QUALIFICATION D’UNE CLAUSE PÉNALE : REGARD SUR UNE JURISPRUDENCE DISSIDENTE
Auteur : Brian Kibimi-Deje
Doctorant contractuel-chargé de mission d’enseignement à Aix-Marseille Université
Laboratoire de droit privé et de sciences criminelles (EA 4690)
Contrat / Inexécution / Dénonciation/ Indemnité forfaitaire / Qualification / Clause pénale / Clause de dédit.
Président : M. Delmotte
Avocats : Me Guerini, Me Jean-Marie Lafran.
Résumé : La distinction entre une clause pénale et de la clause de dédit pose encore et toujours des difficultés. Alors que la Cour de cassation a jugé que la clause litigieuse était une clause pénale, la cour d’appel d’Aix-en-Provence y voit, elle, une clause de dédit. Cette jurisprudence dissidente empêche l’unification de la jurisprudence sur la qualification de la clause en cause.
Observations :
1 – Le contentieux autour de la qualification de la clause pénale tarira-t-il un jour ? Bien plus, peut-on répondre autrement que par la négative à cette question ? On ne peut à l’évidence que l’espérer, alors même que « tout a été dit et excellemment dit » (T. Génicon, obs. sous Cass. com. 10 mars 2015, n° 13-27.942, RDC 2015, p. 448). La clause pénale qui suscite encore et toujours un grand « appétit » – nourrit par le pouvoir modérateur, mieux exorbitant, car attentatoire au principe de la force obligatoire du contrat, que le législateur a conféré au juge le 9 juillet 1975 – garde ainsi sa part de mystères, mystères que tant les précisions jurisprudentielles (pour un aperçu : J.-S. Borghetti, « La qualification de la clause pénale », RDC 2008, p.1158 ; infra n° 2 et n° 4) que les éclairages de la doctrine (D. Mazeaud, La notion de clause pénale, préf. F. Chabas, LGDJ, 1992 ; D. Mazeaud, « Qualification de clause pénale : encore et toujours… », D. 2016, p. 1628) n’ont manifestement pu lever.
2 – Ces flottements observés autour de la qualification de la clause pénale sont principalement dus à la reconnaissance ou non de son caractère comminatoire. C’est ce caractère, cette fonction, qui permet de distinguer la « vraie » clause pénale d’une simple clause d’indemnisation forfaitaire ou d’une clause de dédit. Aussi pour être une clause pénale, que la Cour de cassation définit comme la « clause d’un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d’avance l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée » (Cass. 1ère civ. 10 oct. 1995, n° 93-16.869, préc.), une telle indemnité forfaitaire et convenue d’avance doit non seulement sanctionner un manquement contractuel (Cass. com., 29 janv. 1991, n° 89- 16.446, Bull. civ. IV, n° 43), mais également inciter le débiteur à exécuter le contrat (Cass. 3ème civ. 21 mai 2008, n°07-12.848, RDC 2008, p. 1257, obs. J.-B. Seube ; Cass. 3ème civ. 24 sept. 2008, n° 07-13.989, RDC 2009, p. 88, obs. J.-S. Borghetti ; Cass. com. 10 mars 2015, n° 13-27.993, RDC 2015, p. 449, obs. T. Genicon ; Cass. com., 25 sept. 2019, n° 18-14427, LDC 2019, p. 3, obs. M. Latina ; Contrats, conc., consom. 2019, comm. 193, obs. L. Leveneur). Bref, « sans contrainte, il n’y a pas de clause pénale » (J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Les obligations. L’acte juridique, Sirey, 2022, nbp, p.1180). La clause de dédit, elle, s’oppose fondamentalement à cette idée de contrainte à l’exécution du contrat. Son application n’est ainsi pas subordonnée à une inexécution ou un risque d’inexécution. Elle permet justement, c’est son objet, à un contractant de se délier ou de se soustraire de ses obligations contractuelles en payant un prix (Cass. com. 18 janv. 2011, n° 09-16.863, RDC 2011, p. 812, note E. Savaux ; Contrats, conc., consom. 2011, comm. 86, note L. Leveneur ; G. Valdelièvre, « La clause de dédit », RLDC 1er mars 2018, n° 157).
3 – En pratique la distinction n’est cependant pas aisée à effectuer, en ce sens que la même clause peut tout à fait être qualifiée de clause pénale ou de clause de dédit. C’est cette difficulté que révèle l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 5 octobre 2024 qui revient sur la qualification d’une clause particulièrement discutée. En l’espèce, une société par actions simplifiées (SAS) avait conclu le 18 février 2016 avec la Société Commerciale de Télécommunication (STC) un contrat de prestations installation/accès Web et un contrat de services de téléphonie fixe. Les faits sont peu clairs. On comprend néanmoins qu’un mois après son début d’exécution, le contrat a été résilié à l’initiative de la SAS. Ce faisant, la STC l’a assignée devant le tribunal de commerce pour obtenir le paiement de l’indemnité de résiliation prévue au contrat. Cette demande ayant été déclarée irrecevable en première instance, un appel a été formé, lequel a conduit à l’infirmation du jugement. Les juges d’appel ont ainsi été amenés à se prononcer sur la qualification de l’indemnité de résiliation. L’article 14.3.1 des conditions particulières de service téléphonie fixe de la STC constitue-t-elle une clause pénale ou une clause de dédit ?
4 – Dans le sillage de sa jurisprudence antérieure (CA Aix-en-Provence, ch.3-3, 10 févr. 2022, n° 19/09079), la cour d’appel d’Aix-en-Provence dans son arrêt du 5 octobre 2023 rejette la qualification de clause pénale et retient celle de clause de dédit. Pour les juges aixois, « dans la mesure où la clause litigieuse ne tend pas à assurer l’exécution du contrat mais permet au client de dénoncer celui-ci et de se libérer unilatéralement de ses engagements avant le terme fixé, moyennant le règlement d’une indemnité conventionnellement prévue, elle doit s’analyser, non en une clause pénale, mais en une faculté de dédit, laquelle échappe au pouvoir du juge de réduire l’indemnité convenue » (CA Aix-en-Provence, Ch. 3-3, 05 octobre 2023, n° 20/01685, Gaz. Pal. 13 avril 2024, p.5). Ce faisant, cette juridiction s’émancipe de la position de la Cour de cassation qui, cinq mois plus tôt, à l’instar d’autres juridictions du second degré (CA Montpellier, ch. com., 20 sept. 2022, n° 20/02385 ; CA Versailles, 12e ch., 12 janv. 2023, n° 21/04045 ; CA Douai, 2e ch., 1re sect., 12 janv. 2023, n° 21/04764 ; CA Lyon, 3e ch. A, 2 mars 2023, n° 19/00282 ; CA Lyon, ch. A, 19 octobre 2023, n° 20/04722), jugeait en effet que « la clause litigieuse stipulait une indemnité en cas de résiliation anticipée de la part du client dont le montant était équivalent au prix dû en cas d’exécution du contrat jusqu’à son terme, soit en l’espèce pendant quarante-six mois, sans aucune contrepartie puisque la société SCT ne devait plus aucune prestation au titre du contrat, et présentait, dès lors, un caractère à la fois indemnitaire, puisqu’elle constituait une évaluation forfaitaire du dommage subi par la société SCT à la suite de la résiliation du contrat, et un caractère comminatoire, son montant élevé ayant pour but de contraindre la société A2C à exécuter le contrat jusqu’à son terme, de sorte qu’elle constituait une clause pénale et non une clause de dédit » (Cass. com. 24 mai 2023, n° 21-25.579, préc. LDP du 15 juin 2023, obs. C.-A. Michel ; V. aussi Cass. com. 13 janv. 2021, n° 19-14.767, Inédit).
5 – Au-delà de la difficulté à nouveau illustrée de la distinction entre la clause pénale et la clause de dédit, l’arrêt du 5 octobre 2023 revêt un intérêt certain, compte tenu de la singularité de la position retenue par cette juridiction sur la qualification de l’indemnité de résiliation prévue dans les conditions particulières de service téléphonie fixe (ou mobile) de la STC. En dehors de la cour d’appel de Grenoble, dont l’arrêt a été cassée par l’arrêt du 24 mai 2023, les autres juridictions du second degré partagent en effet la position de la Haute juridiction (CA Montpellier, ch. com., 20 sept. 2022, n° 20/02385 ; CA Versailles, 12e ch., 12 janv. 2023, n° 21/04045 ; CA Douai, 2e ch., 1re sect., 12 janv. 2023, n° 21/04764 ; CA Lyon, 3e ch. A, 2 mars 2023, n° 19/00282 ; CA Lyon, ch. A, 19 octobre 2023, n° 20/04722). Cet isolement impose d’interroger les raisons qui motivent cette jurisprudence dissidente.
6 – La lecture de l’arrêt du 5 octobre 2023 déçoit néanmoins le lecteur. La motivation est pour ainsi dire lacunaire. On ne peut s’empêcher de penser à la lecture de l’arrêt que les juges recourent à l’imperatoria brevitas lorsqu’ils affirment, sans autre élément, que la clause litigieuse de résiliation conventionnelle « ne tend pas à assurer l’exécution du contrat mais permet au client de dénoncer celui-ci et de se libérer unilatéralement de ses engagements avant le terme fixé ». On ne peut que regretter cette économie. Ce d’autant plus que la doctrine relève justement que pour distinguer ces deux clauses, il convient de « cerner dans quel état d’esprit exactement [la] a été insérée » (T. Génicon, obs. sous Cass. com. 10 mars 2015, préc.).
Cela étant, d’autres arrêts permettent de surmonter cette lacune. C’est la raison pour laquelle, il est tout à fait juste, dans ce domaine, de parler d’une jurisprudence de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Ainsi, dans l’arrêt du 10 février 2022 précité, cette cour motive sa décision en ces termes : « Dans la mesure où il apparaît, au regard de ces dispositions contractuelles, que la somme que réclame l’appelante à titre d’indemnité de résiliation anticipée des contrats est indépendante de la notion d’inexécution par le client de ses obligations, qu’elle est destinée à réparer le fait que le contrat disparaisse de façon anticipée, quel qu’en soit le motif, ladite clause doit en l’espèce s’analyser, non en une clause pénale, laquelle vient sanctionner un manquement dans l’exécution du contrat, mais, permettant à l’intimée de se libérer unilatéralement de son engagement avant le terme fixé, en une faculté de dédit ». Deux observations peuvent être faites.
7 – Remarquons tout d’abord que si la solution de l’arrêt commenté se démarque des autres, c’est en raison de l’approche du contrat qui la sous-tend. Contrairement à la Cour de cassation et aux autres juridictions du second degré qui retiennent une approche objective du contrat pour retenir la qualification de clause pénale, la cour d’appel d’Aix opte, elle, pour l’approche volontariste que la Cour de cassation avait un temps plébiscité (Cass. com., 3 juin 2003, n° 00-12.580, RDC 2004, p. 930, obs. D. Mazeaud – Cass. com. 18 janv. 2011, n° 09-16.863, préc.). Plus précisément, l’arrêt commenté n’infère pas du montant élevé de l’indemnité de résiliation la fonction comminatoire de la clause querellée, ce qui la transformerait en clause pénale (Cass. com. 10 mars 2015, n° 13-27.993, préc. ; Cass. com., 25 sept. 2019, n° 18-14427, préc. ; Cass. com. 24 mai 2024, n° 21-25.579, préc.). En l’absence de tout caractère comminatoire, la qualification de clause pénale est par conséquent exclue. La solution pourrait évoluer dans le droit nouveau (supra, n° 1).
8 – Remarquons ensuite que l’approche retenue par les juges aixois est conforme aux règles d’interprétation posées par le Code civil qui imposent au juge de rechercher la commune intention des parties (C. civ. art. 1156 anc. et art. 1188 nouv.). Il ressort de la jurisprudence que c’est notamment dans les termes employés par les parties qu’il convient de rechercher cette intention (Cass. 3ème civ. 5 févr. 1971, n° 69-12.443, Bull. civ. n° 89, p. 64). C’est assurément la voie empruntée en l’espèce, et qui permet de constater que l’indemnité de résiliation stipulée à l’article 14.3.1 que 14.3.2 des conditions particulières de téléphonie de la STC stigmatise moins l’inexécution qu’elle ne l’autorise. Dans cette perspective, on peut postuler que c’est notamment l’expression « en cas de dénonciation du Service (…) », présente dans cette clause qui suggère cette interprétation. La dénonciation étant définie comme l’annonce de la fin d’un accord, on peut raisonnablement penser que cette expression renvoie moins à la sanction d’un manquement contractuel qu’à l’aménagement d’une prérogative contractuelle que constitue la clause de dédit. Aussi dans l’arrêt du 10 février 2022, la cour semble donner une certaine importance à l’indifférence du motif de la disparition du contrat. Cette référence laisse perplexe.
9 – Cette dernière réserve faite, il convient de relever que dans son principe la position adoptée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence respecte la volonté des parties. Elle réaffirme simplement les articles 1103 et 1212 du Code civil. Sous cet angle, on ne peut que s’en satisfaire. Dans la mesure où cette clause sanctuarise les gains attendus du contrat au profit du prestataire vraisemblablement maître du contenu du contrat, peut-on raisonnablement penser que celui-ci a voulu s’exposer à une réduction de son indemnité ? On ne peut qu’espérer une motivation plus claire pour alimenter davantage la controverse, celle à laquelle les juristes aixois sont si attachés, et qui conduira peut-être la Cour de cassation à faire évoluer sa jurisprudence.
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