CONTRÔLES D’IDENTITÉ DE POLICE ADMINISTRATIVE : LES CONTOURS INCERTAINS D’UNE NÉCESSAIRE ATTEINTE À L’ORDRE PUBLIC.
Droit pénal / Procédure pénale / Contrôle d’identité / Ordre public
Auteur : THEO CHELO
Étudiant en Master II Droit civil et droit international privé
Aix-Marseille Université
Article 78-2 du Code de procédure pénale / Contrôle d’identité / Atteinte à l’ordre public / Infraction/ Nullité d’un acte de procédure / Contrôle abusif / Libertés individuelles / Liberté de circulation /
CA Aix-en-Provence, Ch. 1-11 RA, 22 juin 2021, n°21/00554
Président: C. Leroi
Avocats: Me Anne-Laure V.
Résumé : L’individu suivant et observant un groupe d’élèves pendant une sortie scolaire ne commet pas d’infraction et n’est donc pas susceptible de faire l’objet d’un contrôle d’identité justifié par l’alinéa 2 de l’article 78-2 du Code de procédure pénale. En revanche, il revient au juge du fond
d’apprécier souverainement si ce comportement constitue un risque d’atteinte à l’ordre public, justifiant alors le contrôle au sens de l’alinéa 8 de l’article 78-2 du Code de procédure pénale.
Observations :1- Entre hostilité et admiration, jamais les policiers et leurs pratiques n’auront été si clivants ces dernières années. Ils étaient applaudis au lendemain d’attentats, fustigés en marge de manifestations sociales, craints à la suite de violences policières1 . Tour à tour, les politiques et le législateur sont intervenus2 pour tenter de réguler l’exercice de la violence légitime par les forces de l’ordre, et ainsi renouer le dialogue entre une population défiante3 et une police accablée. Début 2017, à l’occasion des discussions parlementaires portant sur le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, le Défenseur des droits insistait particulièrement sur l’urgence de se doter de moyens de lutte contre les abus policiers commis à l’occasion des contrôles d’identité. La volonté de ne pas voir grandir davantage le sentiment d’humiliation et de défiance à l’endroit des
1 Référence à « l’affaire Michel Zecler », née à la suite d’accusations de violences policières à l’encontre d’un producteur de musique le 21 novembre 2020. 2 Loi du 25 avril 2021 pour une sécurité globale et Beauvau de la sécurité en février 2021. 3 J. Fourquet et P. Cébille, « Le regard des français sur la police », IFOP, 2020. Droit pénal / Procédure pénale / Contrôle d’identité / Ordre public BULL.AIX2022-2 42 institutions était clairement affichée 1 . L’arrêt commenté illustre pourtant les difficultés qui subsistent, inhérentes à l’usage quotidien du contrôle d’identité, opération par nature coercitive. 2- En l’espèce, le 17 juin 2021, la police municipale de Miramas était intervenue à la demande d’un accompagnant scolaire, à la suite du comportement suspect d’un homme qui avait suivi et observé des élèves de façon insistante pendant plusieurs minutes. Une fois sur place, les policiers ont obtenu de l’intéressé l’indication de son nom, et ont été informés que cette personne était fichée pour situation irrégulière sur le territoire national, conditionnant sa présentation à un officier de police judiciaire. Le mis en cause s’était pourtant défendu de toute intention coupable et soutenait qu’il observait des enfants qui lui rappelaient sa fille, du même âge, qu’il n’avait pas revu depuis plus de 3 ans. Le 18 juin 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône décide de son placement en rétention ; placement maintenu par ordonnance du 20 juin 2021 rendue par le juge des libertés et de la détention de Marseille, objet de l’appel. Toute la défense du prévenu s’articule autour de l’irrégularité alléguée de son interpellation, faute d’infraction commise. Il s’appuie sur l’article 78-2 alinéa 2 du Code de procédure pénale, qui permet aux agents de police de procéder au contrôle d’identité de toute personne « à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Dès lors, puisqu’aucune infraction ni aucune tentative d’infraction n’est matérialisée, alors le contrôle n’aurait aucun fondement légal. La stratégie serait gagnante pour l’appelant, car dans l’hypothèse où le contrôle d’identité permet d’interpeller l’auteur d’une infraction, la mesure s’inscrit comme le premier acte de la procédure pénale subséquente. Or, la nullité d’un acte accompli au cours de la procédure pénale entraine la nullité des actes ultérieurs qui trouvent dans l’acte annulé leur support nécessaire2 . Le Code de procédure pénale prévoit en effet deux grandes catégories de justifications permettant de légitimer un contrôle d’identité. La première, dont se prévaut le mis en cause, est très factuelle puisqu’elle repose sur une volonté de commettre une infraction. Il en découle qu’en l’absence de commission ou de tentative de commission, rien ne devrait permettre aux magistrats d’approuver un tel contrôle. Cette carence n’est pourtant pas déterminante dès lorsqu’une deuxième catégorie de justification peut être mobilisée. Plus permissive, celle-ci repose sur le risque « d’atteinte à l’ordre public», conformément à l’alinéa 8 de l’article 78-2 du Code de procédure pénale. Le contrôle d’identité est alors légitimé, « quel que soit le comportement» de l’individu,
1 Défenseur des droits, Enquête sur l’accès au droit – Relations police/population : le cas des contrôles d’identité, Volume 1, 2016. 2 Cass. crim. 15 octobre 2003, n°03-82.683, Bull. crim. 2003 n°193 p. 795. CHRONIQUE DES ETUDIANTS DE M2 43 dès lors qu’il s’agit de prévenir un risque d’atteinte à l’ordre public. L’inconvénient, c’est qu’il repose sur une double appréciation souveraine. En amont, par l’agent de police au moment du contrôle, puis en aval, par le juge en cas de contestation, qui pourront tous deux apprécier le niveau de risque d’un comportement justifiant la mesure. 3- Par conséquent, et à défaut de constituer des infractions justifiant le contrôle au sens de l’alinéa 2 de l’article 78-2 du Code de procédure pénale, les comportements du mis en cause pouvaient-il relever du domaine d’application de l’alinéa 8 du même article en constituant un risque d’atteinte à l’ordre public ? 4- La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 22 juin 2021, s’associe à l’argumentaire développé par le requérant en retenant que son comportement ne pouvait justifier un contrôle d’identité sur les bases de l’article 78-2 alinéa 2 du Code de procédure pénale. Mais l’ordonnance du Juge des libertés et de la détention n’en n’est pas moins confirmée : «le contrôle d’identité apparait justifié en application de l’article 78-2 alinéa 8 du Code de procédure pénale, à savoir pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens.» Une justification qui semble bien lacunaire pour cerner tous les enjeux des contrôles de police administrative, entre notions juridiques subjectives et marge d’appréciation élevée au détriment d’une protection effective contre le risque d’arbitraire policier. 5- L’intérêt de cet arrêt réside dans la dualité entre la logique répressive des contrôles justifiés par l’alinéa 2 de l’article 78-2, dits contrôles de police judiciaire, qui nécessitent effectivement la commission (ou tentativede commission) d’une infraction pour en légitimer la poursuite, et la logique préventive des contrôles justifiés par l’alinéa 8 du même article, dits contrôles de police administrative, permettant de contrôler l’identité d’une personne « quel que soit son comportement», pour prévenir « une atteinte à l’ordre public». En pareille situation, le comportement du mis en cause n’est donc plus un élément prédominant, tout au plus doit-il être interprété à l’aune des autres circonstances qui justifieraient la mesure. Mais cette liberté interprétative, inhérente aux contrôles de police administrative, creuse davantage l’écart entre la protection des droits et libertés fondamentaux, ici la liberté d’aller et venir, et les contrôles abusifs, dont la preuve reste difficile à rapporter1 . Cette faveur à l’interprétation peut poser difficulté en pratique, puisque l’agent n’a pas à circonstancier les raisons qui le poussent à contrôler un individu plutôt qu’un autre, faisant fi d’éléments de contexte objectifs et apparents se rattachant à un trouble à l’ordre public déterminé. 6- Le Conseil constitutionnel avait pourtant été saisi de la conformité à la Constitution de la loi relative aux contrôles et vérifications d’identité. Avec la
1 F. Jobard et F. Lévy, « La police et les étrangers », GISTI, Plein droit, n°82, 2009, p. 14. BULL.AIX2022-2 44 volonté d’assurer une conciliation entre l’exercice des libertés constitutionnellement garanties et les besoins de la recherche des auteurs d’infractions, le Conseil constitutionnel avait jugé, s’agissant des contrôles de police administrative, que l’autorité responsable du contrôle devait justifier de circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public1 . Ce fût un premier pas vers une approche plus restrictive de la notion d’atteinte à l’ordre public, désormais conditionnée par l’existence de «circonstances particulières». Cette réserve d’interprétation est ainsi devenue une véritable condition de régularité du contrôle préventif d’identité, dont la Cour de Cassation s’est portée garante en annulant tout contrôle qui ne la satisfaisaient pas. Elle a par exemple considéré que des policiers, en mission de sécurisation d’une ligne de transport connue pour avoir été le théâtre d’attentats et d’agressions, n’étaient pas légitimes à contrôler l’identité d’une personne du seul fait qu’elle tentait de descendre de l’autobus à leur vue2 . Les juges ont estimé qu’il ne résultait pas de ces seules énonciations « des éléments suffisants pour caractériser une menace à l’ordre public» au sens de l’alinéa 8 de l’article 78-2 du Code de procédure pénale. Il s’ensuivit toute une série d’arrêts qui reprenaient, pour certains stricto sensu, l’obligation de caractérisation du risque d’atteinte à l’ordre public dégagée par le Conseil constitutionnel3 . 7- La portée de ces décisions a-t-elle été respectée par les juges du fond ? D’un côté, la Cour de Cassation semblait restreindre l’appréciation des circonstances particulières justifiant le contrôle. De l’autre, la Cour d’appel caractérise le risque d’atteinte à l’ordre public pour une personne suivant et observant un groupe d’élèves. Cette appréciation variable peut parfois s’expliquer par une confusion entre les contrôles de police judiciaire et les contrôles de police administrative, notamment illustrée par le Professeur Étienne Cornut:«les premiers visent à arrêter ou à empêcher la réalisation d’une infraction alors que les seconds tendent à prévenir une atteinte à l’ordre public. Or qu’est-ce qu’un risque d’atteinte à l’ordre public sinon la potentialité de réalisation d’une infraction ? 4 ». Il est certain que les contrôles de police administrative, en ce qu’ils sont possibles quel que soit le comportement de la personne interpellée, doivent se suffire de circonstances extérieures et objectives, lesquelles ne constituent pas nécessairement des infractions pénales, à la différence des contrôles de police judiciaire. Mais au-delà de cette possible confusion, il est certain que la décision du Conseil constitutionnel n’a pas permis d’enrayer les difficultés d’application
1 Cons. const., 5 août 1993, n°93-923 DC, §9. 2 Cass. crim. 4 mars 1999, n°97-50.086, Bull 1999 II n°39 p. 29. 3 Cass. crim. 12 mai 1999, n°99-81.153, Bull. crim. 1999 n°95 p. 256. 4 E. Cornut, « Entre confusion et distinction, propos autour des contrôles d’identité », D., 2002 p. 992. CHRONIQUE DES ETUDIANTS DE M2 45 de l’alinéa 8 de l’article 78-2 du Code de procédure pénale, déplaçant simplement la question de l’interprétation de «l’atteinte à l’ordre public» à celle des «circonstances particulières» justifiant cette atteinte. Les juges d’appel auront alors toute latitude pour qualifier souverainement chaque circonstance particulière, entre celle constitutive d’infractions pénales et, à défaut, celle à l’origine d’un risque d’atteinte à l’ordre public. Dans ces conditions, rares seront les cas d’annulations fondés sur une irrégularité de contrôle d’identité en l’absence d’infractions commises, dès lors qu’il est toujours possible de recourir à la notion d’ordre public à titre subsidiaire, et ainsi sécuriser une procédure dont l’amorce pouvait être discutée. Seule la Cour de Cassation, dans sa fonction unificatrice, pourrait vraisemblablement apparaitre comme une alternative à une jurisprudence d’appel souple et incertaine.
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