LE NON-PROFESSIONNEL DANS LA TOURMENTE DE LA JURISPRUDENCE.
Droit économique / Droit de la consommation / Notion de non-professionnel
Auteur : BRIAN KIBIMI-DEJE
Etudiant en Master 2 Droit civil et Droit international privé
briankibimi@gmail.com
Non-professionnel / Contrat de prestation de service/ Tacite reconduction / Obligation d’information/ Résiliation unilatérale / Clauses abusives / Exception d’inexécution.
CA Aix, 1-8ème ch., 18 mars 2021, n°159, Juris-data n°2021-004696
Président:P. Coulange
Avocats:Me Lauriane P.;Me Florent V., SCP M. V. Depo Avocats Associés.
Résumé: Le non-professionnel est une personne morale qui conclut un contrat n’ayant pas de rapport direct avec son activité professionnelle.
Observations :
- Le label de professionnel n’est pas un antidote à l’inégalité et à l’injustice contractuelle». Par ces mots, le professeur Denis Mazeaud exprimait l’idée que certains professionnels méritaient la protection du Code de la consommation. Pour les distinguer des consommateurs, le législateur a forgé la notion de non-professionnel, Cette « créature de compromis», spécificité du droit français, demeure une notion « controversée et fuyante ». Pourtant, d’une part, après avoir soufflé le chaud et le froid, la jurisprudence s’était fixée autour du critère du rapport direct du contrat avec l’activité professionnelle pour sa qualification. D’autre part, le législateur, surmontant son immobilisme, a consacré une définition du non-professionnel fondé sur un nouveau critère : la finalité professionnelle ou non de l’acte. Ce faisant, il remettait en cause le critère prétorien du «rapport direct». Or, dans son arrêt du 18 mars 2021, la Cour d’appel d’Aix, à l’image de la jurisprudence récente de la Cour de Cassation, opère un «retour dans le passé» qui interpelle en ce qu’elle pose à nouveau la question du critère de qualification du non-professionnel.
- Les faits ayant conduit à cet arrêt sont des plus commodes. Une société à responsabilité limitée (SARL) a conclu avec une société civile de moyens (SCM), constituée par des masseurs-kinésithérapeutes, un contrat de prestation de service d’entretien des locaux exploités par cette dernière. Ce contrat, qui comportait à l’évidence une clause de tacite reconduction, a été exécuté par les parties pendant 5 ans. Des difficultés d’exécution étant apparues, la société civile a manifesté son intention de résilier le contrat à son cocontractant qui, en réponse, l’a mise en demeure de respecter les stipulations contractuelles jusqu’au terme du contrat. Cette mise en demeure étant restée sans effet, la société commerciale a assigné sa cliente en exécution forcée devant le tribunal d’instance. Ayant succombé, la société civile de moyens (SCM) a interjeté appel de ce jugement. Elle prétendait, d’une part, à la qualité de consommateur afin de bénéficier des dispositions du Code de la consommation relatives aux contrats à tacite reconduction et aux clauses abusives et, d’autre part, excipait l’exception d’inexécution pour justifier sa mauvaise exécution.
- La Cour d’appel devait donc déterminer si l’appelante, personne morale, entrait dans le champ d’application personnel du Code de la consommation. Dans cette perspective, la Cour répond en deux temps. D’abord, et à juste titre, elle dénie à la SCM la qualité de consommateur, notion réservée aux personnes physiques. Mais, celle-ci pouvait encore bénéficier de la protection consumériste si la qualité de non-professionnel lui était reconnue. Pour ce faire, la Cour d’appel devait se demander, au regard de l’article liminaire du Code de la consommation, l’appelante, personne morale, avait-t-elle ou non conclu son contrat d’entretien à des fins professionnelles? Cependant, il semble que la Cour n’a pas répondu à cette question dans son arrêt, puisqu’après avoir rappelé, d’une part, que le non-professionnel est «toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles» et, d’autre part, que cette qualité s’apprécie au regard de l’activité de la personne morale et non de celle de ses représentants, elle affirme :« que si ce contrat d’entretien est exercé au sein du cabinet K…A…,il n’est pas en rapport direct avec l’activité professionnelle de la SCM K… A… consistant à prodiguer des soins médicaux aux patients».
- La société civile K… A…est donc non-professionnel parce que le contrat qu’elle a conclu n’est pas en rapport direct avec son activité professionnelle. Autrement dit, il ne s’inscrit pas dans le cadre de son objet social. Juridiquement, cette décision surprend dès lors que le critère du rapport direct a cédé face à celui de la finalité professionnelle du contrat, plus précis, qui refuse la protection aux des actes qui ne font certes pas partie du cœur de l’activité du professionnel mais y participe. La décision s’explique néanmoins au regard du contexte. Depuis 2016, la doctrine pointe les flottements de la Cour de Cassation concernant le critère de qualification du non-professionnel, allant jusqu’à exhumer la critère subjectif et extensif de la compétence. Le critère du
rapport direct a, quant à lui, été clairement visé par la Cour de Cassation dans un arrêt du 17 octobre 2019, dans lequel les juges du palais de l’horloge reconnaissaient la qualité de non-professionnel à une SCI. Dès lors, par son arrêt, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence se conforme à la nouvelle ligne jurisprudentielle comme l’atteste l’un des motifs de l’arrêt:«[…], il a été réaffirmé qu’une personne morale est un non-professionnel lorsqu’elle conclut un contrat n’ayant pas de rapport direct avec son activité professionnelle».
Cet alignement de la Cour d’appel en faveur d’une interprétation contra legem ne peut qu’être condamné. Par ailleurs, si le simple recours au critère prétorien est en lui-même critiquable, son maniement différencié l’est en encore plus en l’espèce. Pour s’en rendre compte, il faut se remémorer l’arrêt du 24 janvier 1995 qui a consacré le critère du rapport direct. En effet, pour refuser la protection du droit de la consommation à un professionnel de l’imprimerie ayant conclu un contrat de fourniture d’électricité avec EDF, la Cour de Cassation affirmait que les dispositions de ce droit ne s’appliquaient pas « aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant»
Même en appliquant le critère du rapport direct, la SCM ne pouvait donc prétendre à la qualité de non-professionnel puisque puisqu’on n’imagine pas qu’elle puisse exercer son activité de dispensation de soin dans un local non entretenu. Dès lors, il faut admettre avec un auteur que derrière le critère du rapport direct se cache celui de la compétence auquel la Cour avait pourtant
tourné le dos avec cet arrêt de principe. Cette jurisprudence inopportune illustre par ailleurs la finesse du critère légal par rapport au critère prétorien qui permet des « pirouettes». En effet, en appliquant le critère légal, la Cour d’appel de Versailles a par exemple refusé à une SCM la protection du même article L. 136-1 en considérant qu’elle avait conclu le contrat en cause à des fins
professionnelles.
La jurisprudence est désormais très éloignée de l’objectif poursuivi par le législateur. La notion devait s’appliquer aux seules « personnes morales agissant à des fins non professionnelles ou dépourvues d’activité lucrative afin de leur permettre de bénéficier de la protection du Code de la consommation au même titre que le consommateur, personne physique » à l’instar des comités d’entreprises, d’associations6 ou de syndicat de copropriétaires. On ne peut que s’interroger sur les raisons de cet élargissement de la notion de non-professionnel. On aurait pu penser au caractère civil des sociétés en cause dans les différentes affaires, étant rappelé que les sociétés commerciales ne peuvent revendiquer cette qualité. Cependant, dans d’autres espèces où des SCI prétendaient à cette qualité, la même Cour d’appel d’Aix-en-Provence a appliqué le critère légal. Gageons que ce retour à l’orthodoxie perdure. - Ayant reconnu la qualité de non-professionnel à la SCM et constaté que le professionnel, la SARL, ne rapportait pas la preuve d’avoir informé par écrit son cocontractant sur sa faculté de ne pas reconduire le contrat conformément à l’ancien article L. 136-1 devenu L. 215-1 du Code de la consommation, la Cour d’appel admet la régularité de la résiliation du contrat d’entretien.
- La Cour d’appel s’est ensuite prononcée sur le caractère abusif de la clause de rupture du contrat litigieux allégué par l’appelante. Confrontée à une situation peu courante, la Cour d’appel considère qu’« à défaut pour la SCM K…A… de verser aux débats le contrat liant les parties, le caractère abusif des clauses le composant n’est pas établi».Mais, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur cette solution qui suggère que les clauses abusives ne sont présentes que dans les contrats solennels, puisque la caractérisation du déséquilibre significatif crée par une clause implique la production du contrat. Ce qui exclut ipso facto le contrat verbal, alors l’article L. 212-1 du Code de la consommation s’applique indistinctement à tous les contrats sans opérer aucune distinction. La solution pourrait se comprendre dès lors que selon le même article le juge apprécie le caractère abusif d’une clause en se référant notamment à toutes les clauses dudit contrat. Ce qui importe c’est d’établir le contenu des clauses et à ce titre l’écrit n’est pas l’unique moyen. Si la Cour a pu juger du renouvellement et de la résiliation unilatérale du contrat sans le contrat, c’eut été aussi possible pour le caractère abusif d’une clause sauf à conclure à son inexistence faute de preuve.
- L’arrêt délivre un dernier enseignement relatif à l’articulation du droit spécial et du droit commun puisque l’appelante excipait l’exception d’inexécution prévue à l’article 1217 du Code civil. La Cour relève que « si la SCM K… A… démontre des manquements et inexécutions répétés, (…) il n’apparaît pas nécessaire d’invoquer la protection du droit commun en présence de celle du droit de la consommation ».
- En définitive, les arguments du plaideur étaient habiles. La solution qui prête le flanc à la critique a néanmoins le mérite de mettre en exergue les limites des définitions terminologiques et de nourrir la controverse qui n’est effectivement jamais close.
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