IRRECEVABILITÉ D’UN SECOND APPEL ET RESPONSABILITÉ CIVILE PROFESSIONNELLE DE L’AVOCAT: DÉFAUT D’INTÉRÊT À AGIR AVANT LA CADUCITÉ DU PREMIER APPEL NONOBSTANT L’ABANDON D’UN CHEF DE CRITIQUE.
Droit civil / Procédure civile et voie d’exécution / Double déclaration d’appel / Irrecevabilité
Auteur : MARGAUX LENOIR
Étudiante à l’Institut des assurances à l’Université d’Aix-Marseille
Master 2 Contentieux de la responsabilité et de l’indemnisation
Procédure civile/ Procédure d’appel / Double déclaration d’appel/ Irrecevabilité / Défaut d’intérêt à agir / Responsabilité civileprofessionnelle de l’avocat / Conseiller de la mise en état / Caducité/ Mise en état / Déféré / Ordonnance d’incident / Jugement au fond / Abandon de la critique d’un chef de jugement
CA Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 19 octobre 2021, n° 365, Juris-data n° 2021-016576
Président : O. Brue
Avocats : Me P. Zecchini;Me R. Palacci, Me A. Fontana
Résumé : Une seconde déclaration d’appel est déclarée irrecevable, pour défaut d’intérêt à agir des appelants, lorsqu’elle est interjetée avant le prononcé de la caducité de la première, quand bien même elle a pour objet la régularisation de la première déclaration en abandonnant la critique d’un chef de jugement.
Observations :
1/Selon l’adage « appel sur appel ne vaut» il ne peut être interjeté appel une seconde fois à l’encontre de la même décision.
La Cour de Cassation a néanmoins nuancé ce propos en indiquant qu’« une nouvelle déclaration d’appel peut être déposée après le prononcé de la caducité d’une première déclaration dès lors que le délai d’appel qui court à compter de la notification du jugement n’est pas expiré et que d’autre part, la décision de caducité n’avait d’autorité qu’à l’égard du premier appel».
2/La Cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est prononcée sur la recevabilité d’une seconde déclaration d’appel interjetée alors que l’instance du premier appel était toujours pendante devant la Cour. Dans cette affaire, la seconde déclaration d’appel abandonnait la critique d’un chef de jugement énoncée dans la première déclaration.
En effet, les défendeurs avaient interjeté appel à l’encontre, à la fois d’un jugement au fond, et d’une ordonnance du juge de la mise en état qui statuait sur une exception d’incompétence.
Puis, choisissant d’abandonner toute contestation de cette ordonnance rendue par le juge de la mise en état, les défendeurs interjetaient appel une seconde fois à l’égard du seul jugement au fond, se désistant ainsi de la critique de l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état. Dans le cadre de la première déclaration d’appel, les défendeurs n’avaient volontairement pas conclu dans le délai de trois mois imposé par l’article 908 du Code de procédure civile. Ainsi, une ordonnance de caducité portant sur la première déclaration d’appel a été rendue après la seconde déclaration d’appel.
3– Par conclusions d’incident, l’intimé soulevait l’irrecevabilité de la deuxième déclaration d’appel pour défaut d’intérêt à agir sur le fondement de l’article 911-1 du Code de procédure civile2 , lequel indique en son alinéa 3 que «la partie dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 ou dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie».
En effet, l’intimé considérait que, dès lors que la Cour d’appel était régulièrement saisie d’un appel dont la caducité n’avait pas été prononcée, un second appel formé à l’encontre du même jugement et des mêmes parties était irrecevable en ce que les appelants n’avaient pas d’intérêt à agir, peu important que la seconde déclaration d’appel abandonnait la critique d’un chef de jugement. Les deux déclarations visant toutes deux le jugement au fond ce dernier était alors frappé de deux appels différents, enrôlés sous deux numéros de rôle différents ce qui posait nécessairement une difficulté.
Selon une ordonnance d’incident du conseiller de la mise en état, le second appel a été déclaré irrecevable pour défaut d’intérêt à agir des appelants en se fondant sur la même argumentation que celle développée par l’intimé. Il a en effet été jugé que la caducité du premier appel n’ayant pas encore été prononcée lorsque le second appel a été interjeté, et peu important que la première déclaration d’appel portait au surplus sur la décision du juge de la mise en état, les appelants n’avaient pas d’intérêt à agir pour interjeter appel une seconde fois. Les appelants formulaient alors une requête en déféré1 aux fins de réformation de l’ordonnance d’incident déclarant leur second appel irrecevable. Ces derniers considéraient avoir un intérêt à agir en ce que la deuxième déclaration d’appel ne portait plus que sur le seul jugement au fond et qu’elle n’avait pas pour objet de « contourner » la précédente expiration d’un délai. Dès lors leur déclaration d’appel ne pouvait être déclarée irrecevable. Selon eux, c’est seulement dans l’hypothèse où une deuxième déclaration d’appel, strictement identique à la première, était interjetée avec l’objectif de contourner un délai expiré que devait être prononcée l’irrecevabilité de la deuxième déclaration d’appel pour défaut d’intérêt à agir.
4– La question posée à la Cour était la suivante : une seconde déclaration d’appel portant sur le même jugement au fond et à l’encontre des mêmes parties, mais renonçant à contester l’ordonnance du juge de la mise en état, est-elle recevable alors même qu’elle est interjetée avant le prononcé de la caducité de la première déclaration ?
5– La Cour d’appel vient répondre par la négative à cette question en indiquant que «la seconde déclaration d’appel concerne les mêmes parties et le jugement déjà visé par la première, de sorte que le jugement sur le fond a été frappé de deux appels successifs».
La Cour ajoute également que «la circonstance que le premier appel formé ait porté au surplus sur la décision du juge de la mise en état était inopérant à cet égard ».
Ainsi, la Cour décide que «le premier appel n’avait pas encore été déclaré caduc au moment du second appel, le second appel est irrecevable faute d’intérêt à agir tant que la caducité du premier appel n’a pas été prononcée et que l’instance initiée par le premier appel est encore pendante». Dès lors, l’ordonnance du conseiller de la mise en état déclarant le second appel irrecevable doit être confirmée en toutes ses dispositions.
6– La Cour d’appel vient ici rappeler un principe déjà posé par la Cour de Cassation selon lequel dès lors que la cour est régulièrement saisie d’un appel dont la caducité n’a pas été constatée, un second appel formé à l’encontre d’un même jugement et des mêmes parties est irrecevable pour défaut d’intérêt à agir des appelants2 , et ce, peu important que la seconde déclaration d’appel ait pour objet de régulariser la première en abandonnant la critique d’un chef du jugement.
Dans cette affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, les appelants sont privés d’un second degré de juridiction suite à une mauvaise application de la procédure d’appel par leur conseil.
Depuis le décret Magendie du 9 décembre 2009 applicable au 1er janvier 2011, l’appelant n’a plus que trois mois pour déposer ses conclusions à compter de la déclaration d’appel, à défaut la caducité de la déclaration d’appel est relevée d’office. En l’espèce, les appelants auraient alors dû conclure dans le délai de trois mois dans le cadre de leur première déclaration d’appel pour ne pas se voir opposer la caducité de leur première déclaration d’appel.
Or, en ne respectant pas ce délai de trois mois et en interjetant appel une seconde fois pendant le délai laissé pour conclure, le conseil des appelants engage sa responsabilité civile professionnelle à l’égard de ses clients en ne réalisant pas les diligences nécessaires dans le cadre de cette première déclaration d’appel. Il aurait été ici opportun pour les appelants de régulariser leur première déclaration d’appel, en se désistant par voie de conclusions notifiées dans le délai Magendie de l’appel formé à l’encontre de l’ordonnance du juge de la mise en état, plutôt que de tenter une régularisation en interjetant appel une seconde fois.
En effet, on ne peut régulariser un appel en interjetant appel une seconde fois. Dès lors, les appelants auraient dû se désister d’une partie leur premier appel par le biais de conclusions aux fins de désistement partiel, notifiées dans le délai de trois mois à compter de leur première déclaration d’appel. Il n’était nullement nécessaire d’interjeter appel une seconde fois. Les appelants avaient également la possibilité de se désister totalement de leur premier appel, par le biais de conclusions aux fins de désistement notifiées dans le délai de trois mois, puis, une fois le désistement constaté, d’interjeter appel une seconde fois sur le jugement au fond si le délai pour interjeter appel n’est pas expiré. Si les appelants avaient régularisé par voie de conclusions de désistements dans le délai de trois mois, la seconde déclaration d’appel portant sur le jugement au fond, sous réserve que le délai pour faire appel n’était pas expirée, aurait été recevable.
En effet, dans cette hypothèse, la caducité du premier appel n’ayant pas été constatée, les parties auraient pu relever appel une seconde fois, les dispositions de l’article 911-1 alinéa 3 du Code de procédure civile n’étant ici pas applicable.
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