LE DRAME DE LA RUE D’AUBAGNE : ASPECTS DE DROIT IMMOBILIER
Droit civil / Droit immobilier
Auteur : MÉRYL RECOTILLET
Bail immobilier / bail d’habitation loi 1989 / responsabilité du bailleur / Obligation de délivrance du bailleur / logement décent / administration de la preuve civile / arrêté de péril grave / octroi de dommages-intérêts au locataire
CA Aix-en-Provence, chambre 1-7, arrêt, 1er sept. 2022, n° 21/04683
1. Le 5 novembre 2018, deux immeubles vétustes du centre-ville de Marseille, rue d’Aubagne, se sont effondrés, provoquant la mort de huit personnes. Si les investigations sont toujours en cours afin de déterminer quelles responsabilités pénales peuvent être engagées, la cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est prononcée le 1er septembre 2022 sur la responsabilité civile d’un bailleur en cause.
2. S’appliquaient ici les articles 6 de la loi n° 65-462 du 6 juillet 1989 et 1719 du Code civil. Ces deux textes portent sur l’obligation du bailleur de remettre au locataire un logement décent, le premier relevant de la législation spécifique relative à la règlementation des rapports locatifs et tendant à leur amélioration, et le second relevant du droit commun appliqué au bail. La question qui se posait était celle de savoir si le bailleur avait manqué à ladite obligation.
3. Il ressort de l’arrêt que les attestations produites font état de dégradations et de désordres d’une particulière gravité s’agissant de l’isolation, de l’humidité, du système électrique concernant le logement et l’absence de travaux réalisés par le bailleur. En outre, l’immeuble a fait l’objet d’un arrêté de péril grave et imminent en raison des désordres structurels l’affectant, contraignant le locataire de quitter l’appartement. Les juges de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ont retenu la responsabilité civile du bailleur à l’égard du locataire pour manquement à son obligation de délivrer un logement décent, confirmant ainsi le jugement de première instance. Le bailleur a également été condamné à réparer le trouble de jouissance subi par le locataire, accentué par la privation qui s’en est suivie, lui causant un préjudice moral certain, à hauteur de 13000 euros.
4. En apparence, cette décision est d’une portée, somme toute, relative ; elle s’inscrit dans la jurisprudence constante des juridictions en matière de logement indécent . Les juges se veulent généralement attentifs au mal-logement et c’est chose heureuse au regard du manque d’efficacité des politiques publiques. En effet, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique , dite loi ELAN, n’a manifestement pas donné satisfaction de sorte que des corrections ont été proposées. Un auteur qualifie d’ailleurs ces propositions de modification de « service après-vente » de la loi ELAN .
5. Parmi elles, une proposition de loi enregistrée à la présidence du Sénat le 20 décembre 2018 visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux a été déposée, en réaction notamment au drame de la rue d’Aubagne. Le parlementaire à l’origine de ce nouveau texte souhaitait renforcer les mesures déjà prévues dans la loi ELAN, telles que les capacités de contrôle et d’intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements en matière de logements insalubres ou dangereux. Après une première lecture par le Sénat, le texte a été transmis à l’Assemblée nationale le 12 juin 2019 et l’étude des dispositions n’a pas avancé depuis. Le constat est sans appel, la crise du logement en France est un fléau qui ne fait pas partie des priorités les plus urgentes . Mais l’espoir n’est pas vain. Il semble falloir le placer dans la lutte contre le dérèglement climatique.
6. La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets précise les conditions dans lesquelles il est interdit aux propriétaires d’offrir à la location des biens immobiliers énergivores. L’article 160 de la loi modifie le titre Ier de la loi du 6 juillet 1989 déjà amendé par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat afin de lutter contre les « passoires thermiques ». La notion de logement décent est au cœur de la mesure. Dès 2025, il sera interdit de louer les logements les moins bien isolées (classées G), dès 2028 pour ce sera le cas pour les logements classés F, et à partir de 2034, les logements classés E seront interdits à la location. De tels logements seront considérés comme indécents, ce qui permettra au locataire d’exiger de son propriétaire qu’il effectue des travaux et plusieurs mécanismes d’information, d’incitation et de contrôle viendront renforcer ce droit du locataire. En cela, la lutte contre le réchauffement climatique apparait plus efficace que les textes relatifs au logement et à l’urbanisme.
7. Ainsi, la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence soumise à commentaire s’insère dans un contexte particulier, celui du mal-logement, contre lequel les leviers traditionnels peinent à lutter, à tel point que des mécanismes moins attendus, à l’instar du droit de l’environnement, doivent être mobilisés.
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