’implique pas nécessairement la volonté de causer ce dommage. L’élément distinctif de cette faute repose sur la conscience de l’auteur. Ce dernier avait connaissance ou ne pouvait ignorer, que les dommages, tels qu’ils se sont réalisés, allaient inéluctablement se produire en raison de son manquement délibéré. En effet, la faute dolosive doit être écartée chaque fois que le dommage survenu n’est pas la conséquence directe du manquement de l’assuré. Si un aléa subsiste, l’exclusion légale ne saurait être retenue. Pour revenir à la motivation des juges du fond, la question se pose de savoir, dans quelle mesure une prise de risque peut déterminer la conscience de l’inéluctabilité des dommages. Effectivement, cette problématique est liée à la délicate évaluation de la conscience du professionnel de la construction, qui est examinée subjectivement et in concreto, offrant une malléabilité aux juges dans leur appréciation souveraine. Pourtant, la Cour régulatrice n’apporte aucune réserve à cette motivation, ce qui amène la doctrine à entrevoir le risque d’une extension excessive de la faute dolosive (L. Mayaux, « La faute dolosive devant la troisième chambre civile : quand une citation vaut consécration », RGDA, 2013, n° 5, p. 21). Toutefois, la situation s’avère maîtrisée depuis un récent arrêt de la deuxième chambre civile indiquant que l’exigence de la conscience se rapporte au caractère inéluctable des conséquences dommageables, et non au simple risque d’occasionner le dommage (Civ. 2e, 6 juill. 2023, n° 21-24.833, publié au Bulletin). Compte tenu de ces éléments, il ne serait pas exagéré de souligner que l’arrêt étudié a simplement servi de prétexte à la Cour de cassation pour faire évoluer sa jurisprudence, alors que les faits propres à l’arrêt auraient pu justifier une solution contraire.
9- Tout bien considéré, la faute dolosive permet de responsabiliser l’assuré, voire à le moraliser. Celui-ci devra veiller à adopter un comportement « exemplaire ». Néanmoins, malgré ces a priori, l’arrêt démontre la difficulté de l’émancipation de la faute dolosive en matière d’assurance construction. En effet, l’enjeu principal de la définition de la faute dolosive tient au respect de l’équilibre des intérêts entre les assurés, les assureurs et les tierces victimes, en particulier dans le contentieux de la construction qui est en pratique un terrain très fertile aux comportements frauduleux des assurés (A. Pélissier, « Faute intentionnelle ou dol. La place du débat en assurance construction », RDI, 2021, p. 262). Cela met en lumière, l’incertitude des juges de rompre avec la jurisprudence fondée sur l’unicité des fautes dolosives et intentionnelles. Sont ici en cause d’une part, le risque de l’impunité des comportements illicites et d’autre part, celui de discriminer les assurés, aboutissant à un refus d’indemnisation systématique des victimes, maîtres de l’ouvrage, dans le cadre des actions en responsabilité civile des constructeurs (A. Pélissier, « Ralliement de la troisième chambre civile de la Cour de cassation à la définition de la faute dolosive de l’assuré : approbation et réserve », D. 2023. 129). Cette hypothèse de refus d’indemnisation est parfaitement visible avec cet arrêt dans lequel les ayants droit de l’artiste se heurtent au refus de l’assureur, du fait de la mauvaise foi du contrefacteur. Quid du respect du principe indemnitaire et de l’indemnisation de la victime si l’assuré est insolvable ? Ces raisons poussent la doctrine à attirer l’attention sur le risque d’une appréciation trop extensive de la faute dolosive. Ils sollicitent par conséquent, une application stricte de la définition posée (A. Pélissier, « Ralliement de la troisième chambre civile de la Cour de cassation à la définition de la faute dolosive de l’assuré : approbation et réserve », D. 2023. 129 ; P. Dessuet, « L’autonomie du dol par rapport à la faute intentionnelle », RDI, 2023, p. 388), afin d’assurer la protection optimale des intérêts en cause.
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