QUI DIT (QUASI-)CONTRACTUEL NE DIT PAS CONFORME À L’INTÉRÊT DE L’ENFANT !
Auteurs :
Alice PRAS, Doctorante contractuelle à Aix-Marseille Université, Faculté de droit et de science politique, Laboratoire de Théorie du Droit, UR 892
alice.pras@univ-amu.fr
&
Camille JAUBERT, Doctorante contractuelle à Aix-Marseille Université, Faculté de droit et de science politique, Laboratoire de Droit Privé et de Sciences Criminelles, UR 4690
camille.jaubert@univ-amu.fr
Droit civil / Droit de la famille / Modalités d’exercice de l’autorité parentale
Président : J.-M. Baïssu
Avocats : Me E. Musacchia, Me N. Mattei ; SCP Latil Penarroya-Latil, Me B. Boustani
Résumé : Le projet pluriparental sur lequel se fonde le parent légal pour obtenir la résidence alternée est considéré par la cour d’appel comme un quasi-contrat qui ne lie pas le juge aux affaires familiales. Ce dernier doit en effet statuer dans l’intérêt de l’enfant, ce qui implique d’écarter le projet lorsque celui qui s’en prévaut ne démontre pas que la mise en place d’une résidence alternée, prévue initialement par le projet, est conforme aux besoins de l’enfant.
Note[1] :
1 – La contractualisation grandissante du Droit de la famille[2], la montée de l’individualisme et l’évolution des mœurs tendant à la reconnaissance de configurations familiales nouvelles posent la question de l’efficacité que doit avoir le projet pluriparental, élaboré par les parents avant la conception de l’enfant, au moment de la fixation judiciaire des modalités d’exercice de l’autorité parentale. Si les ententes des parents sont prises en compte par le juge aux affaires familiales, elles ne doivent pas entraver la protection de l’enfant ; c’est ce qui ressort de l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 25 avril 2023. Dans cette affaire, l’objet du problème était de déterminer la manière dont le juge statue sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale du père légal d’un enfant. Plus précisément, il s’agissait de voir comment la pluriparentalité souhaitée par les parties au moment de la conception de l’enfant influence la décision du juge qui doit décider de la mise en place ou non d’une résidence alternée, au regard de l’intérêt de l’enfant.
2 – Devant statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et, plus précisément, sur la fixation de la résidence de l’enfant et le droit de visite et d’hébergement du parent légal, la cour d’appel d’Aix-en-Provence estime que l’intérêt de l’enfant, distinct de celui de ses parents, commande de ne pas exécuter le projet pluriparental dont se prévaut le père pour obtenir une extension de son droit de garde.
Pour comprendre le positionnement de la cour, il convient de rappeler les faits à l’origine du litige. La particularité de cette affaire est que l’enfant est né dans une situation de coparentalité[3]. Plus précisément, deux couples ont décidé de concevoir un enfant, selon un « modèle éducatif élargi », conçu comme deux entités parentales : d’une part, le père et sa compagne ; d’autre part, la mère et son épouse. Les deux couples envisageaient un modèle éducatif élargi[4], qu’ils qualifiaient de « famille à l’africaine » de nature à apporter à l’enfant « plus d’amour et de sécurité et une coparentalité à quatre parents bien gérée induisant un enfant mieux entouré ». Après des échecs d’insémination en France, les couples se sont rendus en République tchèque où un don d’ovocytes a permis la conception de l’enfant. Cependant, à partir du moment où la grossesse a été confirmée, les relations entre les deux couples se sont compliquées. À la suite de la naissance de l’enfant, deux conventions de coparentalité ont été soumises à la mère et son épouse, mais elles ont toutes deux été rejetées.
3 – En première instance, le juge a constaté que l’autorité parentale à l’égard de l’enfant est exercée conjointement par les deux parents. Il a maintenu et fixé la résidence habituelle de l’enfant au domicile de la mère et a accordé au père un droit de visite et d’hébergement. Le père a interjeté appel de cette décision et sollicite, notamment, la mise en place d’une résidence alternée.
4 – Pour statuer sur la résidence de l’enfant et le droit de visite et d’hébergement, la cour d’appel a fait application de l’article 373-2-11 du Code civil aux termes duquel le juge se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en prenant en considération la pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ; les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues par l’article 388-1 du Code civil ; l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l’autre ; le résultat des expertises éventuellement effectuées ; les renseignements recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre enquêtes sociales.
La cour d’appel se réfère à l’enquête sociale et à l’expertise psychiatrique ordonnées par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire. L’enquêteur social et l’expert psychiatre ont préconisé l’instauration de la résidence alternée. Même si la cour d’appel tient compte de cette recommandation, elle précise que la mise en œuvre de la résidence alternée doit être examinée à l’aune de l’intérêt de l’enfant et que le juge n’est pas lié par l’avis des techniciens qu’il désigne.
5 – Les faits de cette affaire sont donc atypiques : si l’enfant a deux parents légaux, ce sont quatre personnes qui ont été à l’initiative de sa conception, de sorte que le projet ayant présidé la conception de l’enfant est pluriparental.
Pour autant, l’objet du litige que la cour d’appel avait à trancher était des plus classiques : la fixation de la résidence alternée d’un enfant au domicile de ses deux parents, donc l’élargissement ou non des droits parentaux de l’un des parents légaux.
La difficulté du cas présenté aux magistrats aixois se caractérise néanmoins par le fait que le père légal se fonde sur l’existence du projet pluriparental pour indiquer qu’il n’était nullement prévu qu’il ne soit qu’un parent secondaire, et revendiquer alors des droits strictement égaux avec ceux de la mère légale.
En exposant ainsi les circonstances singulières de la conception de l’enfant, l’appelant va conduire la cour d’appel à veiller à la protection effective de l’intérêt de l’enfant, en prenant notamment en compte le projet pluriparental. La pluriparentalité souhaitée par les parties au moment de la conception de l’enfant va en effet influencer la décision du juge dans la mise en place ou non d’une résidence alternée, lors de l’analyse de l’intérêt de l’enfant.
C’est alors qu’après avoir effectué une analyse contractualiste et confuse du projet pluriparental (I), la cour d’appel décide de s’affranchir des prévisions du projet pluriparental, jugeant ses modalités contraires à l’intérêt de l’enfant (II).
I – Le projet pluriparental : une qualification tiraillée entre contrat et quasi-contrat
6 – Pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et, plus précisément, sur la résidence de l’enfant et le droit de visite et d’hébergement, la cour d’appel motive sa décision en quittant le terrain du droit de la famille pour emprunter à celui du droit des contrats. Si l’intervention du droit des contrats au service du règlement d’un litige d’une autre matière ne semble, a priori, poser aucune difficulté dans la mesure où le droit civil demeure le droit commun, l’emprunt à des qualifications contractuelles revêt certaines limites.
7 – Le projet de pluriparentalité « qui a présidé à la conception de l’enfant » est qualifié par la cour d’appel de « construction purement intellectuelle » revêtant, comme l’avait déjà souligné le premier juge, « la forme d’un quasi-contrat […] dont l’objet était l’enfant à venir ». Mais cette qualification de quasi-contrat interroge. En effet, on considère traditionnellement qu’il n’existe que trois quasi-contrats : la gestion d’affaires, le paiement de l’indu et l’enrichissement injustifié. Or, on peine à imaginer que le projet parental dont il est question dans cet arrêt puisse être qualifié de l’une de ces trois manières. En effet, la gestion d’affaires ne semble pas pouvoir être retenue ici : il n’y a pas « d’affaires » à gérer[5] puisque c’est l’enfant qui est l’objet du contrat. De même, il ne saurait y avoir de paiement de l’indu ou d’enrichissement injustifié dans la mesure où le problème posé par l’arrêt ne concerne absolument pas un paiement qui aurait été reçu sans être dû[6], ou un appauvrissement injuste d’un sujet de droit au détriment d’un autre[7].
8 – Toutefois, la réforme du droit des contrats entrée en vigueur le 1er octobre 2016[8] pourrait éventuellement apporter une justification à la qualification de quasi-contrat retenue par les magistrats aixois. En effet, après avoir donné une définition du quasi-contrat, le nouvel article 1300 du Code civil dispose, en son second alinéa : « Les quasi-contrats régis par le présent sous-titre sont la gestion d’affaire, le paiement de l’indu et l’enrichissement injustifié ». Cette formulation laisse entendre que la trilogie classique ne serait pas une liste exhaustive des quasi-contrats, et que le législateur aurait formulé une invitation à l’ouverture de « quasi-contrats innomés »[9]. Si l’on peut alors admettre que la liste prévue par le Code civil n’est pas limitative[10], il n’en demeure pas moins que, pour pouvoir retenir la qualification de quasi-contrat dans l’espèce commentée, on doit pouvoir vérifier que les conditions prévues par la définition de l’article 1300, alinéa 1er, du Code civil sont réunies.
Ainsi, selon le nouvel article 1300, alinéa 1er, du Code civil, « Les quasi-contrats sont des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui ». Cette définition comporte donc cinq éléments[11] : a) c’est un fait ; b) purement volontaire ; c) dont il résulte un engagement ; d) de celui qui en profite, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui ; e) celui qui en profite a reçu un avantage sans droit.
9 – En reprenant la motivation de la cour d’appel, il s’agirait donc de déterminer si le projet parental peut effectivement s’analyser comme un quasi-contrat innomé, au sens de l’article 1300, alinéa 1er, du Code civil. La cour d’appel précise également que ce projet, à la forme d’un quasi-contrat entre les deux couples, a pour objet l’enfant à venir. Passons en revue les cinq conditions prévues par le texte.
Premier élément : un « fait ». L’existence d’un quasi-contrat suppose qu’il y ait, à l’origine, une absence de contrat. Il s’agit donc d’un fait juridique[12] que la loi prend en considération pour y attacher des effets de droit. « Si les intéressés n’ont pas cherché à se créer des obligations, ils ont créé spontanément une situation, dont les effets vont ressembler à ceux d’un contrat »[13]. En l’espèce, puisque c’est le « projet qui a présidé à la conception de l’enfant » qui revêt la forme d’un quasi-contrat, le fait en question serait la répartition du temps de l’enfant avec chacun de ses parents, prenant donc pour objet l’enfant.
Deuxième élément : un fait purement volontaire. Nous passons rapidement sur la deuxième condition qui ne semble pas poser de difficulté, puisqu’il ne fait guère de doute que ce fait est « purement volontaire ». En effet, rien ne laisse penser que quiconque se soit engagé dans ce projet sous la contrainte.
Troisième et quatrième éléments : un engagement, unilatéral à la charge de son auteur ou réciproque. Il s’agit de l’engagement qui résulte du fait purement volontaire. En l’espèce, il s’agirait d’un engagement entre les deux couples quant aux modalités de l’exercice de l’autorité parentale à l’égard de l’enfant.
Cinquième élément : celui qui profite de l’engagement a reçu un avantage sans droit qu’il doit restituer. Ce dernier élément n’est pas sans poser de difficulté lorsque l’on cherche à le confronter avec l’espèce commentée. En effet, dans l’hypothèse envisagée du projet ayant présidé à la conception d’un enfant, il semble très compliqué de parler d’un avantage qui aurait été perçu sans droit et qui devrait être restitué, dans la mesure où il s’agit d’un enfant.
10 – Enfin et surtout, le problème principal réside dans le fait qu’un quasi-contrat ne peut pas naître d’un accord de volontés entre plusieurs personnes, puisque, par définition, il s’agirait alors d’un véritable contrat[14]. Or, le fait, pour la cour d’appel, de parler du projet comme d’une « construction purement intellectuelle » qui a revêtu « la forme d’un quasi-contrat » entre les deux couples est une formulation en elle-même contradictoire, car pour qu’il y ait « construction », il faut qu’il y ait eu un accord et, s’il y a accord de volontés, il y a contrat.
Lorsque la cour d’appel évoque « la forme d’un quasi-contrat », il semble qu’elle se réfère davantage à un presque contrat plutôt qu’à un véritable quasi-contrat, en tant que catégorie juridique prévue par le Code civil[15]. Or, il semble bien qu’il y ait en l’espèce un véritable contrat qui ait été conclu puisqu’il y a accord de volontés. Certes, il ne semble pas y avoir de formalisme, mais le principe étant celui du consensualisme, aucune forme n’est en principe requise. L’usage du terme de quasi-contrat ne nous semble donc pas approprié en l’espèce.
Peut-être que l’emploi du terme de quasi-contrat par la cour d’appel a précisément pour but de nier que les prévisions des parties puissent avoir une quelconque force obligatoire quant à la détermination des modalités d’exercice de l’autorité parentale.
De toute façon, l’article 373-2-7 du Code civil prévoit que les conventions portant sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale n’acquièrent force obligatoire qu’en cas d’homologation judiciaire[16]. Et ici, rien n’indique qu’une convention qui organise les modalités d’exercice de l’autorité parentale n’a été homologuée par le juge. Dès lors, la cour d’appel aurait pu raisonner en se fondant sur l’absence d’homologation pour refuser de faire produire des effets au projet pluriparental.
11 – Du quasi-contrat au contrat. À la manière d’un attendu de principe, la cour d’appel a retenu que « l’enfant ne peut pas être l’objet d’un contrat dont l’exécution automatique serait un partage égalitaire de son temps entre des cocontractants et il n’est pas envisageable qu’à l’intérêt de l’enfant se substitue et prévale une contractualisation des droits des initiateurs du projet parental ». Les magistrats énoncent leur rejet d’une contractualisation des modalités d’exercice de l’autorité parentale avant même la conception de l’enfant et précisent que « la notion bien comprise de l’intérêt supérieur de [l’enfant] […] suppose que les modalités d’organisation de la vie de l’enfant soient – au contraire des clauses d’un contrat – ajustées au plus près de ses besoins propres, en fonction de son propre intérêt et en tenant compte de sa propre situation et évolution ». La cour d’appel se réfère cette fois à la qualification de contrat et affirme que ce n’est pas l’outil juridique adapté pour organiser les modalités d’exercice de l’autorité parentale. La motivation s’obscurcit et on ne sait plus si la cour d’appel qualifie le projet parental de quasi-contrat ou de contrat.
12 – Pour statuer sur le droit de visite et d’hébergement du père, la cour d’appel s’est engouffrée dans une question dont elle n’était pas saisie : la qualification du projet pluriparental. La pluriparentalité est une notion en elle-même problématique parce qu’elle s’insère difficilement en droit positif de la famille[17]. Face à cet inédit dans le monde du droit, les juges doivent faire au mieux pour trancher le litige avec les catégories juridiques préexistantes[18]. Au détail près qu’en l’espèce, il s’agissait de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale du père biologique, père juridique et cotitulaire de l’autorité parentale. Autrement dit, le litige opposait la mère juridique au père juridique. Or, le père de l’enfant, avant de s’insérer dans cette réalité sociologique de pluriparentalité, demeure le père juridique de l’enfant. Se pose alors la question de savoir si le détour par le projet pluriparental était nécessaire ou même souhaitable pour trancher le litige.
II – La mise en œuvre du projet pluriparental jugée contraire à l’intérêt de l’enfant
13 – Le recours au projet pluriparental pour fonder la demande de résidence alternée de l’enfant va fournir à la cour d’appel d’Aix-en-Provence l’occasion de réaffirmer l’importance accordée à l’intérêt de l’enfant. Les magistrats aixois vont tenir compte du projet parental, non pas pour étendre le droit de garde du père légal, mais pour rejeter une telle extension. Selon la cour, l’exécution du projet se ferait uniquement dans l’intérêt de ses initiateurs et porterait atteinte au bon développement de l’enfant. L’intérêt de l’enfant serait alors de ne pas faire produire d’effet à ce projet. Le bien-être de l’enfant s’inscrit ainsi comme pierre angulaire de la décision rendue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
14 – S’il est accordé une grande place au projet parental lorsqu’il s’agit d’établir la filiation[19], un tel projet ne revêt pas la même importance lorsqu’il s’agit de statuer sur l’organisation de la vie de l’enfant.
Pour obtenir la mise en place de la résidence alternée, l’appelant se prévaut du projet parental établi avant la conception de l’enfant avec – notamment – la mère légale. Le recours au projet parental par le père légal – révélant aux magistrats les circonstances singulières de la conception de l’enfant – apparaît comme étant stratégiquement critiquable. En effet, dans le cas de l’espèce, nul besoin de revendiquer, au soutien d’une demande de résidence alternée, l’existence d’une entente des parents avant même la conception de l’enfant, sur la répartition du temps parental avec l’enfant. Il suffisait pour l’appelant de se fonder sur sa qualité de parent légal et sur le besoin de l’enfant d’entretenir des rapports plus fréquents avec son père.
Le recours au projet parental aurait pu être pertinent s’il s’agissait de solliciter, pour un tiers, des prérogatives d’exercice de l’autorité parentale sur le fondement de l’article 371-4 du Code civil, ou encore une délégation d’autorité parentale[20].
15 – En outre, l’appelant argue que le respect de l’histoire de l’enfant suppose qu’il soit élevé par ses deux parents « en toute équité de temps ». Le respect de l’histoire de l’enfant impliquerait ainsi – selon les prétentions de l’appelant – que le projet pluriparental ayant initié la conception de l’enfant soit exécuté. Cet argument ne saurait toutefois emporter la conviction dès lors que l’accès aux origines de l’enfant n’est aucunement compromis. L’histoire de l’enfant ne serait en effet pas niée par le maintien d’une résidence exclusive au domicile de sa mère, puisque son lien de filiation à l’égard de son géniteur est établi. Il n’est question d’aucun effacement institutionnel des circonstances de la naissance de l’enfant, seule la résidence de l’enfant est discutée devant la cour d’appel.
L’argumentation de l’appelant ne semble donc pas véritablement pertinente. La filiation n’était en effet pas contestée puisque l’appelant est le parent légal de l’enfant. Mais surtout, le premier juge a déjà constaté que l’autorité parentale est exercée en commun par les parents. La confusion entre les fondements de la filiation, les conditions d’octroi de prérogatives de l’autorité parentale aux tiers, et les règles régissant le droit de garde du parent légal aurait non seulement pu être évitée, mais a sans doute été la cause de la position tranchée de la cour d’appel.
16 – La décision rendue par la cour d’appel se caractérise par une certaine sévérité à l’égard de l’appelant, aussi bien au regard de sa motivation que de sa solution. Les magistrats aixois semblent en effet reprocher au père son « intransigeance »[21] lorsqu’il revendique une stricte égalité entre les droits parentaux des parents, sur la base du projet parental et de l’intérêt de l’enfant « de s’inscrire également dans une relation solide avec son père ». Son manque de compréhension semble également être critiqué, l’appelant ayant refusé toute adaptation des modalités d’exercice de l’autorité parentale proposée par la mère.
La cour d’appel, avec une motivation empreinte de raideur, rétablit l’ordre des priorités lorsqu’il s’agit d’organiser judiciairement la vie quotidienne de l’enfant. Le projet parental revendiqué par l’appelant – telle l’obligation dont se prévaudrait le créancier qui en a le bénéfice pour en obtenir l’exécution – est ainsi décrié par la cour d’appel, cette dernière le qualifiant d’« utopie »[22]. L’appelant ferait en effet « fi »[23] de l’intérêt de l’enfant (qui serait « mû par la revendication de ses seuls intérêts »), se prévalant du projet parental pour avoir un droit de garde élargi, quelles qu’en soient les modalités. L’harmonie même de l’évolution de l’enfant serait également compromise par ce projet, puisque c’est par référence à ce dernier que l’appelant demanderait à l’enfant d’appeler son ex-compagne – co-initiatrice du projet et légalement tiers pour l’enfant – « maman ». La posture rigide du père est ainsi désapprouvée par la cour d’appel qui la considère contraire à l’intérêt de l’enfant.
17 – Les accords parentaux sont pris en compte par le juge aux affaires familiales, sur le fondement de l’article 373-2-11, 1°, du Code civil, lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Si cette disposition renvoie aux accords ayant pu être antérieurement conclus entre les parents, il semblerait que la lettre du texte puisse supporter l’inclusion des accords conclus avant même la conception de l’enfant. Quand bien même le juge aux affaires familiales tiendrait compte de ce projet pluriparental, élaboré avant que l’enfant ne soit conçu, pour fixer le droit de garde des parents, cette entente des parents ne peut constituer qu’un indicateur pour le juge dans son appréciation du partage du temps parental.
Le juge doit en effet prendre en compte d’autres critères de décision, mais également statuer sur l’intérêt de l’enfant, notion standard à contenu variable[24], appréciée différemment selon le contentieux dans lequel elle est mobilisée. Il convient de souligner que l’enfant dispose d’un droit fondamental à bénéficier d’une coparentalité[25]. Il jouit à ce titre d’un droit à avoir des liens avec ses deux parents, dans la mesure du possible, sur un pied d’égalité[26]. Et c’est cette « mesure du possible » qui laisse au juge tout son pouvoir d’appréciation. Ce droit peut ainsi être limité si des considérations relatives à l’intérêt de l’enfant le justifient[27].
18 – Le litige portant sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, il convient d’apprécier s’il est ou non dans l’intérêt de l’enfant que ce dernier fasse l’objet d’une résidence alternée aux domiciles de ses deux parents. Ne pouvant être apprécié in abstracto[28], l’intérêt de l’enfant doit nécessairement être apprécié in casu, afin que « les modalités d’organisation de [sa] vie soient […] ajustées au plus près de ses besoins propres, en fonction de son propre intérêt et en tenant compte de sa propre situation et évolution ». Dans son pouvoir d’appréciation souveraine, la cour d’appel a interprété ce que commandait cet intérêt[29]. Selon elle, l’intérêt de l’enfant est distinct de celui de ses parents[30], mais serait également mis à mal par l’instauration d’une résidence alternée revendiquée coûte que coûte par l’appelant. La mise en œuvre de la résidence alternée avait pourtant été recommandée par les rapports d’expertise et d’enquête sociale, et déclarée objectivement possible par la cour, avant que cette dernière ne l’écarte néanmoins au nom de l’intérêt de l’enfant.
19 – Il est possible de s’interroger sur ce que traduit implicitement la décision rendue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence. La frontière entre appréciation souveraine et subjectivité aurait-elle été franchie ? La solution serait critiquable si les juges du fond faisaient fi des critères légaux pour exprimer une position réfractaire à tout modèle familial singulier (et partant, subjective). Au contraire, la solution se justifierait si elle se contentait d’énoncer que le juge n’est pas lié aux prévisions des parents établies avant la naissance de l’enfant puisque l’intérêt de celui-ci doit être apprécié au jour où le juge statue. Dans ce cas, devrait-on en conclure que le projet pluriparental établi avant la conception de l’enfant pourrait être suivi si le juge l’estime conforme à l’intérêt de l’enfant ?
20 – Finalement, on peut voir à travers cette décision une sanction qui ne dit pas son nom à l’égard de la relation père-enfant, pour avoir véhiculé une forme familiale singulière. Si l’intimé argue du fait que « la situation atypique qui a présidé à la conception de l’enfant ne peut pas être un argument excluant toute analyse de l’intérêt propre de [l’enfant] », il reste qu’inévitablement, les juges du fond vont apprécier cet intérêt à la lumière de la singularité des faits. L’appelant mettait justement en exergue le caractère inhabituel de la conception de l’enfant et faisait à ce titre grief au premier juge d’avoir comparé la situation familiale de l’enfant à celle d’une famille recomposée. Au lieu de plaider la spécificité de ce modèle familial en rejetant l’analogie avec les familles recomposées, la stratégie du père aurait été certainement mieux accueillie s’il avait fait preuve d’adaptabilité et s’était uniquement fondé sur l’intérêt de l’enfant.
Tout en semblant révéler son hostilité face aux éléments factuels atypiques, le juge s’inscrit davantage en défenseur de l’intérêt de l’enfant, selon une conception qui lui est propre, face aux revendications paternelles fondées sur l’existence d’un accord commun quant au partage du temps parental.
[1] Les auteures tiennent à remercier le Professeur Caroline Siffrein-Blanc pour ses conseils avisés dans l’élaboration de cette note.
[2] S. Moracchini-Zeidenberg, « La contractualisation du droit de la famille », RTD civ., 2016, p. 773.
[3] M. Cresp, « La coparentalité ou pluriparentalité : entre réalité sociologique et inexistence juridique », AJ Famille, 2018, p. 163 : « La coparentalité désigne le fait pour une personne ou un couple de sexe différent ou de même sexe de rechercher soit une autre personne du sexe opposé soit un couple hétérosexuel ou homosexuel, mais alors du sexe opposé au demandeur, afin de concevoir un enfant et en devenir, ensemble, les parents. Sociologiquement, ce phénomène correspond à la volonté de devenir les parents d’un enfant par le biais d’une convention sans avoir nécessairement formé, au préalable, un couple conjugal ».
[4] M. Mesnil, Repenser le droit de la reproduction au prisme du projet parental, Bâle, Helbing Lichtenhahn Verlag, 2018, n° 58 : le projet parental est à distinguer du projet purement procréatif puisqu’il n’est pas uniquement fondé sur la conception de l’enfant, mais sur la relation parentale à venir entre l’enfant conçu et son parent légal. Le projet parental « permet de prendre en compte la dyade parent-enfant et la relation entre l’adulte et l’enfant, liés par la parentalité et/ou la parenté ».
[5] C. civ., art. 1301 à 1301-5.
[6] C. civ., art. 1302 à 1302-3.
[7] C. civ., art. 1303 à 1303-4.
[8] L’article 8 de la loi n°2015-177 du 16 février 2015 avait habilité le Gouvernement à « moderniser les règles applicables à la gestion d’affaires et au paiement de l’indu et consacrer la notion d’enrichissement sans cause ».
[9] N. Dissaux et C. Jamin, Réforme du droit des contrats, du quasi-contrat, du régime général et de la preuve des obligations, Dalloz, 2016, p. 152.
[10] Ph. Le Tourneau, « Quasi-contrat », in Rép. civ., janv. 2018, n° 9.
[11] Ibid., n° 11.
[12] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 9e éd., 2011, V° « Quasi-contrat », p. 829.
[13] F. Pollaud-Dulian, « Le modèle du quasi-contrat », in T. Revet (dir.), Code civil et modèles. Des modèles du code au Code comme modèle, LGDJ, 2005, p. 413, spéc. p. 422.
[14] C. civ., art. 1101 : « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »
[15] Ph. Le Tourneau, « Quasi-contrat », in Rép. civ., janv. 2018, n° 3 : « le quasi-contrat ne peut pas réellement être considéré comme presque un contrat, à défaut d’accord de volonté ».
[16] S. Moracchini-Zeidenberg, « La contractualisation du droit de la famille », RTD civ., 2016, p. 773.
[17] M. Cresp, « « La coparentalité ou pluriparentalité : entre réalité sociologique et inexistence juridique », op. cit.
[18] C. Atias, « Juris dictio : redire l’inédit », D., 1992, p. 281.
[19] Le projet parental constitue un nouveau fondement qui a été consacré pour établir la filiation de la mère non gestatrice ayant eu recours à l’assistance médicale à la procréation à l’étranger avant la loi bioéthique de 2021 (la loi bioéthique n° 2021-1017 du 2 août 2021 met en effet en place un mécanisme transitoire de reconnaissance conjointe a posteriori de l’enfant sur ce fondement ; depuis la loi n° 2022-219 du 21 février 2022, le projet parental sert également de fondement à la mise en œuvre d’un mécanisme d’adoption au bénéfice de la mère n’ayant pas accouché de l’enfant). Il convient néanmoins d’indiquer que ni la loi bioéthique de 2021, ni la loi Limon de 2022, ne légitimise un projet de pluriparenté/pluriparentalité : le schéma classique demeure celui de la bi-parenté/bi-parentalité.
[20] V. C. Siffrein-Blanc, « Une pluri-parentalité s’impose dans l’intérêt de l’enfant », Dr. fam., 2023, n°5, comm. 76. « La délégation-partage [répond] à la situation très particulière de la « composition familiale », avec la reconnaissance du tiers participant au projet parental ».
[21] Tel qu’indiqué dans les motifs de la décision.
[22] Tel qu’indiqué dans les motifs de la décision.
[23] Tel qu’indiqué dans les motifs de la décision.
[24] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 9e éd., 2011, V° « Standard », p. 978 : pour désigner « une norme souple fondée sur un critère intentionnellement indéterminé ». Et plus précisément, v. F. Haid, Les notions indéterminées dans la loi. Essai sur l’indétermination des notions légales en droit civil et pénal, Thèse dactylographiée, Aix-Marseille III, 2005, §53 et s., p. 94.
[25] CESDH, art. 8 ; Convention internationale des droits de l’enfant, art. 7.1 et 9.3 ; Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 24.3 ; Convention sur les relations personnelles concernant les enfants du Conseil de l’Europe, STE n° 192, art. 4.1.
[26] CEDH, 10 janv. 2017, Kacper Nowakowsli c. Pologne, n° 32407/13, 81 ; CEDH, 25 mai 2021, Nechay c. Russie, n°40639/17, 58.
[27] Ibid. Sur ce principe, certaines juridictions du fond ont déjà écarté la résidence alternée, considérant que « la loi commande de fixer la résidence de l’enfant en fonction de son intérêt propre et non de celui de l’un de ses parents ou pour rechercher une égalité parentale finalement néfaste à l’enfant » (v. CA Besançon, 2e ch. civ., 23 juin 2017, n° 16/00481, Jurisdata n° 2017-016744). En outre, la résidence alternée n’est pas nécessairement égalitaire. « L’article 373-2-9 du code civil n’impose pas, pour que la résidence d’un enfant soit fixée en alternance au domicile de chacun de ses parents, que le temps passé par l’enfant auprès de son père et de sa mère soit de même durée, les juges du fond peuvent, si l’intérêt de l’enfant le commande, compte tenu des circonstances de la cause, décider d’une alternance aboutissant à un partage inégal du temps » (v. CA Toulouse, 4e ch., section 3, 25 nov. 2022, n° 20/03594).
[28] Pour une illustration, v. J. Pierrot-Blondeau et M. Galvez, « Illustrations de l’appréciation de l’intérêt de l’enfant dans la fixation des modalités d’exercice de l’autorité parentale », Gaz. Pal., n°14, 2018, pp. 60-61 : « critère fondamental de référence qui doit guider la décision du juge aux affaires familiales en matière d’autorité parentale […], l’intérêt de l’enfant est une notion flexible qui fait l’objet d’une appréciation au cas particulier de chaque enfant ». L’intérêt de l’enfant peut faire l’objet d’appréciations variées. Le juge peut ainsi, selon les cas auxquels il est confronté, se fonder sur l’intérêt de l’enfant pour justifier une extension des droits parentaux ou bien, a contrario, justifier une diminution de ces droits.
[29] « Au fond, l’enfant demeure un incapable sur la scène juridique, et la définition de son intérêt est monopolisée par les juges et les experts », T. Dumortier, « L’intérêt de l’enfant : les ambivalences d’une notion “protectrice” », in Journal du droit des jeunes, vol. 329, n° 9, éd. Association jeunesse et droit, 2013, p. 18.
[30] À ce titre, la cour d’appel de Paris a pu considérer que « les besoins d’un enfant ne sont pas solubles dans les aspirations des adultes » (v. M. Saulier, « La vie séparée des “pluri-parents” », Dr. fam., 2022, n°4, comm. 49). Madame Maïté Saulier met en avant l’appréciation abstraite des magistrats en matière de pluriparentalité qui considèrent que le projet pluriparental entre trois parents est contraire à l’intérêt de l’enfant, « en dépit d’une volonté contraire exprimée par le mineur ». Il convient néanmoins de souligner que la mise en œuvre du projet avait été jugée contraire à cet intérêt, en ce qu’il prévoyait un partage égalitaire entre le domicile du parent social et ceux des parents légaux (et biologiques), tandis que dans les faits de notre espèce, il s’agit d’accorder aux deux parents légaux (liés biologiquement à l’enfant) la même place dans la vie de l’enfant.
D’autres articles intéressants
- AUTORITÉ PARENTALE : JUGE DES ENFANTS OU JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES, QUI EST COMPETENT ? LES DEUX, MON CAPITAINE !
- L’INSECURISANTE FILIATION D’UN ENFANT NÉ D’UNE AMP AVEC TIERS DONNEUR
- L’OSTÉOPATHE EST-IL DÉBITEUR D’UNE OBLIGATION SPÉCIALE D’INFORMATION ?
- RÉVOCATION DE L’ADOPTION SIMPLE : LA FRAGILITÉ DU LIEN DE FILIATION CRÉÉ EN VUE D’UN PROJET SUCCESSORAL
- LA CONFORMITÉ A LA CONSTITUTION DE L’EXIGENCE DE COHABITATION DES PARENTS CIVILEMENT RESPONSABLES
Adresse
Institut d’Etudes Judiciaires
Faculté de droit et de science politique
3 Avenue Robert Schuman
13628 Aix-en-Provence
Aix-Marseille Université
58, bd Charles Livon
13284 Marseille Cedex 07
Contact
Mme Françoise LE BRIS
Responsable administrative
Téléphone : 04 13 94 45 95
E-mail : fdsp-iej-scol@univ-amu.fr