L’OSTÉOPATHE EST-IL DÉBITEUR D’UNE OBLIGATION SPÉCIALE D’INFORMATION ?
Auteur :
Thibaut DANTZER
Docteur en droit, FDSP, AMU
Qualifié aux fonctions de maître de conférences
LDINPP (ex-GREDIAUC), UR 3786
dantzerthibaut@gmail.com
Ostéopathe débiteur d’une obligation spéciale d’information (oui) / Obligation fondée sur le Code de déontologie de l’ostéopathie / Violation de l’obligation d’information (non)
Premier président de chambre : Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS
Présidente de chambre : Madame Elisabeth TOULOUSE
Président chargé du rapport : Monsieur Jean-Wilfrid NOEL
Observations :
1 – En l’espèce, une femme consulte un ostéopathe car elle souffre de lombalgies prédominantes du côté droit. L’ostéopathe préconise un scanner lombaire qui révélera une hernie discale L5/S1 postéro-médiane légèrement latéralisée à gauche. À la suite du scanner, l’ostéopathe a procédé à des manœuvres de décompression afin de relâcher la contracture musculaire. De vives douleurs dans le bas du dos irradiant dans la jambe droite sont apparues quelques heures plus tard, accompagnées de paresthésies[1] des orteils. Dans la nuit qui a suivi, la patiente s’est rendue aux urgences qui ont conclu à une lombo-sciatique S1. Le lendemain, une IRM sera pratiquée et révélera une aggravation de la protrusion L5-S1, avec un fragment de disque exclu, au contact de la racine S1 droite. La patiente est opérée le jour même pour procéder à l’exérèse de la hernie discale.
2 – Deux ans après les faits, la patiente obtient en référé la désignation d’un expert aux fins de donner toutes indications sur « la nature, l’opportunité et les conséquences » de l’intervention de l’ostéopathe. Deux ans après sa désignation, l’expert parvient la conclusion « (qu’) aucune imprudence, inattention ou négligence ne peut être imputée à ce praticien : il n’y a pas eu d’erreur d’indication ni de faute dans les manœuvres pratiquées. Il s’agit d’une complication thérapeutique sans faute ». Un an plus tard, la patiente introduit une action en responsabilité civile contre l’ostéopathe pour obtenir la réparation « de son préjudice consécutif à un défaut d’information préalable sur les risques encourus », et de son préjudice pour « défaut de préparation aux conséquences de la manipulation ». Le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Nice rejettera la demande de la patiente, considérant que l’ostéopathe n’a pas manqué à son obligation spéciale d’information que lui impose le Code de déontologie de l’ostéopathie[2]. La Cour d’appel (CA) d’Aix-en-Provence confirmera le jugement du TGI de Nice en considérant qu’aucun manquement au devoir d’information imposé par « l’article 4-1 du code de déontologie de l’ostéopathie » n’est caractérisé.
3 – Au premier abord, l’arrêt peut convaincre. Si le Code de déontologie de l’ostéopathie met à la charge de l’ostéopathe une obligation spéciale d’information, celle-ci doit être respectée. Pour mémoire, une obligation de nature déontologique peut constituer une faute au sens des articles 1240 et 1241 du Code civil[3]. L’arrêt est d’autant plus convaincant qu’il paraît légitime de soumettre l’ostéopathe à une obligation d’information. Tout patient d’un ostéopathe mérite d’être informé, à l’image des patients des professionnels de santé[4]. Pourtant, la position des juges aixois n’est pas pleinement satisfaisante.
4 – Tout d’abord, car il n’existe pas un Code de déontologie de l’ostéopathie. Il en existe, en effet, pas moins de trois différents : le Code de déontologie de l’ostéopathie, le Code de déontologie de la profession d’ostéopathe et le Code de déontologie des ostéopathes. Même si ces trois codes prévoient globalement les mêmes règles, qu’est-ce qui justifie d’en choisir un plutôt qu’un autre ? Au demeurant, il convient de souligner que les juges aixois ont exploité le code le plus développé sur la question de l’obligation d’information mais dont l’accès est le plus complexe. Ensuite, car le Code de déontologie de l’ostéopathie, auquel font référence les juges aixois, comme tous les autres, est dénué de portée normative. Il s’agit, en effet, d’un corpus de règles d’ordre privé[5], qui n’est pas l’œuvre d’un ordre ou de tout autre organe doté d’un pouvoir normatif. La profession d’ostéopathe ne bénéficie pas, en effet, d’un ordre qui la structure. De ce fait, le Code de déontologie visé par les juges aixois n’a aucune légitimité, ce qui devrait empêcher de l’envisager comme une source du droit[6].
5 – Si le Code de déontologie de l’ostéopathie n’est pas une source du droit, quel texte les juges aixois auraient-ils pu invoquer le cas échéant ? Sachant qu’aucun des textes encadrant la profession d’ostéopathe ne prévoit une telle obligation, il ne pourrait être identifié un fondement alternatif que dans le droit commun. À notre avis, les juges aixois auraient pu fonder leur position sur le principe de dignité de la personne humaine, envisagé à l’article 16 du Code civil et reconnu comme étant un principe à valeur constitutionnel[7]. Pour cause, il est acquis que ce principe est le fondement du devoir d’information du médecin à l’égard de son patient[8]. L’ostéopathe traitant un patient[9], ce dernier devrait être en droit de bénéficier, en raison de cette qualité, d’informations sur les traitements qu’il reçoit.
6 – En définitive, s’il apparaît judicieux de soumettre l’ostéopathe à une obligation d’information, en ce qu’il traite un patient, il semble préférable de viser le principe de dignité de la personne humaine plutôt que le Code de déontologie de l’ostéopathie. Cette dernière référence est contestable et surtout dangereuse, en ce qu’elle laisse entendre que des règles impératives peuvent être édictées sans habilitation.
[1] Trouble du sens du toucher.
[2] Cette obligation d’information est qualifiée de spéciale en ce qu’elle n’est pas seulement précontractuelle (C. civ., art. 1112-1 et C. conso, art. L. 111-1), ni même générale. Cette obligation précède tous les actes qui seraient entrepris tout au long de la consultation ostéopathique, à l’image de tout professionnel de santé comme le médecin ou encore le kinésithérapeute.
[3] Le fait qu’il soit question d’une règle déontologique n’est pas un obstacle à l’engagement d’une action en responsabilité civile. En ce sens V. Civ. 1re, 18 mars 1997, Bull. civ. I, n° 99, n° 95-12.576 : « la méconnaissance des dispositions du Code de déontologie médicale peut être invoquée par une partie à l’appui d’une action en dommages-intérêts dirigée contre un médecin, et qu’il n’appartient qu’aux tribunaux de l’ordre judiciaire de se prononcer sur une telle action, à laquelle l’exercice d’une action disciplinaire ne peut faire obstacle ».
[4] CSP, art. L. 1111-2. Pour rappel, l’ostéopathe n’est pas un des « professionnels de santé » visés par l’article L. 1111-2 du CSP.
[5] Ce qui explique pourquoi il existe plusieurs Codes de déontologie de la profession d’ostéopathe.
[6] Il convient de souligner que la Cour de cassation a retenu le même raisonnement que les juges aixois dans un arrêt récent (Civ. 1re, 6 févr. 2019, n° 17-20.463, à paraître), mais celui-ci a été unanimement contesté pour cette raison. En ce sens V. not. H. Barbier, « Déontologie violée = contrat annulé ! Quand la déontologie dicte la licéité du contrat », RTD civ. 2019.
[7] Cons. const., 27 juill. 1994, décis. n° 94-343-344 ; RFDA 1994. 1019, note B. Mathieu.
[8] Civ. 1re, 9 oct. 2001, n° 00-14.564, Bull. civ. I, n° 249 ; D. 2001. 3470, note D. Thouvenin ; RTD civ. 2002. 176, obs. R. Libchaber ; JCP 2002. II. 10045, note O. Cachard ; LPA 6 déc. 2001, note C. Clément ; LPA 13 mars 2002. 17, note F. Marmoz ; RCA 2001, n° 374 ; RJPF 2002. 1/34, note Fr. Chabas ; CCC 2002, n° 22, note L. Leveneur ; Dans le même sens plus récemment v. Civ. 1re, 3 juin 2010, n° 09-13.591, Bull. civ. I, n° 128 ; AJDA 2010. 2169, note C. Lantero ; D. 2010. 1522, obs. I. Gallmeister, note P. Sargos ; chron. N. Auroy et C. Creton ; RDSS 2010. 898, note F. Arhab-Girardin ; RTD civ. 2010. 571, obs. P. Jourdain ; RDC 2010. 1235, obs. J.-S. Borghetti ; RCA 2010, comm. 222, note S. Hocquet-Berg.
[9] En doctrine, la notion de patient est détachée de celle de professionnel de santé. Il s’agit de « la personne qui souffre » (M.-Fr. Callu, M. Girer, G. Rousset, Dictionnaire de droit de la santé – Secteurs sanitaire, médico-social et social, LexisNexis, 2e éd., 2021 ; dans le même sens V. C. Lantero, Les droits des patients, LGDJ, coll. Systèmes, 2018, p. 13).
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