NOTIFICATIONS DES CONCLUSIONS ET COMMUNICATION SIMULTANÉE DES PIÈCES EN CAUSE D’APPEL :TEMPS UTILE ET ORDONNANCE DU CLÔTURE
Notification des conclusions et communication simultanée des pièces en cause d’appel / Article 906 du code de procédure civile / Absence de sanction prévue par le texte (oui) / Office du juge / Devoir du juge de veiller au bon déroulement de l’instance / Contrôle de la communication «en temps utile» des pièces en cause d’appel / Respect des droits de la défense / Principe du contradictoire / Ordonnance de clôture / Recevabilité des pièces communiquées après la notification des conclusions mais avant l’ordonnance de clôture (oui) / Violation du contradictoire (non).
Auteur : MAXIME SCHEFFER
A.T.E.R à Aix-Marseille Université,
Faculté de Droit et sciences politiques,
Laboratoire de Droit privé et de Sciences criminelles, EA 4690,
maxime.scheffer@univ-amu.fr
CA Aix-en-Provence, 1re et 9e ch. réunies, 3 mars 2022, n° 20/10235 : Juris-data n° 2022/006945
Résumé: Tel que modifié par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’article 906 du Code de procédure civile prévoit que les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l’avocat de chacune des parties à celui de l’autre partie. Certes, aucune sanction n’est prévue par le texte en cas de notification des conclusions et communication non simultanée des pièces qui figurent dans le bordereau. Cependant, comme le rappelait récemment la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation, «le juge est toutefois tenu de rechercher si ces pièces ont été communiquées en temps utile» (Cass. 2ème civ., 19 mai 2022, n° 21-14.616, Publié au Bulletin). C’est ce que fait la Cour d’appel, ici. Il est vrai que les pièces n’ont pas été communiquées au moment de la notification des conclusions. Mais l’ayant été avant l’ordonnance de clôture, elles n’en demeurent pas moins recevables. C’est donc l’ordonnance de clôture qui permet de déterminer la communication des pièces en temps utile et non pas les délais pour conclure. Une solution qui vaut tant pour l’appelant que l’intimé.
Observations :
- Alors que s’ouvrent les révisions estivales de l’examen du CRFPA – où, quoique plus courte que les autres, l’épreuve de procédure civile ne doit pas être négligée –, qu’il soit permis de traiter, dans ce numéro du Bulletin d’Aix, la question de la notification des conclusions et de la communication simultanée des pièces en cause d’appel. Certes, il n’est pas impossible que la thématique lasse certains avocats aixois, et l’on songe spécialement aux spécialistes de la procédure d’appel qui officient dans les anciens cabinets d’avoués. La plupart n’apprendront rien, ici, qu’ils ne savent déjà. Pour autant et, sans doute parce qu’il a été « assez mal rédigé», l’article 906 du Code de procédure civile continue de nourrir un bon nombre d’incidents et rejoint, ainsi, les fameux chausse-trapes de la procédure d’appel. Un récent arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation, qui plus est, publié au Bulletin, en témoigne. L’arrêt d’appel à l’étude mérite d’être lu à la lumière de celui-ci.
- Chacun sait que la forme des conclusions d’appel est strictement réglementée par le Code de procédure civile. Écritures qualificatives – et récapitulatives – obligent, elles doivent bien-sûr formuler (faut-il ajouter «expressément»?) les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels elles sont fondées; une obligation réglementaire qui n’est que l’expression d’un devoir déontologique élémentaire de l’avocat. Elles doivent aussi indiquer, pour chaque prétention, les pièces invoquées et leur numérotation. De sorte que, pour le bon ordre, un bordereau récapitulatif des pièces doit être annexé aux conclusions. Voici les formes prescrites par l’article 954, alinéa 1er, du Code de procédure civile. Qu’il s’agisse des conclusions de l’appelant ou de l’intimé. Le principe du contradictoire s’applique à l’attaque comme à la défense.
- L’article 906 du même code ajoute la précision suivante :«Les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l’avocat de chacune des parties à celui de l’autre partie; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l’être à tous les avocats constitués. Copie des conclusions est remise au greffe avec la justification de leur notification.
Les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables». Les pièces visées dans le bordereau annexé aux conclusions doivent donc être communiquées dans le trait de temps de leur notification. Pour autant, l’article 906 du Code de procédure civile ne dit rien de la sanction de cette obligation procédurale. Ce qui est relativement étonnant en cause d’appel où les irrecevabilités, caducité, etc., sont nombreuses. - Dans le silence de la loi, lato sensu, il arrive que l’irrecevabilité des pièces communiquées après la notification des conclusions soit soulevée, selon les cas, par l’avocat de l’appelant ou l’avocat de l’intimé. Tel était le cas, en l’espèce. Les conclusions de l’appelant avaient été notifiées le 28 décembre 2020 sans que, toutefois, la communication des pièces visées dans le bordereau ne soit faite spontanément. Après quelques péripéties – très classiques – dans le déroulement de l’instance (première fixation, renvoi, report de la clôture de l’instruction, etc.), l’appelant avait fini par s’y soumettre, les 10 et 12 novembre 2021. Les pièces étaient-elles irrecevables?
- «Non » dit la Cour d’appel. «Il n’y a pas lieu de les écarter des débats dès lors qu’elles ont été communiquées en première instance et, pour les plus récentes, avant l’ordonnance de clôture et qu’il ressort des dernières écritures [de l’adversaire] qu’il a pu en prendre connaissance, les discuter et y répondre». Voilà quelque chose d’assez évident. Cependant, la pratique de l’appel cherche à créer une sanction, ici, en tout cas lorsqu’elle lui profite. Mais, hors le cas où les pièces sont communiquées après l’ordonnance de clôture – ce qui peut justifier un rabat plutôt qu’une fin de non-recevoir –, cette défense assez peu confraternelle devrait ne jamais être accueillie. Pourquoi? Sans doute parce que le contradictoire n’est pas violé. Mais aussi et, peut-être même surtout, parce qu’il en va du bien jugé. Que peut faire le juge sans les pièces visées dans le bordereau annexé aux conclusions qui, elles, pour rappel, sont recevables? Il devra logiquement rejeter les prétentions qu’elles contiennent. Idem est non esse aut non probari. Ce débouté automatique est-il souhaitable ? Nous ne le croyons pas tant que le contradictoire et, partant, les
droits de la défense, n’ont pas été violés. - Par ailleurs, la logique de gestion des flux2 – qui peut conduire à prononcer les sanctions les plus sévères pour purger le rôle du tribunal – n’a aucune prise en la matière. Pour le juge gestionnaire, prononcer l’irrecevabilité des pièces communiquées après la notification des conclusions n’est d’aucune utilité, lorsqu’il s’agit de réduire le stock des affaires pendantes devant la
juridiction saisie du litige. En faisant preuve d’un peu de cynisme, si un président de chambre peut trouver quelques intérêts à prononcer d’office la caducité d’une déclaration d’appel, pour défaut de justification du paiement du timbre fiscal – parce que ce sera toujours une affaire de moins à traiter –, tel n’est pas le cas de l’irrecevabilité des pièces de l’appelant ou de l’intimé. Dès lors, les pièces communiquées tardivement du point de vue des délais pour conclure, mais «en temps utile» du point de vue de l’ordonnance de clôture, restent recevables et méritent, ainsi et, toujours, un sérieux examen de la part du juge.
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