CONFLIT DE COMPÉTENCE ENTRE LE JAF ET LE JUGE DES ENFANTS :NOUVELLE LIGNE DE DÉMARCATION!
Droit civil / Droit de la famille / Séparation / Résidence habituelle de l’enfant / Saisine du juge
Auteur : VINCENT MARTEAU
Etudiant en master 2 droit civil et droit international privéà Aix-Marseille Université
Laboratoire de droit privé et sciences criminelles
Contentieux familial / Juges des enfants / JAF / Pouvoirs respectifs / Mesure de placement / Compétence concurrente / Saisine en référé / Urgence / Divorce / Droit de visite médiatisé / fait nouveau / Assistance éducative / bref délai / revirement de jurisprudence
Cass. 1re civ., 20 octobre 2021, n°19-26.152, FS-B+R,Juris-data n° 2021- 016675 ; Sur pourvoi Aix-en-Provence, Chambre spéciale des mineurs 2-5, 30 octobre 2019
Président : P. Chauvin
Avocats aux Conseils : SCP Waquet, Farge et Hazan
Résumé : Le juge aux affaires familiale ayant statué sur le droit de résidence habituelle, d’hébergement et de visite d’un enfant, le juge des enfants ultérieurement saisi, ne peut réaménager ce droit qu’en la présence de deux conditions cumulatives. D’une part, un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur doit s’être révélé postérieurement à la décision du premier juge. D’autre part, une décision de placement de l’enfant doit être prise au sens de l’article 375-3 du Code civil. Si ces conditions sont réunies, le réaménagement du droit de résidence habituelle ne peut conduire le juge des enfants à placer l’enfant au domicile du parent chez lequel le juge aux affaires familiales (JAF) avait déjà fixé la résidence. .
Observation:1-La compétence des magistrats amenés à se prononcer en matière de contentieux afférant à l’organisation des modalités de vie de l’enfant peut s’avérer tortueuse à déterminer. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation le 20 octobre 2021 met en exergue cette problématique résultant du fait que les sphères de compétences respectives du JAFet du juge des enfants s’avèrent dans certaines hypothèses inextricablement Droit civil / Droit de la famille / Séparation / Résidence habituelle de l’enfant / Saisine du juge CHRONIQUE DES ETUDIANTS DE M2 37 concurrentes. Cette décision opère une distinction bienvenue entre les compétences respectives de ces deux juges. En effet, le risque d’entrecroisement des compétences du JAFet du juge des enfants est loin d’être inexistant et le critère classiquement retenu de danger auquel est exposé le mineur1 démontre parfois son inefficacité2 . La thématique n’est pas étrangère à la doctrine qui a pu émettre d’éloquentes critiques au sujet de cet entrelacement de compétences3 . Ainsi, la création empirique des fonctions de juge des enfants puis de celle de JAF a fait naître de véritables « concurrences concurrentes» 4 . On le constate en l’espèce, où l’action commune de ces deux juges a cristallisé un dysfonctionnement procédural que la Cour de Cassation vient sanctionner. 2- En l’espèce, le père insatisfait d’un droit d’hébergement et de visite libre qu’avait accordé le JAF à la mère de son enfant, a saisi le juge des enfants, fondant sa compétence sur « un fait de nature à entrainer un danger pour l’enfant»(§7). Celui-ci obtiendra du second juge la mise en place d’un droit de visite médiatisé. La mère de l’enfant s’étant pourvue en cassation, la haute juridiction civile a dû répondre à la question de savoir si le juge des enfants est fondé, de lege lata, à supplanter la décision du JAF statuant sur les droits de résidence d’un enfant, au seul motif d’un danger pour celui-ci. La Cour de Cassation avait jusqu’alors validé les détours procéduraux que vont cette fois-ci sanctionner les juges du second degré5 dont le raisonnement est repris par la Juridiction du Quai de l’Horloge. Aux termes de l’arrêt commenté cette dernière énonce en effet que c’est à bon droit que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé que «le juge aux affaires familiales ayant fixé, lors du jugement de divorce, la résidence habituelle de la mineure au domicile de son père, le juge des enfants n’avait pas le pouvoir de lui confier l’enfant, l’article 375-3 du code civil, ne visant que « l’autre parent », d’autre part, qu’en l’absence de mesure de placement conforme aux dispositions légales, le juge des enfants n’avait pas davantage le pouvoir de statuer sur le droit de visite et d’hébergement du parent chez lequel l’enfant ne résidait pas de manière habituelle». 3-La Cour de Cassation revient ainsi sur la jurisprudence qu’elle soutenait. Elle avait en effet jugé que, «lorsqu’un fait de nature à entraîner un danger pour l’enfant
1 C. civ., art. 375. 2 M. Kebir, « Articulation des compétences du juge des enfants et du JAF : revirement de jurisprudence », Dalloz actualité, 9 novembre 2021. 3 J. Hauser, « L’enfant et les trois juges », RTD civ. 2004, p°498. 4 Les termes de « concurrences concurrentes », derrière des airs de pléonasme, mettent en exergue une réalité concrète en l’espèce. Les juges « en concurrences » sont des juges égaux en compétence à juger ; ces concurrences sont « concurrentes » quand elles s’opposent. Pour une utilisation de ce terme v. H. Muir Watt, « Sanctionner ou circuler ? Les conséquences sur le terrain des effets des jugements de la méconnaissance par le juge second saisi des règles relatives à la litispendance », RCDIP, 2019, p°487. 5 Aix-en-Provence, Chambre spécial des mineurs 2-5, 30 octobre 2019. BULL.AIX2022-2 38 s’était révélé ou était survenu postérieurement à la décision du JAF ayant fixé la résidence habituelle de celui-ci chez l’un des parents et organisé le droit de visite et d’hébergement de l’autre, le juge des enfants, compétent pour tout ce qui concernait l’assistance éducative, pouvait, à ce titre, modifier les modalités d’exercice de ce droit, alors même qu’aucune mesure de placement n’était ordonnée».De nombreux arrêts avaient en effet retenus cette solution1 .Une telle facilité de saisine du juge des enfants a été décriée par la doctrine comme un «instrument d’instrumentalisation » de ce juge par les parties2 . En effet, le conflit de compétence ainsi généré par la Cour de Cassation au motif d’ « un fait de nature à entrainer un danger pour l’enfant» et en dehors de toute mesure de placement, pouvait permettre à la partie déçue par la décision du JAF d’ourdir une saisine du juge des enfants dans l’espoir d’obtenir une solution plus conforme à ses attentes3 . Il en résultait un risque de stratégie procédurale délétère susceptible de conduire le juge des enfants à occuper «le terrain » du JAF 4 . Un revirement était nécessaire et la haute Cour l’avoue «en conférant un pouvoir concurrent aux juges des enfants, quand l’intervention de celui-ci, provisoire, est par principe limitée aux hypothèses où la modification des modalités d’exercice de l’autorité parentaleest insuffisante à mettre fin à une situation de danger, la solution retenue jusqu’alors a favorisé les risques d’instrumentalisation de ce juge par les parties»(§ 9). 4- La Cour de Cassation va dans cet arrêt abandonner sa jurisprudence ancienne et délimiter de manière limpide et motivée le périmètre des compétences respectivement dévolues au JAFet au juge des enfants5 . Cette solution peut être mise en perspective avec deux précédents qui ont préparé sa consécration. Premièrement, il a été jugé que la compétence du juge des enfants demeure attachée aux mesures concernant l’assistance éducative et que le JAF est seul compétent pour statuer sur l’autorité parentale et les modes d’organisation de la vie de l’enfant (résidence et visite). Ainsi, en l’absence du prononcé de mesures éducatives, le juge des enfants ne pouvait fixer la résidence de l’enfant qu’au
1 Cass. 1ère civ. 26 janvier 1994, pourvoi n° 91-05.083, Bull. 1994, I, n° 32 – Cass. 1ère civ., 10 juillet 1996, pourvoi n° 95-05.027, Bull. 1996, I, n° 313. 2 M. Huyette, D. 1994, p°278 « Le juge des enfants peut imposer des modalités différentes du droit de visite lorsqu’un fait de nature à entrainer un danger pour l’enfant s’est révélé ou est survenu postérieurement au divorce ». 3 V. Egea, Droit de la famille n° 1, Janvier 2022, comm. 1 « Il paraît désormais acquis qu’une saisine opportuniste du juge des enfants ne permettra point à un parent, en l’absence de placement, de conquérir sur le terrain du droit de l’assistance éducative ce qu’il n’a point obtenu devant le juge ordinaire de l’autorité parentale ». 4 M. Kebir, « Articulation des compétences du juge des enfants et du JAF : revirement de jurisprudence », Dalloz actualité, 9 novembre 2021. 5 L. Gebler, AJ Famille 2021 p.625. CHRONIQUE DES ETUDIANTS DE M2 39 domicile du parent chez lequel le JAF avait déjà fixé la résidence habituelle de l’enfant1 . Dans un second temps, la Cour de Cassation, reconnaissait la faculté pour le JAFd’organiser le mode de vie d’un enfant avec un tiers, parent ou non, sauf à ce que le juge des enfants, ayant pris une mesure d’assistance éducative, prononce un placement2 . L’examen par la doctrine de cette dernière solution mettait en avant un goût d’inachevé car il n’opérait pas de reconnexion entre le raisonnement adopté aux termes de l’arrêt et les dispositions de l’article 375-5 du Code civil3 . La Haute Cour décide donc d’opérer un revirement de jurisprudence qui dit son nom. En effet, elle affirme qu’«Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît nécessaire de revenir sur la jurisprudenceet de dire qu’il résulte de la combinaison des articles 375-3 et 375-7, alinéa 4, du code civil que, lorsqu’un JAF a statué sur la résidence de l’enfant et fixé le droit de visite et d’hébergement de l’autre parent, le juge des enfants, saisi postérieurement à cette décision, ne peut modifier les modalités du droit de visite et d’hébergement décidé par le JAF […]»( §12). Ce «grand arrêt» 4 qui a vocation à être largement diffusé bénéficie par ailleurs de la nouvelle motivation enrichie.Cette attention particulière est un autre indicateur de l’importance que lui reconnait la Cour de Cassation. 5- La compétence du Juge des enfants redéfinie par la combinaison des articles 375-3 et 375-7 du Code civil prohibe ainsi tout conflit de concurrence avec le JAF. Le juge des enfants ne pourra alors statuer sur les modalités d’organisation de la vie de l’enfant que «s’il existe une décision de placement de l’enfant au sens de l’article 375-3, laquelle ne peut conduire le juge des enfants à placer l’enfant chez le parent qui dispose déjà d’une décision du JAF fixant la résidence de l’enfant à son domicile» et si est par ailleurs établi « un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur (qui) s’est révélé postérieurement à la décision du JAF». 6-La compétence du JAF se voit donc consacrée pour la prise de mesures afférentes à la détermination des modalités d’exercice de l’autorité parentale et du mode de vie de l’enfant. Cette affirmation jurisprudentielle, excluant ainsi toute incursion du juge des enfants dans la sphère de compétence du JAF, vient redonner ses lettres d’or aux textes afférant à son office5 . La prise de mesures concernant la résidence habituelle d’un enfant ainsi que son droit de visite et d’hébergementdemeurera donc sa chasse gardée, hors –bien sûr –la réalisation de la double conditions sus-évoquée enclenchant la compétence du juge des enfants.
1 Cass. 1ère civ., 14 novembre 2007, n° 06-18.104, publié au bulletin civ. I, n° 358. 2 Cass. 1ère civ., 9 juin 2010, n° 09-13.390, publié au bulletin civ. I, n° 130. 3 P. Bonfils et A. Gouttenoire obs. D. 2011, p°1995. 4 V. Egea, Droit de la famille, n° 1, Janvier 2022, comm. 1. 5 Art. L213-3 à L213-4 du Code de l’organisation Judiciaire. BULL.AIX2022-2 40 Un tel monopole judiciaire, s’il écarte les risques de stratégie procédurale délétère, n’empêche-t-il pas la saisine efficace, en cas d’urgence, d’un juge compétent? C’était le sens de la jurisprudence antérieure de la Cour de Cassation qui, connaissant le stock judiciaire qu’accuse l’office des JAF, permettait dans un souci de célérité, de saisir le juge des enfants afin qu’il soit statué promptement. Ce raisonnement abandonné, la Cour de Cassation vient apporter une solution didactique afin qu’il puisse être répondu judiciairement à de telle situation d’urgence, préconisant la saisine du JAF en référé en application des dispositions de l’article 373-2-8 du Code civil. Par ailleurs, ce juge pourra être saisi sur le fondement de l’article 1137 du Code de procédure civile en cas d’urgence dûment justifiée dans le cadre d’un recours « à bref délais», procédure qui n’existait pas au moment des faits d’espèce, mais qui tendra à se généraliser en offrant un meilleur contrôle de l’urgence. En effet, l’assignation à « bref délais» nécessite de caractériser l’urgence au moment de la prise de date contrairement à la procédure de référé dans le cadre de laquelle elle doit être caractérisée au moment de l’audience. 7- Le véritable intérêt de cet arrêt ne réside donc pas tant dans sa solution que dans la manière dont elle est énoncée. En effet, la Cour de Cassation vient uniquement tirer les conséquences de sa jurisprudence en la reconnectant avec les dispositions légales y afférentes. Il convient alors de saluer la didactique dont fait preuve la Haute Cour que met ici en lumière sa nouvelle «rédaction enrichie ». La légitimité du revirement de jurisprudence qu’elle opère n’en est que plus assurée, aux termes d’un raisonnement marqué par le sceau de la simplification et de la dialectique
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